Pourquoi nous devrions écouter les services secrets israélien en ce qui concerne la gestion du terrorisme

par Joseph
samedi 17 juin 2017

Dans un documentaire, 6 anciens directeurs du Shin Beth (l’équivalent de notre DGSI) évoquent leurs souvenirs en ce qui concerne la lutte contre le terrorisme en Israël. Ils arrivent à la conclusion que le tout répressif n’est pas la solution, mais aussi que le dialogue devrait se faire avec tous les protagonistes sans distinction. Si la situation en Israël n’est pas comparable avec la nôtre, l’expérience israélienne pourrait tout de même nous aider à mieux lutter contre le terrorisme, et nous aider à ne pas refaire les mêmes erreurs. Au delà du terrorisme, l’expérience israélo-palestinienne nous permet aussi de mieux comprendre comment l’extrémisme d’un camp alimente l’extrémisme de l’autre camp pour aboutir à des situations complexes à résoudre avec le temps. Mais aussi pourquoi chacune des communautés en lice se met en danger en prétextant vouloir se protéger à l’aide d’actions radicales, souvent injustes et contre-productives, qui ne feront qu’augmenter les problèmes.

Une montée parallèle des extrémismes qui a empêché le processus de paix de se réaliserpour aboutir à l’assassinat d’Yitzhak Rabin

Depuis la création de l’état israélien durant l’après guerre, de nombreux évènements se sont produits. Des réactions que l’on peut qualifier d’extrémistes ont eu lieu des deux côtés.

Du côté palestinien, la création de plusieurs groupes aux actions radicales en réponse à l’occupation israélienne. Mais aussi une montée de l’animosité envers Israël dans nombre de pays arabes dont des actions militaires ou terroristes ont découlé, et dont Israël a cherché naturellement, et cherche encore, à se protéger.

Du côté israélien une répression féroce face aux diverses actions terroristes, une montée de l’extrémisme au sein de groupes religieux juifs, et une occupation des territoires palestiniens que Avraham Shalom, un des 6 anciens directeurs du Shin Beth intervenant dans le documentaire, n’hésite pas à comparer avec l’occupation de l’Allemagne en Europe pendant la Seconde Guerre Mondiale. On sait la force symbolique que peut représenter une telle comparaison au sein d’Israël, surtout de la part d’un membre de son establishment.

Pour en revenir aux années 90, tout le monde s’accorde à dire que les négociations qui ont abouti au processus de paix d’Oslo en 1993 étaient sincères. C’est à dire que tous les protagonistes cherchaient réellement à faire la paix. Yitzhak Rabin, Shimon Peres et Yasser Arafat reçurent d’ailleurs le prix Nobel de la paix en 1994 pour leur action.

Puis intervint en 1995 l’assassinat de Yitzhak Rabin par un extrémiste « patriote » israélien. En effet, le processus de paix était encore en cours, mais des tensions étaient toujours présentes. Des attentats continuaient à frapper Israël en réponse aux actions dont étaient victimes les palestiniens. Toujours est-il que l’effort de paix au milieux de ces attentats ont monté les extrémistes israéliens contre Yitzhak Rabin, allant jusqu’à le traiter de traitre à la patrie lors de manifestations à Tel Aviv. Le raisonnement des extrémistes israéliens était plus ou moins le suivant : comment faire la paix avec ceux qui nous assassinent, celui qui veut faire la paix avec nos assassins est donc un traître. Le raisonnement est simpliste comme on le verra plus tard , mais potentiellement rassembleur lorsque l’on est sous le coup de l’émotion. On peut déjà dire que ce raisonnement va à l’encontre du principe qui consiste à discuter avec tous les protagonistes comme le préconise les directeurs du Shin Beth du documentaire cité en exemple.

Mais on peut aussi se demander si certains ne voulaient pas casser le processus de paix en laissant faire les attentats du côté palestinien, ou en laissant monter les tensions contre la politique de Rabin du côté israélien ? Était-ce dû à des actions d’extrémistes, à des conflits d’intérêts, une sorte de folie collective, un peu tout à la fois ? Toujours est-il que cela a abouti à l’assassinat d’Yitzhak Rabin, et a marqué la fin d’une recherche sincère d’une résolution du conflit israélo-palestinien comme tout le monde s’accorde à le dire.

Une fois de plus on voit que les faiseurs de paix risquent leur vie face aux extrémistes (par exemple Gandhi ou Martin Luther King, pour ne citer qu’eux). Mais doit-on prendre le risque de mourir en cherchant des solutions à la paix, ou mourir parce-que l’on a laissé faire la guerre ? Parce que l’on meurt aussi en temps de guerre, et l’on y voit aussi souvent mourir ses proches.

En ce sens Yitzhak Rabin était bien plus patriote que son assassin, bien plus intelligent aussi en ne se laissant pas piéger par les amalgames faciles et autres déstabilisations face aux actions terroristes. Il était bien plus soucieux du sort de ses compatriotes sur le long terme. S’il n’avait pas été assassiné, et si le processus de paix avait abouti, la situation en Israël et pour la communauté juive dans le monde serait totalement différente. Moins de tensions, moins d’attentats, plus de vies israéliennes sauvées, une meilleure réputation sur la scène internationale, moins de tensions avec les pays arabes, moins d’antisémitisme dans le monde, et donc moins de mise en danger de la communauté juive mondiale. Il parait donc difficile de dire que celui qui veut obtenir ces avantages pour les siens est traître à sa patrie ou à sa communauté. On reviendra sur ces points.

Toujours est-il que l’on voit ici comment des actions de la part d’extrémistes ont réussi à saboter la paix, et continuent à mettre en danger israéliens, comme palestiniens, dont le sort semble lié de manière quasi réciproque. Il semble en effet difficile que les uns « gagnent » et les autres « perdent ». Les deux gagnent ou perdent sur le long terme à causes des tensions réciproques engendrées, à cause de la mise en danger des deux communautés en lice, à cause de la haine et la souffrance ressenti dans les deux camps.

 

La répression abusive orchestré par des visions extrémistes met en danger la communauté juive en Israël, et dans le Monde

Comme le souligne les directeurs du Shin Beth, la répression face à la résistance palestinienne n’a pas atteint ses buts. Au contraire elle n’a fait qu’alimenter les extrémisme des deux camps, et mène à une impasse. Au niveau international, de plus en plus de pays alliés condamnent la politique du gouvernement israélien. Une résolution a même été prise par l’ONU contre l’attitude israélienne vis à vis de la colonisation en territoire palestinien. Cette fois les USA n’ont pas opposé leur véto pour soutenir leur allié en invalidant cette résolution, un changement de politique marquant de la part des USA. On sent donc au travers de ces différentes réactions le côté illégitime de l’action du gouvernement israélien envers le peuple palestinien, difficile de le nier.

Au niveau de la présence d’extrémistes au sein du camp israélien, on rappellera l’histoire du groupe qui a voulu faire sauter des bus remplis de palestiniens, ainsi que le dôme du rocher dans les années 70 (mouvement clandestin juif). Au delà de la volonté d’arrêter ces extrémistes, la direction du Shin Beth de l’époque a bien compris le danger que pouvait représenter de telles actions envers les juifs d’Israël, comme de part le monde, étant donnée les réactions en représailles qui auraient pu en découler. Le dôme du rocher, où se trouve la mosquée al-Aqsa, est un symbole fort de la religion musulmane, Israël aurait donc pu se mettre à dos l’ensemble des pays musulmans.

Notons également que ces terroristes juifs furent relâchés quelques temps plus tard, alors que les palestiniens peuvent être emprisonnés sur de simples soupçons, voire sans aucune justification. Le sentiment d’injustice face à ce type d’action illégitime qui consiste à ne pas punir les responsables du camp « ennemi », le « deux poids deux mesures », ne peut que renforcer la montée de l’extrémisme, comme les action radicales, du côté palestinien. De plus, et comme on l’a vu plus haut, une montée parallèle des extrémismes ne peut que mettre en danger les deux communautés. Ne semblerait-il pas préférable, dans le but de préserver sa propre communauté, de ne pas être indulgent envers les extrémistes de son propre camps, de ne pas leur signer de chèque en blanc pour le futur ?

Cet exemple nous fait donc nous poser la question de savoir si c’est réellement profitable pour notre groupe de protéger à tout prix les fautes des nôtres, par « esprit d’équipe », par « instinct grégaire » ? De savoir si de protéger les actions extrémistes de notre camp ne nous mettra pas en danger sur le long terme ? De savoir si une telle attitude ne met pas en danger notre propre groupe ?

Mais comme l’avait déjà compris à l’époque la direction du Shin Beth en ce qui concerne la mise en danger d’Israël liée à l’affaire du mouvement des juifs clandestins, on peut supposer que la situation actuelle d’injustice engendrée par les décisions politiques du gouvernement israélien mettent également en danger la communauté juive d’Israël, comme la communauté juive mondiale ; sans parler des problèmes politiques sur la scène international.

Par un effet d’amalgame, malheureusement humain, cette situation ne favorise-t-elle pas la montée de l’antisémitisme ? De fait, chaque juif reconnu comme tel ne risque-t-il pas de devenir une cible potentielle par ceux qui veulent « venger » l’injustice faite au palestinien, ou simplement par ceux qui auront attrapé le virus de l’antisémitisme lié à la situation israélo-palestinienne ?

Est-il utile de rappeler les actions terroristes de Mohammed Mérah, et du magasin Hyper Cacher qui ont visé la communauté juive ? Ces attentats auraient-il visé des juifs si la paix régnait entre israéliens et palestiniens ? S’il n’y a avait pas de sentiment d’injustice face à ce conflit qui augmente les animosités ? Ces attentats sont-ils seulement le fruit d’une supposé animosité millénaire, alors que les juifs furent protégés par les musulmans lors de l’inquisition en Europe ? Poser la question est déjà y répondre, et l’on voit une fois de plus qu’Yitzhak Rabin souhaitait protéger sa communauté en voulant faire la paix.

On notera que la communauté juive est elle même divisé sur la question israélo-palestinienne. De même qu’il existe une sorte d’omerta au sein de cette communauté qui vise à ne pas critiquer la politique du gouvernement israélien envers les palestiniens. Omerta qui est donc susceptible de mettre en danger cette communauté si elle favorise la montée de l’antisémitisme comme on vient de le voir. La question est délicate, mais comment ne pas penser que la communauté juive se met en danger en laissant faire les actions extrémistes de son camp, en laissant monter l’antisémitisme dans le monde ?

 

En conclusion

On voit donc au travers de ce qui se passe en Israël comment une répression abusive, et toutes sortes d’actions illégitimes entraînent une situation ou chaque partie va se mettre en danger. Mais aussi comment naissent les extrémismes de chaque côté, et comment ces extrémismes s’alimentent mutuellement.

On voit aussi que la meilleur façon de ne pas faire monter les extrêmes, dans un camps comme dans l’autre, revient à ne pas utiliser la force à tout prix sous prétexte que l’on en a la possibilité, comme de continuer les échanges avec tous les protagonistes en vu de trouver une solution. On avait déjà vu dans un autre article le danger que représentait des actions illégitimes d’un point de vue stratégique aux travers d’exemples liés à la perte de la guerre du Viet-Nam, ou encore de l’enlisement des conflits au MO par la plus puissante des armée du monde.

On retrouve, dans ces exemples d’utilisation de force brut, la situation décrite par ce chercheur israélien qui se demandait pourquoi l’aide à la résistance viet kong lors de la guerre au Viet Nam n’arrêtait pas étant donnée la force des moyens de coercition misent en œuvre pour la stopper. Toutefois, il observait que la coercition dont étaient victimes les viets kongs les avaient plus convaincus que vaincus. Ces 6 directeurs du Shin Beth apportent d’autres éléments de réponse en arrivant à la conclusion que la répression n’est pas la solution ultime (donc même via une force brut très supérieur à celle du camp adverse, comme c’est le cas entre israélien et palestinien). Que cela pourrait s’avérait contre productif et n’est pas un gage de victoire, surtout sur le long terme. Autrement dit, que la croissance de la résistance aux pressions coercitives semble être proportionnelle à l’illégitimité ressentie de l’action. Donc qu’au delà de la force disponible, il semble que l’action doit être juste pour être totalement efficace si l’on se place dans une optique de stratégie globale.

On peut aussi penser qu’il semble humain d’arriver à des points de vue extrêmes en fonction des situations. Que ceux qui prennent les décisions sont souvent aveuglés par la haine de l’autre, haine de l’autre à cause des actions de l’autre, à causes des années de souffrances vues et vécues à cause de l’autre, à cause de la rentrée dans un cercle vicieux qui s’alimente par ces extrémismes réciproques, à cause de la folie que cela peut engendrer. Il peut donc devenir difficile de raisonner dans de tels conditions, au détriment de la sécurité de sa propre communauté, même si l’on croit bien faire, … surtout si l’on croit bien faire.

Il semble donc, au regard de l’expérience israélienne, que la meilleure des solutions pour combattre un groupe terroriste soit de chercher à ne pas réagir sous le coup de l’émotion, à ne pas produire d’action illégitime, et à chercher à ce que notre propre camps ne soit pas contaminé par l’extrémisme pour ne pas tomber dans un cercle vicieux où un extrémisme alimentera l’autre jusqu’à tomber dans une situation où il sera difficile de sortir. Mais aussi de maintenir le dialogue avec tous pour tenter de trouver une solution, et ne pas tomber trop profondément dans ce cercle vicieux néfaste à tous les partis. Rappelons à ce propos que de quelques centaines de terroristes qui se cachaient dans des grottes afghanes, on a abouti à la naissance d’un pseudo état terroriste.

Suites aux attentats on a pu voir chez nous que l’émotion a pris le dessus sur la raison, ouvrant donc la voie aux réactions extrêmes. On a vu des politiques appeler à prendre les armes contre l’islamisme. Là encore une dérive vers les extrêmes et vers un rejet du monde musulman dans son ensemble sous couvert combattre l’islamisme. Rejet de l’islam qui est précisément la stratégie avouée des terroristes pour mettre les non-musulmans et l’occident en danger grâce à des tensions inter-communautaires.

Rejets envers l’islam et les membres de sa communauté bien souvent injustes comme l’agression de cette musulmane après l’attentat de Nice, musulmane qui avait elle-même perdu sa tante dans l’attentat. Rejets aveugles qui vont être susceptibles d’entraîner une montée des extrémismes, et autres actions radicales, via des envies de revanche pour aboutir à des tensions et des affrontements communautaires au détriment de l’ensemble des communautés. Bref tout le contraire de ce qu’il aurait fallu faire si l’on se sert des leçons de l’expérience israélo-palestinienne.

En ce sens, on devrait donc écouter ce que disent les services secrets israélien en ce qui concerne la gestion du terrorisme, en ce qui concerne l’arrêt de répressions abusives et souvent injustes envers la communauté musulmane française et mondiale si l’on ne veut pas favoriser les extrêmes et les recrues possibles à Daech, de ne pas refuser le dialogue avec les différents protagonistes liés à ces actions terroristes dans le but de trouver des solutions. Mais aussi à veiller à ne pas laisser monter les extrémismes liés à notre propre camp en réactions aux actions terroristes (donc ceux susceptible de commettre des actions injustes basées sur un tout répressif aveugle), comme de restreindre l’utilisation de la force brut pour mieux faire passer des actions illégitimes. Ce qui ne veut pas dire de ne rien faire, mais de tenter de le faire correctement.

« Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes »
Bossuet


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