Pourquoi faut-il sortir – vite – du nucléaire ?

par jcm
lundi 4 avril 2011

Ce qui se passe aujourd'hui à la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi répond bien au terme de « catastrophe » : « Événement aux conséquences particulièrement graves, voire irréparables ; état qui en résulte, ruine, désastre. » (comme nous l'indique un bon dictionnaire : http://www.cnrtl.fr/definition/catastrophe).

Cette catastrophe était-elle prévisible ?

Tremblements de terre et tsunamis avaient été étudiés et la centrale était construite en fonction de l'estimation qui avait été faite de l'ampleur et des caractéristiques des événements de ce type dont on pensait qu'ils pourraient se produire un jour : pas de problème donc a priori, et les centrales ont d'ailleurs correctement résisté à un séisme d'intensité supérieure aux valeurs pour lesquelles elles avaient été construites.

Un bon point pour les ingénieurs à ce point de vue, un mauvais point pour ceux qui avaient établi les prévisions.

Un mauvais point pour les ingénieurs cependant car pour avoir construit des installations capables de résister à un séisme d'une puissance des dizaines de fois supérieures aux valeurs prévues le financeur de ces centrales aurait pu leur reprocher d'avoir engagé des dépenses largement supérieures à ce qui aurait dû être considéré comme « nécessaire et suffisant » …

Les risques sont toujours estimés en fonction de ce que l'on connaît et de ce que l'on estime possible, au travers de diverses études.

On ne sait pas pratiquer autrement et, à défaut d'autres méthodes, il est logique d'agir ainsi : on ne dimensionnera jamais a priori une installation pour résister à des séismes de magnitude 10, 12 ou 20... car la magnitude la plus forte connue à ce jour était de 9,5 (Séisme de 1960 au Chili, http://fr.wikipedia.org/wiki/Tremblement_de_terre_de_1960_au_Chili) et calculer pour de telles magnitudes induirait un coût inacceptable pour des événements dont la probabilité est très voisine de zéro.

Ces estimations des risques conduisent à avancer que tel ou tel accident devrait pouvoir se produire tous les « x » années : un verra par exemple que « Pour un réacteur nucléaire à eau pressurisée (REP) tels ceux exploités en Europe de l’Ouest, le risque de fusion du cœur est estimé à 5.10-5 par centrale et par an » (http://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9bat_sur_l%27%C3%A9nergie_nucl%C3%A9aire).

Soit 5 fois tous les 100 000 ans ou une fois tous les 20 000 ans pour chaque réacteur.

Quelle était l'estimation homologue pour les réacteurs, d'un autre type, de Fukushima ?

Considérant ce type de probabilité et la durée d'activité d'une centrale nucléaire (40, 60, 100 ans bientôt ?) on peut se dire que nous avons d'excellentes chances de passer au travers de ce genre de déboires, mais la multiplication des réacteurs fait que le laps de temps entre la possibilité de deux accidents se réduit.

En tout état de cause il faut toujours se référer à la parole des « experts » car ils ont étudié de près toutes ces problématiques, ce qui est largement hors de la portée du commun des mortels.

Ainsi selon l'IAEA (International Atomic Energy Agency, http://www.iaea.org/) ce qui est arrivé à Fukushima n'aurait pas dû se produire (ne s'est pas produit ?).

C'est ce que nous apprend le « Pour une évaluation réaliste des risques » de M. Levenson et F. Rahn (http://www.iaea.org/Publications/Magazines/Bulletin/Bull234/French/23402093739_fr.pdf).

On lira dans ce document que les fuites d'iode radioactif sont retenues à l'intérieur des enceintes, même endommagées, ce qui serait également le cas des autres aérosols radioactifs, et qu'une évacuation « ne se justifie pas » hormis, au pire, dans un rayon de 1,5 à 3 km...

Les relevés de radioactivité effectués autour de la centrale de Fukushima ont donc probablement été conduits avec des appareils mal étalonnés, puisque les « experts » ont dit...

Nous perdrions très peu à les licencier sur le champ !


A en croire nos experts tout est donc prévu et rien ne se passera mais la réalité nous démontre le contraire.

Alors certes il ne se produit pas quotidiennement des accidents de type Fukushima (dont les conséquences finales nous demeurent inconnues : seront elles limitées aux dégâts actuels ou deviendront-elles pires) mais rien n'exclut qu'un événement comparable se produise demain au même endroit ou ailleurs dans le monde.

En fin de compte la question que pose le nucléaire est : sommes-nous prêts à perdre énormément, éventuellement beaucoup plus que ce qu'il aura pu nous rapporter, en utilisant le nucléaire ?

Voir au passage « L'assurance du risque nucléaire » (http://www.mines-energie.org/Dossiers/Nucl2003_1B.pdf).

Nous avons aujourd'hui la chance que les centrales de Fukushima aient rejeté relativement peu d'éléments radioactifs en mer et dans l'atmosphère, c'est d'ores et déjà très grave, cela aurait pu être pire et il ne sera pas exclu pendant un moment que ça le devienne.

En d'autres termes il résultera de cette catastrophe une « zone interdite » aux contours encore inconnus, dans laquelle toute activité humaine devra être exclue.

Acceptons-nous que, petit à petit, la terre soit mitée de telles zones au gré d'événements qui auront dépassé nos entendements et nos prévisions de l'instant ?

Des zones qui pourront être extrêmement étendues, au cas par exemple ou de grandes quantités de plutonium ou autres éléments dangereux seraient éjectées et portées loin par les vents.

Alors certes nous, en France, nous avons d'excellents experts, concepteurs du réacteur « le plus sûr du monde » : ce fameux EPR.

Mais nous avons 58 réacteurs en activité qui ne sont pas des EPR et ne sont donc pas si sûrs... mais pour lesquels « tout a été prévu », probablement...

Il y eût récemment cette éruption de l'Eyjafjallajökull (http://fr.wikipedia.org/wiki/Eyjafjallaj%C3%B6kull), ce volcan islandais qui paralysa un peu notre activité aérienne

Que se passerait-il si une éruption majeure du Laki (http://fr.wikipedia.org/wiki/Laki) avait lieu, nous recouvrait d'un épais brouillard sulfuré comme ce fût le cas en 1783, paralysant des pans entiers de notre société ?

Si cette éruption causait des épisodes climatiques plus extrêmes que ceux que nous imaginons aujourd'hui, des pluies plus que diluviennes et des inondations en conséquence... ?

A-t-on protégé chacune de nos centrales nucléaires contre tous les dangers que présenterait un tel événement ?

J'en doute fort : quelle est la périodicité connue (ou estimée) des éruptions de ce volcan ?

Probablement supérieure à 1000 ans : a-t-on calculé nos centrales pour des événements de périodicité millénaire ou supérieure ?

Il y a peut-être peu de chance que le Laki reprenne demain une activité seulement si cela se produit ce pourraient être une, deux, dix de nos centrales fort mises à mal : peut-être les trois quarts de notre pays pour porter le label « zone interdite ».

Que se passerait-il si un commando très bien entraîné, documenté, armé... décidait de prendre le contrôle d'une centrale nucléaire et d'y faire exploser des charges « bien placées » ?

Chacune de nos centrales est-elle suffisamment gardée, nuit et jour, pour faire face à une équipe très décidée ?

Mais.... car il y a un mais : l'EPR !

Une merveille de sophistication et de sécurité, calculée au quart de poil pour devenir le fleuron de notre industrie et tout le toutim...

Qu'on allait vendre partout, jusque dans la Lybie de Kadhafi même...

Cependant un point m'inquiète un peu...

La France a vendu à la Finlande un premier exemplaire de son EPR, en construction à Olkiluoto depuis septembre 2005 pour une mise en service initialement prévue mi-2009 et un montant global estimé à 3 milliards d'euros.

Ce réacteur est toujours en construction et son prix voisinera les 6 milliards d'euros.

Que je sois pendu si ces différences, dans les délais et les coûts, ne révèlent pas d'énormes erreurs d'appréciation, donc de calcul !

Car tout, dans ce domaine, se chiffre (ou doit se chiffrer) et je vous en parle en connaissance de cause car mon parcours professionnel m'a conduit à élaborer des devis assez complets (notamment pour des portions de raffineries, on ou off shore, et autres usines...).

Quand vous chiffrez un module de 500 ou de 2000 tonnes pour une plateforme d'exploitation pétrolière croyez bien que vous n'avez pas (vous et votre équipe) le droit à une incertitude de 50%, ni sur les temps de réalisation ni sur les prix !

De toute évidence l'étude de fabrication de l'EPR n'a pas été réalisée avec le sérieux indispensable et l'appréciation de l'autorité de sûreté finlandaise, la STUK, est sans ambiguïté à ce point de vue : « Une situation telle que celle-ci ne devrait pas être possible dans un système de qualité fonctionnant correctement » (http://fr.wikipedia.org/wiki/Centrale_nucl%C3%A9aire_d%27Olkiluoto).

Or il me semble que l'on est en droit d'attendre de la part du concepteur / constructeur d'une usine de ce genre une attitude extrêmement homogène : le stade de la conception et celui de la construction doivent être marqués d'un sceau identique de compétence et de sérieux.

Pour ce qui concerne l'EPR, et vu qu'aucun exemplaire n'a jamais fonctionné, nous ne pouvons émettre une appréciation que sur le stade de la construction, les qualités du stade de conception ne pouvant être révélées que lors du fonctionnement de l'installation.

Je redoute que nous ayons à découvrir qu'il existe une certaine homogénéité, de la part du concepteur / constructeur, entre les deux stades... avec des erreurs de calcul comparables...


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