Pourquoi je n’irai plus au salon du livre de Paris

par Fabienm
mercredi 23 mars 2016

Entre vous et moi, y'a des sujets plus graves que celui-là (j'en ai conscience). Mais de temps en temps, il faut bien se détendre.

Il paraît que nos actes ont des conséquences. Si, si.

 

Petit exemple :

Je m’appelle Jules et je suis à la maternelle. Le petit – plus petit que moi en tout cas – Léon me vole mon BN. Je lui fous une tarte (il aura bien mangé celui-là aujourd’hui).

C’est ce qu’on appelle le principe d’action - réaction.

(et le lendemain, le père de Léon vient éclater la gueule du père de Jules, c’est ce qu’on appelle une réaction en chaîne.)

Ainsi donc, les actes commis par Léon ont eu des conséquences (parfois qui dépassent ses espérances, soyons clairs).

 

Dans la vraie vie (celle des grands qui se lavent les dents et votent consciencieusement à chaque élection – ce qui ne les empêches pas d’avoir des caries et le FN à 15%), c’est pareil.

Ainsi, quand on met un prix d’entrée à un salon du livre à 12 €, que l’on monétise le marché de la dédicace en exigeant 2 € pour tout livre qui rentre, que l’on fout le parking à 40 boules, que le moindre sandwich dégueu est à plus de 5 €, que l’on loue des espaces microscopiques à des prix prohibitifs, bref qu’on fait chier tout le monde pour se faire un max de blé, eh ben on se prend -15% de fréquentation dans la tronche. Et c’est mérité. Merci le salon du livre de Paris, c’est une belle réussite populaire et culturelle.

 

 

My user experience

Ouais, je suis moderne, je maîtrise grave la langue de l’autre con qu’a fait des pièces de théâtre avec des gens qui meurent ou qui causent à des crânes et donc je dis « user experience » plutôt qu’autre chose. Et puis, ça donne une caution et me permets de dire des choses définitives sur l’état du monde, auréolé que je suis de mon statut de « customer ».

Bref, j’étais au salon du livre porte de Versailles ce vendredi 18 mars parce qu’il se trouve que je devais signer quelques exemplaires d’un recueil de nouvelles (intitulé « L’inconvenance du désastre »). Connaissant un peu le truc, je m’étais mis plein de rendez-vous pour pas trop m’emmerder. Je suis quand même resté assis une petite heure sur le stand (enfin, sur une chaise plutôt) et j’ai attendu que des passants s’égarent jusqu’à moi.

Les dix premières personnes croisées « cherchaient un éditeur ». En effet, j’avais oublié – quel poisson rouge je fais – qu’il y avait plus d’auteurs à la recherche d’un éditeur que de lecteurs au Salon du Livre. Comme « prendre de l’auteur », c’est pas trop mon créneau (qui est un peu plus au ras des pâquerettes, soyons clairs), j’ai fait comme si je n’avais pas compris la question et j’ai mal orienté ces charmants promeneurs (« au fond à droite, Gallimard cherche de nouvelles plumes »).

Au bout d’un certain nombre de refus polis (« je voudrais bien acheter, mais j’ai plus un rond et j’ai déjà claqué 12 euros pour rentrer »), je me suis dégourdi les jambes et me suis baladé.

J’ai vu beaucoup de classes, de jeunes qui se couraient après, beaucoup de files d’attente (des gens voulant voir des « people »), quelques « peoples » sans files aussi (honte suprême) et finalement pas tant de monde que ça, à part sur les stands des éditeurs de poche et autour des rares points où l’on pouvait se poser (il faut croire que les organisateurs n’aiment pas trop l’idée que les lecteurs puissent poser leur cul une fois de temps en temps).

Au final, je me suis senti assez mal à l’aise, car cela ne ressemblait pas vraiment à un salon du Livre comme je les aime où l’on prend le temps de parler aux gens, où l’on fait des rencontres. Cela ressemblait plutôt à une espèce de grosse foire où l’on doit être vu (pour certains) et où l’on veut aller à la rencontre de l’éditeur qui ne répond jamais au téléphone (sait-on jamais) si on a la chance de cibler un éditeur qui n’a pas boycotté la manifestation (ils sont de plus en plus nombreux). C’est surtout, bien évidemment, une superbe machine commerciale où tout est payant (et cher en plus). En un mot comme en cent, cette manifestation me fout la gerbe.

 

 

La polémique qui sert à rien

Alors oui, comme d’habitude, ce salon fait polémique. Ainsi, Augustin Trappenard a-t-il reproché, en plus des points déjà mentionnés, la surreprésentation des auteurs indépendants.

Ce à quoi un bloggeur a répondu qu’il ne comprenait pas très bien, parce que (en vrac) :

 

Bon, un auteur autoédité qui défend l’autoédition, rien de bien neuf vous me direz, mais la liste des arguments qu’il utilise me permet de revenir sur plusieurs billets qui ont émaillé la blogosphère récemment (notamment sur le refus de plusieurs bloggeurs de parler des auteurs à compte d’auteur ou autoédités).

Déjà, il me semble que se plaindre en tant qu’autoédité de manquer de visibilité, c’est un peu comme si un promeneur crachait en l’air et disait qu’il pleut. En effet, il semblerait que ce bloggeur ignore que le marché du livre souffre d’une surproduction globale patente, qui le rend doublement asymétrique : trop d’auteurs voulant être édités pour le nombre de livres qui paraissent, ce nombre étant lui-même trop important pour le nombre de lecteurs.

Donc évidemment, cela crée une double frustration : celle de l’auteur non publié, puis celle de l’auteur publié qui vend peu (sans parler de la frustration du lecteur qui ne sait plus quoi lire).

Ignorer ensuite que la majorité des manuscrits refusés par les éditeurs vont ruisseler sur le marché de l’autoédition et de l’édition à compte d’auteur, c’est refuser d’aller au bout du raisonnement.

La première conséquence est que l’autoédition participe largement au problème de surproduction en contournant les digues de la sélection éditoriale.

La deuxième conséquence est que s’il existe sans aucun doute des auteurs autoédités de qualité, ils sont noyés dans la masse d’une production de mauvaise qualité et dans laquelle il est peu aisé de s’y retrouver.

Ensuite, ne pas voir que la presse ne peut pas s’intéresser aux auteurs autoédités, c’est faire preuve d’une naïveté confondante. Les journalistes n’ont déjà pas le temps de prendre connaissance de la production des gros éditeurs qui font un gros travail de sélection (cela n’aura pas échappé aux auteurs recalés), comment pourraient-ils avoir le temps (et même l’envie) de se jeter dans cette jungle qu’est « l’édition indépendante » comme on dit parfois ?

Il y a de moins en moins d’espace culturel dans l’ensemble des publications et de plus en plus de livres, l’équation n’a pas de solution. Ainsi, que cela plaise ou non, il existe une réelle nécessité de régulation plus ou moins objective, il n’y a pas d’autre solution, ou alors faut qu’on me l’explique (je suis preneur, sincèrement).

Enfin, concernant la sélection des manuscrits et l’apparente injustice qui s’y cache, j’ai déjà écrit un article sur le sujet : ici.

 

 

En conclusion, personne ne dit que l’autoédition, c’est le mal. Personne ne dit qu’il n’y a que de la daube dans l’autoédition, cela serait absurde. Mais refuser de voir que mécaniquement les livres autoédités (ou pire en édition à compte d’auteurs) sont globalement moins bons parce qu’ils sont passés par moins de filtres, c’est faire preuve d’un aveuglement assez étrange (ou d’un peu de mauvaise foi). Si une maison d’édition refuse 99% des manuscrits qu’elle reçoit en prétextant que la qualité n’est pas au rendez-vous, il ne faut pas se leurrer, les 99% refusés vont grossièrement alimenter le marché de l’autoédition et de l’édition à compte d’auteur, façon vase communiquant.

 

Moins on tamise et plus il est dur de trouver de l’or.

 

-------

 

Retrouvez tous les articles inutiles de Jean-Fabien sur http://www.jean-fabien.fr

 


Lire l'article complet, et les commentaires