Pourquoi le PCF devrait se réjouir d’avoir été traîné dans la boue par François Hollande

par Alexandre Gerbi
mercredi 22 avril 2015

Au-delà de ses cris d'orfraie, dans son for intérieur, la direction du PCF est-elle vraiment marrie du rôle de héros sacrificiel que lui a assigné son grand allié le PS, par la bouche de François Hollande en personne ? Tentative d'éclairage dans l'arrière-cuisine de ce qu'il reste de la "Gauche" française...

Dimanche 19 avril 2015, sur le plateau de Canal+, François Hollande a déclaré que "Marine Le Pen parle comme un tract du Parti Communiste des années 70". Cette assertion a suscité l'ire de Pierre Laurent, Secrétaire national du PCF, et de la plupart des communistes de France et de Navarre.

Mais autant d'émoi, s'il n'est pas feint, est-il vraiment justifié ?

En effet, si le PCF critique régulièrement la politique gouvernementale (comment, du reste, pourrait-il faire autrement sans se discréditer auprès de ses militants et de ses derniers électeurs ?), le même PCF, après avoir aidé le Parti Socialiste à gagner la présidentielle 2012 (le soir du premier tour, dès l'annonce des résultats ; en phase avec son allié communiste, Jean-Luc Mélenchon appela ses électeurs à "battre Sarkozy" "sans rien demander en échange"), le même PCF a continué, depuis trois ans, de s'allier avec le PS dans pratiquement toutes les élections (parfois dès le premier tour, comme aux municipales à Paris, quitte à se brouiller, du moins en apparence, avec le bouillant "Méluche"), tout en refusant obstinément de dénoncer la réalité pourtant flagrante de l'UMPS. Alors même que, contrairement à une idée répandue, ce concept très pertinent, l'UMPS, n'a pas été forgé par le FN, mais, on le rappelle rarement, par le PRCF, branche dissidente du PCF, en 2004, dans la perspective du référendum de 2005 sur le Traité européen...

Mieux encore, tout se passe comme si le PCF avait renoncé au pouvoir et choisi de devenir groupusculaire, en s'enfermant dans un programme suicidaire à force de dénis de réalité, et d'avoir gardé pour unique ambition la lutte contre le Front National, son ennemi juré. Etrange destinée que celle de celui qui fut, jadis, le premier parti de France, dont la double fonction semble aujourd'hui réduite à aider le Parti Socialiste à prendre le pouvoir, quitte à voir celui-ci appliquer, finalement, une politique ultra-libérale... aux antipodes de ses valeurs ; tout en consacrant, dans le même temps, ses énergies à combattre fébrilement le FN, au motif que ce dernier est... aux antipodes de ses valeurs !

Ces incohérences étant énoncées, un constat s'impose : François Hollande, en accusant le FN d'avoir pour programme "un tract du PC des années 70", n'a fait que reprendre, presque mot pour mot, l'argumentaire anti-FN développé par Nicolas Sarkozy à la faveur des élections départementales, quelques semaines plus tôt : "le FN a un programme économique d'extrême gauche", avait lancé le président de l'UMP.

Ainsi, la convergence et la collusion du PS et de l'UMP, pardon, de l'UMPS, trouve une fois de plus son éclatante illustration, puisque les deux larrons reprennent, à un mois de distance, exactement la même rhétorique...

Or cette stratégie commune à Hollande et à Sarkozy, a manifestement pour but d'empêcher le FN, qui a fait le plein sur sa gauche (au gré de la stratégie Philippot, qui a conduit le FN à 25%), de s'étendre à présent sur sa droite, c'est-à-dire sur l'électorat de l'UMP, en particulier au deuxième tour.

Explication : si d'aventure le FN parvenait, au cours des deux prochaines années, à rallier une partie conséquente de l'électorat de l'UMP, le parti de Marine Le Pen serait en mesure non seulement d'éliminer Sarkozy (ou même Juppé) dès le premier tour de la présidentielle 2017, mais aussi de battre Hollande au deuxième tour...

Accréditer l'idée que le FN est d'"extrême gauche" ou conforme à "un tract du PC des années 70", pour Sarkozy et Hollande, c'est donc espérer faire d'une pierre trois coups :

D'une part, contenir le développement du FN, en l'empêchant d'attirer à lui, en grand nombre, d'autres électeurs de l'UMP.

D'autre part, pour Nicolas Sarkozy, conserver à lui ces mêmes électeurs.

Enfin, pour François Hollande, en se posant ainsi, implicitement, comme "plus à droite" que le FN, convaincre les électeurs de l'UMP de voter pour lui plutôt que pour Marine Le Pen, dans un éventuel deuxième tour lors de l'élection présidentielle...

En somme : l'image du PCF, comme celle de l'extrême gauche, est simplement instrumentalisée, bandie en épouvantail, tantôt par Hollande, tantôt par Sarkozy, dans le but d'effrayer l'électorat UMP et de le dissuader de voter pour le FN. Afin, in fine, de permettre à l'UMPS de se maintenir au pouvoir, une fois de plus.

Conclusion : c'est au nom de la lutte contre le FN que Hollande a traîné son petit allié, le PCF, dans la boue. A moyen et long terme, cette manoeuvre de l'UMPS ne devrait donc pas donner trop d'urticaire à la direction du PCF : celle-ci a prouvé depuis longtemps qu'elle avait le sens du sacrifice. Et comme en l'occurrence, c'est pour la bonne cause...


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