Pourquoi le Front national peut l’emporter mais difficilement gouverner
par MUSAVULI
jeudi 10 octobre 2013
Marine Le Pen considère désormais que son parti, le Front national, est le premier parti de France. Elle est confortée par les résultats des sondages et des projections portant sur les prochaines élections. En effet, le front national est en tête dans les intentions de vote aux prochaines élections européennes avec 24 %, devant l’UMP à 22 % et le PS à 19 %. Marine Le Pen est surtout requinquée par la stratégie, payante, qu’elle a mise en place depuis son élection à la présidence du parti en janvier 2011. Elle est portée par une ardente détermination à accéder au pouvoir et à gouverner.
Un parti comme les autres
Le premier, elle le doit à elle-même. En éloignant systématiquement les groupuscules qui ternissaient l’image du parti, et en évitant des provocations inutiles, elle reste ferme sur le socle idéologique du FN mais avec une rhétorique qui passe. Ecoutée sans arrière-pensée, on en arrive même à la trouver plus modéré que des « républicains » comme Nicolas Sarkozy et autres Manuel Valls. Bien entendu, elle sait que rien ne lui sera pardonné en cas de moindre dérapage sur des questions sensibles comme le racisme et la xénophobie, voire les « affaires » politico-financières. Savoir se discipliner… en voilà une qualité qui séduit au-delà des clivages politiques.
La fin des clivages classiques
Le deuxième facteur jouant en sa faveur est, sans nul doute, l’épuisement idéologique des partis classiques de gouvernement. On sait maintenant qu’un gouvernement de gauche mène à peu près la même politique qu’un gouvernement de droite. Ils sont tous socio-démocrates et entretiennent les mêmes relations avec le capitalisme financier. Nicolas Sarkozy n’a pas été battu à cause de ses résultats en matière économique et social. Il a été battu parce que sa personne exaspérait. Les Français avaient besoin d’un président un peu plus apaisé.
Une certitude s’est donc durablement installée dans l’opinion selon laquelle les grands partis du gouvernement sont interchangeables. On vote pour sanctionner des individus, et non pour escompter une nouvelle politique. Tant que la situation socio-économique était supportable, ce va-et-vient électoral pouvait encore durer. Mais à un certain niveau du chômage, de la pauvreté, et surtout face à un avenir désespérément incertain, trahissant l’impuissance des partis classiques de gouvernement, la tentation est grande d’essayer une autre recette. Et le Front national sait qu’il a une occasion historique à saisir.
Les Français votent
Le troisième facteur qui est à la fois un atout et un piège pour le Front national est que la France est quand même une démocratie. Les électeurs n’ont pas peur de voter pour n’importe quel candidat parce qu’ils savent qu’ils peuvent le « virer » aux prochaines élections. Même avec un président FN, la France ne risque pas de se transformer en dictature. Contrairement à certains peuples qui croupissent sous des régimes autoritaires, les Français peuvent manifester, s’exprimer librement et, aux prochaines élections, « virer » les dirigeants dont ils ne veulent plus. Le Front national qui traîne un bilan mitigé de la gestion des mairies qu’il a autrefois réussi à conquérir (Vitrolles, Marignane, Orange) pourrait être paralysé, une fois au pouvoir, par la hantise du faux pas.
Plus globalement, le Front national, s’il parvient aux responsabilités, pourrait être confronté à l’insurmontable difficulté de détricoter un ensemble des lois nationales, européennes et des traités internationaux qui empêchent la mise en place ne serait-ce que d’une partie de son programme politique. Les réformes ou les programmes de rupture portant sur des sujets comme la nationalité, la protection des frontières, la préférence nationale, la sortie de l’euro,… sont en théorie réalisables, mais à quel prix !
Toute une mandature pourrait s’épuiser avant qu’une seule de ces thématiques ne fasse l’objet d’une réforme en profondeur. Sachant, par ailleurs, que les adversaires politiques risquent d’être inlassablement vent debout, et que le parti frontiste, comme tout parti arrivé au pouvoir, veillera à ne pas perdre les élections à venir, un certain réalisme dictera de la modération dans le programme actuel.
Jouer à se faire peur
Finalement, l’avenir de la France avec ou sans le Front national au pouvoir (national ou local) ne mérite peut-être pas autant de passion. On s’amuse abusivement à se faire peur. Il n’y aura ni pogrom ni ratonnade à l’initiative des gens qui tiennent à gouverner.
Il est en revanche peu probable que le programme du Front national soit appliquer tel quel. Un travail de toilettage sera inévitablement réalisé, ne serait-ce que pour éviter à la France de s’offrir défavorablement en spectacle en Europe, et même sur le plan international.
« Nous ne sommes pas seuls au monde », finiront par se persuader les dirigeants frontistes. Autrement, ils pourront difficilement gouverner.
Boniface MUSAVULI