Pour une Ukraine décentralisée mais réunifiée
par DavidKer
mardi 2 juin 2015
Les rancunes au sujet des excès soviétiques ont poussé une grande partie des anciennes républiques sous l'égide de l'URSS à se rapprocher de l'Europe et de l'OTAN. Cette tendance a rendu Moscou folle de colère, ce qui explique son rôle dans la crise ukrainienne. Pour apaiser le courroux de l'Ours russe et tenter de faire entendre la voix des Ukrainiens dans leur diversité, l'ancien ministre Oleksandr Klymenko propose notamment de décentraliser le pouvoir, dont la principale courroie de transmission reste aujourd'hui Kiev. Peut-être pas une mauvaise idée.
L'omniprésence de l'OTAN dans l'obsession géopolitique un peu dépassée qui prédomine en Russie a fini par affecter ses relations avec l'Union européenne. La conjugaison des nouvelles adhésions à l'OTAN et à l'Union européenne ont amené M. Poutine, au début de son troisième mandat, à mettre en avant son projet d'Union eurasiatique pour y attirer les anciens membres du Pacte de Varsovie, et contrecarrer l'influence occidentale grandissante chez ses voisins et partenaires. C'est après la révolution orange de 2004 en Ukraine, et surtout après le sommet de l'OTAN d'avril 2008, au cours duquel l'Ukraine et la Géorgie se sont vues tendre la main par l'Alliance, que M. Poutine se fit plus ouvertement menaçant. Si la situation a fait sourire en Europe, de nombreux analystes ont sous-estimé la colère du Kremlin, indéniablement liée aux craintes profondes et au sentiment d'humiliation qu'ont laissé le dénouement de la guerre froide.
Depuis la fin de l'URSS, le processus d'élargissement de l'OTAN vers l'Est a été le principal facteur de la détérioration — entrecoupée de phases de rapprochement importantes — des relations entre la Russie et les Etats-Unis. Dès 1994, le régime de Boris Eltsine, très progressiste et pro-réconciliation, affirmait que cette tendance ne pouvait être vue à Moscou que comme un moyen d'empêcher sa résurgence en tant que puissance européenne majeure. Même si Washington et les chancelleries occidentales niaient viser un tel objectif, Varsovie, Budapest, Prague et, plus tard, les républiques baltes affirmaient clairement, quant à eux, vouloir rallier l'OTAN pour se protéger d'une menace militaire russe qui n'allait pas tarder à revenir. Ce n'est que vingt ans plus tard que celle-ci s'est manifestée.
Comme l'a souligné Oleksandr Klymenko - ancien Ministre des Revenus et des Taxes ukrainien - dans ses conclusions quant au conflit ukrainien, la question la plus difficile sera celle du statut final des régions qui échappent au contrôle de Kiev. La guerre civile qui oppose l'est du pays, sécessionniste et le nouveau gouvernement a déjà coûté la vie à près de 6300 personnes, pour environ 11 000 blessés. De plus, les fragiles seconds accords de Minsk, visant à mettre fin au conflit dans l'est du Donbass, sont régulièrement violés par les deux camps - bien qu'ils aient permis de mettre un terme à l'état de guerre totale. Mais un simple cessez-le-feu est évidemment insuffisant. Face à ce problème épineux, un plan de sortie de crise ne peut avoir qu'une seule dimension, mais se doit d'embrasser tous les aspects du conflit. Cela inclut l'intégration économique de l'Ukraine, les frayeurs russes, l'identité des populations frontalières russophones, dont les intérêts et les racines se trouvent d'avantage à l'est, la crise sociale, et les profondes divisions et rancunes apparues après plus d'un an de conflit armé.
Pour cela, la première étape - la plus cruciale - est le retour du dialogue entre les deux camps, afin qu'ils cessent de voir l'autre uniquement comme un ennemi. En effet, tout le pays doit se rappeler de ses intérêts communs, intérêts qui ont vocation à être plus développés par l'échange est-ouest et le changement de statut de l'Ukraine, plus uniquement tournée vers l'ancien bloc soviétique, ou encore nouvellement annexée par l'Europe, mais bien une Ukraine qui servirait de pont entre les deux blocs. Aujourd'hui les populations sont divisées sur de nombreux points illusoires, car les Ukrainiens - par complexe historique et par la pauvreté de la vision du régime de Viktor Ianoukovitch - n'ont pas réussi à se rêver à la place de choix de pays de transit entre ces deux pôles économiques. Et pour cause, l'exploitation de cette position stratégique est compromise par des incompréhensions de surface - rappelons que l'est ne parle même pas la même langue que le reste du pays - et les petites manipulations de Moscou, anxieuse de perdre la mainmise sur son voisin. Les deux camps se pointent du doigt sans essayer de se comprendre, ni voir ce qu'ils ont à gagner en collaborant de façon plus étroite.
Ces aspects sont largement développés dans le plan soumis par le même Klymenko pour sortir de l'impasse actuelle. Pour lui, il est nécessaire de relancer le dialogue, et il propose de passer par le biais de "comités pour la paix et la réconciliation." Ces organismes sont déjà apparus 32 fois dans notre histoire récente, dans pas moins de 28 pays - on peut citer la Lituanie, le Tadjikistan, le Rwanda ou encore le comité le plus fameux, mis en place en Afrique du Sud par Nelson Mandela en 1995, qui a permis d'enterrer la hache de guerre dans un pays profondément divisé par l'héritage raciste et l'apartheid. Son idée est de relancer l'espoir d'unité du pays en l'axant autour d'une vision commune et d'une stratégie participative. Il s'agirait de prendre en compte les intérêts de chacun, et de les inclure dans la construction d'une nouvelle Ukraine, dans la mesure où ils ne sont pas contradictoires.
Pour ce faire, la première étape serait de bâtir un pays décentralisé, où les échelons régionaux auraient plus de pouvoir afin de permettre de réduire l'hégémonie de Kiev, responsable d'un sentiment de musellement au sein des minorités russophones et de l'opposition. Le pari de Klymenko est qu'une population politiquement impliquée est moins susceptible de s'impliquer dans un conflit. Il fait ensuite un parallèle avec les tensions qui ont suivi la réunification allemande, où une mentalité comptable (qui paie pour qui ?) a largement ralenti l'esprit d'unité après une union territoriale. Plutôt que de voir la reconstruction et la valorisation de l'est comme une contrainte, il propose une approche plus positive centrée sur des Zones de Développement Prioritaires, notamment dans l'est du Donbass, afin de renforcer à la fois les initiatives économiques régionales et du même coup la sécurité économique dans le pays.
Un dernier aspect clé de la résolution de ce conflit est le maintien du non-alignement. Tout le monde est conscient des facteurs géostratégiques qui ont provoqué la situation actuelle. Afin d'éviter de provoquer inutilement le courroux russe, une adhésion à l'OTAN de l'Ukraine ne semble pas la bienvenue. De même, les accords européens doivent prendre en compte la Russie. Plutôt que de subir les développements des deux blocs, l'Ukraine à tout intérêt à imposer sa propre vision, et ainsi devenir le pont qu'il manque entre eux, plutôt que le morceau de viande qu'ils se disputent. En dictant ses termes, termes régionalisés et inclusifs, l'Ukraine pourrait concilier les demandes des deux. Si cette émancipation inquiétera à Moscou, elle sera au moins fait selon des termes ukrainien - dont une partie de la population à les intérêts russes à cœur - et non simplement occidentaux. L'autre option est la guerre.