Pourquoi les bayrouistes deviennent une secte
par Nicolas Chelay
mercredi 11 avril 2007
Et si l’UDF était, au fond, le parti qui avait le plus à perdre dans cette élection ? Alliée au pouvoir en place, son bilan n’est pas fameux, et la formation n’a guère brillé depuis des années... Heureusement que l’élection permet de relancer la vieille chimère de « l’archaïsme droite/gauche »... Enquête...
Jouons cartes sur tables d’emblée : je suis de gauche, royaliste, et profondément dégoûté par la droite française. Ceci expliquant sans doute un peu cela. J’essaierai néanmoins, ici, de rester objectif.
Pourquoi qualifier l’UDF de secte en puissance ? C’est bien connu, les sectaires se coupent de la réalité, et ne se réfèrent qu’à leur gourou. En la matière, les bayrouistes sont champions... Mis à part leur sauveur, sont-ils capables de prononcer le nom de cinq autres élus de leur formation politique chérie ?
Non, dans leur immense majorité. Connaissent-ils au moins Lecanuet ? Gageons que non, non plus. De même que les LCR seraient globalement bien en peine de le faire, au final, les bayrouistes ne croient vraiment qu’en Bayrou (et comme celui-ci est persuadé que la Sainte Vierge veut qu’il devienne président, la boucle est bouclée...)
Mais trêve de plaisanteries. Car justement, si la présence de Bayrou en 2002, qui tenait à peu près le même discours ( anti-sarkozysme de façade excepté), semblait légitime, celle de 2007 est quand même d’une autre cuvée. Car de 7% des électeurs (ce qui n’est pas négligeable), les médias voudraient à présent qu’il en représente plus de 20%.
Du jamais vu dans l’histoire d’un parti politique, en France, non ? Et bizarrement, il arrive jusqu’au score (supposé) de la seule candidate qui, en définitive, effraie réellement la droite. Quel heureux hasard. Stratégie de la confusion ? Non, le fait qu’on projette systématique Bayrou en grand vainqueur du second tour, quel que soit le cas de figure (et Royal en perdante dans les mêmes conditions) n’est également qu’une coïncidence. Autant que le fait que la plupart de ces instituts appartiennent à la droite, et que tous accordent une « hésitation des électeurs » à hauteur de plus de 60% pour l’UDF. Ce n’est bien sûr pas pour se dédouaner au soir du 22 avril, en disant : « Ah, bah, il a fait 10%, mais on vous avait prévenus. »
Alors continuons sur les chiffres, et poursuivons ensuite sur le politique. En additionnant les scores de la droite, on trouve plus de 65% d’intentions de vote - avec un FN à son score d’il y a quinze ans. Incroyable, non ? Une première historique (encore une !), surtout après cinq ans de gouvernement de droite avec un président qui flotte à 20% d’opinions favorables dans les sondages, et toutes les régions qui sont tombées à gauche (sauf une !). Nonobstant, la droite représenterait toujours 2/3 des électeurs français, et l’UMP fait un score sans précédent (presque ou plus de 30%). A côté, Bayrou, qui serait le gagnant obligatoire au second tour, ne serait donc plus très loin. Et la gauche ? Bof, elle n’existe pas, hein. LO fait un tiers de son score de 2002, les Verts sont dégagés à 1%, Besancenot n’a pas ses 5%, Bové est presque inexistant, et quoi qu’il arrive, Royal est toujours derrière. Sarkozy est vainqueur pour le 2237e fois consécutive. Normal.
Et pour les bayrouistes ? Ils veulent contrer la droite avec la droite. Je les rassure : s’ils sont de droite, tant mieux pour eux. Sinon, ils devraient peut-être se pencher sur les ACTIONS de l’UDF depuis sa création jusqu’à maintenant, et qui ont été : faire une politique de droite (parfois dure), en étant systématiquement allié avec le parti de droite au pouvoir. Aucune alliance n’a eu lieu avec d’autres partis, y compris dans les conseils municipaux, sauf occasionnellement avec le FN. Depuis sa création jusqu’à maintenant - si l’on excepte le fait que moins d’une dizaine de députés UDF sur trente ont voté la motion de défiance lancée par le PS. Ils n’en ont pas moins approuvé toutes les décisions de l’UMP jusqu’en 2004.
Quid de Bayrou, donc ? Passera-t-il de 7% à 21% ? Je ne me permettrai pas de me gausser d’un vote ni de le juger. C’est très vulgaire. Le vote est sacré. Seulement un candidat qui passe du score voisin de celui d’Arlette Laguiller à dix fois son score ( 2%-20% ) en cinq ans, vous ne trouvez pas ça un peu louche ?
La vérité, c’est que les deux tiers des Français ne veulent plus de Le Pen au second tour, que beaucoup ne veulent pas de Sarkozy, et que beaucoup encore ont tellement peur de devoir choisir qu’ils en restent finalement aux sondages, qui ont la valeur politique des ragots. Du professeur qui va voter Bayrou parce qu’il a entendu n’importe quoi sur Royal et les 35 heures dans les établissements, alors que l’UDF a viré des dizaines de milliers de professeurs, mis un million de manifestants dans la rue, et que Robien (UDF) vient encore de « dégraisser » à tour de bras, d’imposer la bivalence, et de réduire les salaires des professeurs... c’est consternant. Des petits jeunes qui découvrent la politique, qui croient réellement que le centre existe alors que l’UDF n’a toujours été (et ne sera probablement toujours) que de la droite, c’est bien triste quand même. Il y a les pseudo-rebelles, ceux qui veulent absolument avoir tout compris, et d’abord que « la gauche et la droite c’est archaïque ». Des gens qui votent pour le coup de la claque de 2002, un tracteur, ou une image « honnête » sans connaître une seule autre personne qui compose le système de l’UDF... prouvent que les Français ont été gravement désinformés d’une part, que beaucoup ne savent pas choisir d’autre part, et surtout que plein de personnes ne croient plus en « la gauche et la droite » - sans comparer le travail de ces deux ensembles de formations politiques.
Ce qui est amusant, c’est que les seuls qui veuillent détruire le clivage gauche/droite... sont à droite (mis à part Chevènement en 2002). En bref, le poujadisme (tous pourris sauf moi) va grand train cette année... preuve qu’une ruse vieille de plusieurs siècles fonctionne toujours aussi bien. Mais n’est-ce pas Bayrou qui, en 2002, disait : « Il ne faut surtout pas voter socialiste » et « Un homme politique doit faire des choix clairs. Je me range du côté de ma famille politique » ?
Alors, croyez ce que vous voulez, amis bayrouistes, mais si votre sauveur s’oppose à l’UMP, ses trente députés ont peu de chances d’être réélus. Il faudrait en fait que l’UDF devienne, d’un coup, le parti le plus puissant de France, passant de la 4e place en 2002 à la première en 2007, donc en triplant au minimum son score. Joli grand écart. Et, si d’aventure Bayrou s’opposait au vote Sarkozy au second tour (ou au vote systématique à droite), ou refusait de participer à la majorité en cas de victoire de l’UMP, je m’engage à courir tout nu sur la place de la Concorde. Ca marche ?