Pourquoi je souhaite au peuple tunisien de choisir Moncef Merzouki…

par D.BENCHENOUF
mercredi 3 décembre 2014

Le plus remarquable chez cet homme, qui a pourtant longtemps vécu en occident, et qui voue à celui-ci une sincère remarquée, est qu’il ne confond pas modernité avec occidentalité. Il est trop empli de son identité matricielle, pour vouloir importer en kit une autre que celle qui fonde celle de sa propre société, de la mémoire collective de son pays, dont l’histoire est trop riche, trop dense, pour être ainsi phagocytée par une quelconque autre. Merzouki sait que les peuples sont appelés à vivre eurs propres parcours historiques, pour se délester de leurs travers, pour retrouver leur voie, que c’est sur leurs valeurs et leur être mémoriel qu’ils doivent se fonder, et non pas se dissoudre dans des modèles dominants.

Tout journaliste que je suis, et malgré le vieux et grand rêve d’un Maghreb des peuples, que je porte en moi depuis le jour où j’ai lu le roman « Idriss » de Ali El Hamami, je ne peux pas dire que je me suis particulièrement intéressé aux personnalités politiques maghrébines contemporaines les plus illustres, si je peux dire, dont la réputation est très souvent douteuse, largement usurpée. Et pour cause ! Pour exister, ces hommes providentiels, voire miraculeux, ont systématiquement recouru à la méthode, très simple, qui consiste à effacer tout ce qui n’est pas eux. Effacer tous ceux qui leur faisaient de l’ombre. Mais ils n’ont pas toujours sorti, de leur champ de vision, ces gens qui les gênaient de façon systématiquement brutale et définitive. Même s’il s ne s’en sont pas privés par ailleurs. Ils ont su, aussi, user de cette persuasion qui ne laisse pas le choix, voire même de la corruption pure et simple. En Algérie, par exemple, d’authentiques grands leaders révolutionnaires, ont été achetés, rubis sur l’ongle, par ceux qui avaient volé l’indépendance en 1962.

Ces méthodes, et d’autres, tout aussi sordides, omniprésentes dans les mœurs politiques de nos contrées avaient donc refroidi mes ardeurs maghrébines avant même que celles-ci ne fleurissent et ne prospèrent en moi. Elles se sont donc calfeutrées dan le rayon « rêves et utopies en tout genre » et se sont peu à peu évaporées.

Ce sont donc ces vilenies, mais aussi cette inexplicable ingratitude de nos peuples à l’endroit de ceux qui les avaient libérés, qui avaient tout donné pour eux, qui avaient continué à se battre pour eux, au moment où ceux qui s’étaient vendus, passé et présent, aux nouveaux maîtres, qui avaient tiré brutalement en arrière le mors cruel de ma ferveur révolutionnaire et maghrébine. 

En fait, j’ai choisi un chemin de traverse, pour changer de rive, la voie la moins courageuse, la moins noble, la plus facile. Abjurer ses convictions, rejeter la faute sur les autres, et jeter le bébé avec l’eau du bain. Pour moi, désormais, c’était « Tous pourris ! » Et dans le même sac, je mettais tout le monde, les politiciens et les foules qui les applaudissaient. Les seuls qui trouvaient grâce à mes yeux étaient ceux qui avaient été assassinés par leurs régimes respectifs. Dans mon immense et non moins stupide conviction, les seuls héros étaient les purs et les durs, seulement ceux qui avaient été assassinés. Tous les autres, je les mettais dans le même sac de la compromission.

Cette attitude, calcifiée en moi dès on plus jeune âge, squatta mon cœur, et en occupa tous les quartiers. Jusqu’au jour où se leva le vent de jasmin ! Ce fut là, je crois, que je pus revenir à mes aspirations naturelles, que je pus renouer avec mon rêve maghrébin, que je repris confiance en les gens, que je sus qu’il ne faut jamais désespérer de son peuple, même dans ses moments les plus abjects, parce que sous les cendres de l’ignominie, la mémoire collective, la dignité collective, le courage collectif, et surtout les rêves d’une vie plus digne, plus noble, plus juste, ne meurent jamais. Ils s’assoupissent, et tombent en léthargie, sous l’effet anesthésiant de régimes sournois et corrupteurs, mais il suffit d’une étincelle, pour que s’allume le plus beau feu de joie.

C’est ce qui eut lieu en Tunisie !

Le fait que ce prodigieux évènement se soit produit en Tunisie, a hâté mon propre réveil. C’était comme si une gangue qui enfermait mes rêves venait de se briser sous les coups de marteau de celui qui avait coulé mes horizons dans un moule d’argile.

Je renaissais, et dans mon cœur, se transformait l’image du peuple tunisien, que l’imaginaire collectif nous avait toujours dépeint comme un peuple craintif et pusillanime. Parce que nous avions désappris les valeurs vraies, et que nous confondions douceur avec peur, placidité avec lâcheté, civisme avec suivisme. Nous avions oublié aussi, que ce sont es tonneaux vides qui font le plus de bruit, quand ils dévalent les ruelles.

La Tunisie était donc devenue pour moi, comme pour la plupart de mes compatriotes, et pour la plupart des peuples de la région, et des peuples arabes en général, le pays d’où se levaient les aurores roses.

Le signal était donné. De partout fusèrent les cris de révolte. Les femmes et les enfants étaient aux premiers rangs, et criaient « selmia, selmia ». Tous ailaient vers les soldats, pour les embrasser, leur offrir des fleurs, des dattes et du lait. Mais c’était compter sans les forces qui dirigent le monde, celles-là même qui avaient mis nos despotes à la tête de nos pays, qui les protégeaient en faisant semblant d les appeler à plus de retenue.

Et c’et ainsi que les printemps des peuples dégénérèrent en bourbiers de sang et de chair. Les forces de la réaction, particulièrement l’Arabie Tayhoudite, puis le régime algérien, entre autres, allait mettre des moyens énormes, pour faire capoter ces frémissements populaires. Puis, très vite, les puissances occidentales, et Israël, qui n’acceptent jamais qu’un quelconque mouvement populaire, sous quelque latitude puisse-t-il se passer, ne soit pas sous leur contrôle, ont vite compris que cette menace contre leurs alliés et leur intérêts propres, pourrait devenir un atout entre leurs mains. Pour reconfigurer tous ces pays, les morceler, les diviser, puis les monter les uns contre les autres. Jusqu’à leur créer des Califats fantoches, manière de tourner les rêves et les délires des salafistes extrémistes en tragicomédie.

Nous en sommes là, aujourd’hui, sauf pour la Tunisie, qui est en train d’administrer une leçon magistrale à tous les peuples de la terre. D’abord et surtout, pour sa capacité à ne pas se laisser manipuler, à ne pas se laisser entraîner par ses extrêmes, vers des situations de confrontation. Ensuite, pour le civisme de ses populations, pour leur conscience politique, leur vision, et leur confiance en leur propre génie.

Des forces sournoises ont fait tant et plus, pour les déstabiliser, les plonger dans la violence, faire intervenir leur armée, pour lui faire commettre l’irréparable, injecter des groupes terroristes dans le maquis, financer des médias pour semer la zizanie. Rien n’y fit ! Au point où même les islamistes d’En Nahdha, qui avaient pourtant été élus par le peuple, préférèrent partager le pouvoir, alors que rien le les y obligeait vraiment, que de faire courir un risque de division au pays. Ce geste, d’une très haute portée historique, n’a pas été salué à sa juste valeur, surtout pas par les habituels donneurs de leçons occidentaux, si prompts à nous gaver de leur admiration pour l’ « exemplaire » démocratie israélienne.

C’est donc, en partie, grâce à cette volonté d’En Nahdha, de partager le pouvoir, avec les deux autres partis les plus présents au Parlement après elle, Etakattol et le Parti démocrate Progressiste que préside Moncef Merzouki que la figure de celui-ci a pu émerger de façon aussi remarquable qu’elle le fut.

En acceptant que la présidence soit confiée à Merzouki, les Nahdhaouis étaient confiants. Ils savaient qui il était, et ce qu’étaient ses convictions profondes. Il n’était pas des leurs, mas c’était un homme de parole, qui a de la pratique politique un sens élevé et sincère. Et plus que tout, même s’il porte ses convictions progressistes en bandoulière, il n’a jamais dénié, bien au contraire, aux islamistes de s’exprimer surr la scène politique, ni de recourir à la légitimité par la voie du suffrage universel.

Il ne s’est jamais servi de ces épouvantails et de ces repoussoirs anti-islamistes, pour faire peur à la rue, pour agiter le spectre de l’afghanisation et de la somalisation de son pays. Son seul postulat, et son seul paradigme politique sont que quiconque s’inscrit dans un cadre démocratique, qui ne remette pas en cause les droits de l’Homme, et les avancées en matière de droits de la femme en Tunisie, est libre de solliciter la bénédiction du peuple.

Le plus remarquable chez cet homme, qui a pourtant longtemps vécu en occident, et qui voue à celui-ci une sincère remarquée, est qu’il ne confond pas modernité avec occidentalité. Il est trop empli de son identité matricielle, pour vouloir importer en kit une autre que celle qui fonde celle de sa propre société, de la mémoire collective de son pays, dont l’histoire est trop riche, trop dense, pour être ainsi phagocytée par une quelconque autre. Merzouki sait que les peuples sont appelés à vivre eurs propres parcours historiques, pour se délester de leurs travers, pour retrouver leur voie, que c’est sur leurs valeurs et leur être mémoriel qu’ils doivent se fonder, et non pas se dissoudre dans des modèles dominants. Mais lui-même reste fortement ancré dans ses positions d’homme de gauche. Ce n’est pas pour rien, que Nelson Mandela en personne à demandé avec force à Benali de le libérer de prison. Moncef Merzouki est une chance pour la Tunisie. Il faut lui souhaiter qu’elle accepte de le porter à sa tête, et qu’elle lui fasse confiance.

C’est cela, ce sont ces convictions et cette vision qui rendent Merzouki attachant autant que prometteur. Si j’étais Tunisien, je voterais pour lui sans l’ombre de la plus petite hésitation. Et en tant que Maghrébin, j’ai déjà voté pour lui, pour assurer la première présidence du Grand Maghreb, dont la réalisation sera d’autant plus hâtée si de tels hommes sont portés à l’avant-garde de notre destin commun.

Djamaledine Benchenouf


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