Pourquoi on ne veut pas mettre le nez en Syrie

par morice
mardi 15 novembre 2011

Etonnante situation diplomatique depuis plusieurs mois maintenant : pendant que l'on bombardait allégrement le pays d'un dictateur accusé d'avoir tiré sur sa propre population, un autre dictateur, pas si loin de là, faisait de même sans que la même décision d'intervenir ne soit prise pour autant. Qu'est-ce qui vaut à Bachar el-Assad une totale impunité qui aura été refusée à Kadhafi, voilà qui ne cesse d'intriguer. Détiendrait-il des secrets qui le protégereaient ? Si oui, lesquels ? En cherchant un peu, on lui en a trouvé, en effet, et il sont de taille, à vrai dire. Des secrets que d'aucuns connaissent obligatoirement depuis longtemps : depuis l'invasion de l'Irak, pour préciser : la seconde, s'entend, celle de 2003. Un secret qui mine la réthorique utilisée par les USA à l'ONU pour envahir le pays. Bachar el-Assad a quelque chose à voir en effet avec la célèbre fiole montrée par Colin Powell à l'assemblée onusienne, et c'est bien pour ça qu'il est... intouchable. Prié par tous de s'en aller, il possède largement les moyens de rester : El-Assad, boucher de son propre pays est assis sur un stock d'armes à faire peur.

Pour comprendre pourquoi ce dirigeant, jadis invité à venir assister au défilé du 14 juillet par un président qui se sera largement compromis avec la dictature est indéboulonable, il faut revenir quelques années en arrière, le 26 janvier 2006 exactement, où un journaliste du New York Sun, Ira Stoll, ancien responsable de The New York Sun, et éditeur du Jerusalem Post, avait présenté une très surprenante version des faits s'étant passés en Irak juste avant l'invasion américaine. On sait aujourd'hui que Saddam Hussein n'avait plus dans son pays aucune arme de destruction massive. Le fameux Curved Ball (Alwan (al-Janabi), présenté comme ingénieur chimiste ayant fui les labos clandestins de Saddam n'était qu'un affabulateur, et dans la fiole de Colin Powell il y avait du lait et non de l'anthrax. Bref, Saddam ne disposait plus d'aucune arme de destruction massive, ce qu'une enquête de l'AIEA prouvera, pour les armes atomiques, après qu'un chimiste anglais, David Kelly, ait remis un rapport similaire à Tony Blair, avant d'être retrouvé "suicidé". Un autre protagoniste, Ibn al cheikh Al-libi, qui avait lui clamé que Saddam détenait bien des armes de destruction massive, et avait aussi servi à Powell pour étayer sa thèse, avait connu le même sort ou presque : renvoyé de Guantanamo en Libye, il y mourra sous les coups, dans la "célèbre" prison de Kadhafi : plus de témoin gênant d'un énorme mensonge. Les guerres sont jonchées de cadavres ; mais on ne les voit pas toujours sur les chalmps de bataille uniquement. Dans des placards, il demeure pas mal de squelettes dérangeants.

Ce qui avait surpris les enquêteurs, était la rapide destruction des stocks détenus jadis par Saddam, à savoir le gaz moutarde, abondamment utilisé pendant la terrible guerre contre l'Iran, qui, par bien des côtés a ressemblé à celle de 1914-1918 en Europe. Saddam en disposait en masse, pourtant, des fûts provenant d'Allemagne pour la plupart, quoique les anglais l'aient aussi approvisionné en la matière dont ils possédaient encore de fameux stocks. Ce qu'on n'avait pas très bien compris à l'époque, c'était comment Saddam s'y était pris pour se débarrasser aussi vite de ses stocks de gaz, y compris les gaz innervants, ou ceux de VX, ceux qu'il avait utilisé contre les kurdes, ou encore des futs d'anthrax et de gaz moutarde et des autres obus à bacilles dangereux. Or, un livre sorti à la date indiquée donnait -paraît-il- la possible solution à cette énigme.

La solution étant la non desctuction, mais le transfert ailleurs, comme l'indiquait l"ouvrage, qui demeure à caution, faute de preuves visibles ! "Les Secrets de Saddam Hussein est commercialisé comme étant "le livre qui prouve que Saddam a secrètement déplacé ses ADM en Syrie" avant la guerre. Ce n'est pas une nouvelle accusation. C'est une idée qui a été suggérée par les inspecteurs d'armes américains et des sources du renseignement israélien. L'ouvrage de Sadab ne propose aucune preuve accablante nouvelle de la connexion Irak-Syrie et des ADM (il n'était pas un témoin de première main pour le transport des armes, mais il affrime être ami avec un Irakien qui affirme avoir participé au transfert). Autant pourrait alors se demander : pourquoi lors tout ce battage médiatique ? Ce serait Georges Sada et son nouveau livre "les Secrets de Saddam Hussein", ou comment un général irakien qui a pu s'opposer et a survécu à Saddam Hussein, suit parfaitement cette réflexion sur le bien fondé de son entreprise. Dans le premier chapitre, il annonce sa position : « La décision de renverser Saddam était la bonne chose à faire Il a été fait au bon moment et, je crois, dans le droit chemin.". A cette phrase, la moitié du public est resté accroché. L'autre moitié a déjà refermé la couverture"

C'étaient en effet les américains eux-même qui avaient répandu l'idée de l'exportation vers la Syrie. Une exportation, vraie ou pas, qui repose surtout sur le flou existant depuis les propos même de Saddam, et l'impossibilité de l'ONU de vérifier si les stocks avaient été détruits complètement ou s'il en restait qui avaient échappé aux contrôles. "Dans le célèbre interview avec Dan Rather diffusé sur ce programme (26/02/03) trois semaines avant l'invasion, Saddam a expliqué que l'Irak avait accepté d'autoriser le retour des inspecteurs dans son pays » (..) Il l'avait fait "afin de rendre le cas tout à fait clair que l'Irak n'était plus en possession de telles armes." Pendant plus de 10 ans, on en est resté à cette idée : "L'histoire de l'Irak avait été la même pour la plus grande partie de la décennie : une partie de ses caches d'armes a été remise à l'ONU. Le reste a été secrètement détruit en 1991 afin que les inspecteurs ne puissent pas trouver que ces programmes avaient existé. Quand l'ONU l'a découvert toute façon dans le milieu des années 1990, les Irakiens ont amené les inspecteurs sur les sites où les débris d'armes avaient été ensevelis, et par des tests médico-légaux, les inspecteurs ont été en mesure de confirmer que « l'Irak avait entrepris une vaste, destruction unilatérale et secrète de grandes quantités d'armes et d'articles interdits » (UN.org," Rapport sur la situation du désarmement et desurveillance », 29/01/99). Ce qui laisse une belle part de flou en effet sur les quantités qui n'avaient pas été répertoriées !

Juste avant l'an 2000, pour l'ONU, qui le confirmait, Saddam n'a donc déjà plus aucune arme de destruction massive dans son pays, comme celles que les officiers iraniens étaient venus tester aux Etats-Unis, en plein désert : car s'il y avait des gens qui étaient bien au courant de ce que les irakiens possédaient, c'était bien eux, les américains. Un matériel décrit en détail en 2000 par Charles A. Primermann, du Lincoln Laboratory. Un phénomène que j'avais expliqué ici en septembre 2009 : "Il aurait pu aussi quand même être irakien, remarquez ce camion après tout : un document effarant sorti en janvier 2003 annonçait que de 1957 à 1967, 19 officiers irakiens avaient été entraînés à la guerre bactériologique sur le territoire même des Etats-Unis ! L’Irak à l’époque s’entendait parfaitement avec les USA, qui ont donc clamé au début de l’invasion que Saddam Hussein devait avoir des armes chimiques car c’étaient.... les leurs ! Saddam Hussein avait donc bien détruit son stock ! A noter que l’entraînement US ne semblait pas très efficace : dans la terrible guerre contre l’Iran, les irakiens avaient réussi à asphyxier leurs propres troupes " ! Des attaques menées aussi au gaz sarin, considéré comme une arme de destruction massive par les Nations Unies (par la résolution 687), qui avait interdit sa production et sa conservation, mais en 1993 seulement, soit trois ans après l'invasion du Koweit, lors de la seconde guerre du Golfe. Laissant à Saddam Hussein tout le loisir de l'utiliser !

Détruites... mais peut-être pas totalement, donc : "Depuis l'ONU a été incapable de déterminer les quantités exactes détruites, il a estimé qu'il ne pouvait pas être absolument sûr que toutes les armes avaient vraiment disparu. Les Inspecteurs ont demandé des documents irakiens qui pourraient prouver que les armes détruites représentaient bien tout ce qui était caché en Irak. Mais comme la destruction avait été menée dans le secret, la plupart des documents pertinents avaient également été détruits" indique l'article. Lors de l'interrogatoire de Saddam Hussein, après sa capture, le transfert possibles de ces armes chimiques était revenu à la surface, nottamment sur les bandes enregistrées des conversations avec le dictateur. "Les bandes révèlent aussi des efforts persistants de l'Irak pour cacher des informations au sujet des armes de destruction massive aux inspecteurs de l'ONU, ainsi dans les années 1990. Dans une réunion charnière enregistrée qui s'est produite à la fin avril ou en mai 1995, Saddam Hussein et ses principaux collaborateurs ont discuté le fait que les inspecteurs de l'ONU avait découvert des preuves du programme d'armes biologiques dont l'existence en Irak avait auparavant été niée. A un moment, Kamel Hussein le neveu de Saddam Hussein et l'homme qui était en charge des armes irakiennes de destruction massive, parlait des efforts de cacher l'information à l'ONU, ce qui peut peut être entendu souvertement sur ces bandes. « Nous n'avons pas révéler tout ce que nous avons » disait Kamel à la réunion. "Ni le type d'armes, ni le volume des matériaux importés, et pas non plus le volume de la production, ni le volume d'utilisation." Peu après cette réunion, en août 1995, Hussein Kamel faisait défection en Jordanie et l'Irak été forcée d'admettre qu'elle avait dissimulé son programme d'armes biologiques. (Kamel est retourné en Irak en Février1996 où a été tué dans une fusillade avec les forces de sécurité irakiennes.). Tout cela restant hautement discutable, rappelons-le ; en 2004, car la CIA n'avait toujours pas conclu au possible transfert : "Le CIA Iraq Survey Group a reconnu dans son "Rapport d'ensemble », du 30 septembre 2004, que « nous ne pouvons pas exprimer une opinion ferme sur la possibilité que des éléments d'ADM ont été relocalisés hors d'Irak avant la guerre. Des rapports sur de telles actions existent, mais nous n'avons pas encore pu étudier à fond cette possibilité." Sortis ou pas sortis, en tout cas, il semble bien qu'il y ait eu des mouvements d'avions et de véhicules terrestres révélateurs à la veille de l'invasion américaine.

Les "avions commerciaux" dont s'est servi Saddam, en prime, auraient donc pu très bien pu être... Koweitiens : là encore ; pour le comprendre, il convient de revenir en arrière, plius encore, et revenir au début de la première Guerre du Golfe de 1990. La flotte actuelle Koweiti comporte cinq A300, trois A310, quatre A340, et trois A320 contre seulement deux Boeing B777-200. Mais en fait, il lui manque toujours 10 appareils, 8 airbus et 2 Boeing (9K-AIB, 9K-AIC), qui lui ont été volés par les irakiens quand Saddam a envahi le pays en 1990. C'est une question à propos du KAC (pour Kuwait Aiways Corporation) posée à la Chambre des Lords anglaise par Lord Nicholls of Birkenhead, Lord Steyn Lord Hoffmann, Lord Hope of Craighead et Lord Scott of Foscote qui nous l'a rappellé, alors qu'on l'avait complètement oublié à vrai dire. "Lorsque les forces irakiennes ont pris sur l'aéroport de Koweït ont saisi dix appareils commerciaux appartenant à Kuwait Airways Corporation (KAC) : deux Boeing 767, trois A300 Airbus, et cinq Airbus A310. Ils ne tardèrent pas à emmener ces avions en Irak. Le 9 août neuf de l'avion avait été rapatrié à Basra, en Irak. Le dixième avion, qui était en réparation en cours au moment de l'invasion, a été transporté directement à Bagdad une quinzaine de jours plus tard. Le 9 Septembre, le Conseil Révolutionnaire de Commandement de l'Iraka a adopté la résolution de dissoudre le KAC et le transfert de toutes ses propriétés dans le monde entier y compris les dix avions, à la société d'Etat Iraqi Airways (IAC). Cette résolution, la résolution369, est entrée en vigueur dès sa publication au Journal officiel le 17 Septembre." Les faits sont indéniables : Saddam s'était approprié en 1990 10 appareils commerciaux de grande taille, et ne les avait jamais rendus !

Or, fait surprenant, au 12 janvier 2011, près de 20 ans donc après les faits, on n'en avait toujours pas terminé juridiquement avec cette affaire : les koweitis souhaitent toujours récupérer leurs avions, ou du moins en être dédommagés : et ça fait aujourd'hui 20 ans que ça dure ! "Fasken Martineau, cabinet d'avocats chef de file à l'échelle internationale en droit des affaires et en litige, et son associé du bureau de Londres Christopher Gooding, représentent la Kuwait Airways Corporation (KAC) depuis le 2 août 1990 dans ses démarches juridiques visant à obtenir une compensation auprès d'Iraqi Airways Company (IAC) pour le vol de sa flotte aérienne et de ses pièces de rechange. Le différend entre KAC et IAC constitue l'affaire commerciale la plus longue de l'histoire des tribunaux britanniques (le grief a été déposé il y a vingt ans le 11 janvier 1991), principalement en raison du fait que IAC a été reconnue coupable de plusieurs accusations de parjure et de fraude, ce qui a eu pour résultat l'infirmation des décisions rendues au cours des douze années précédentes dans cette affaire." Les avions ont depuis été revendus par les irakiens, certains volant même aujourd'hui aux USA en en Europe chez... Federal Express  ! Transformés en avions-cargos, ce qu''ils n'étaient aucunement au départ (le 9K-AHA étant bien un avion de passagers avant sa saisie).

L'appareil décrit a bel et bien continué à voler et continue toujours à le faire : on le sait, car il lui est arrivé des déboires : le 9 juin 1995, sous le numéro F-OHPE, redevenu transporteur de passagers, il avait eu en effet une panne de moteur grave l'ayant obligé à se poser juste après son décollage de Glasgow vers LasPalmas, toujours plein d'essence ; à 124 tonnes à l'atterrissage, soit 2 tonnes au dessus du maximum admis, avec 209 peronnes à bord. On avait échappé de peu à la catastrophe. Que des compagnies récupèrent et utlisent des avions objets pourtant de litiges juridiques depuis vingt ans est tout simplement ahurissant ! Avant d'arriver chez Federal Express, l'Airbus volé avait successivement été revendu au Qatar, qui l'avait loué en 1994 à Oasis International Airlines, puis à Heliopolis Airlines, en 1997, pour passer chez Lessor, en option de rachat, en 1998, année où Federal s'en est équipé en l'achetant pour le convertir en 222F. Le Boeing 9K-AIB avait eu moins de chance : il avait été détruit par un bombardement allié à Bagdad durant Desert Storm. Son confrère avait subi le même sort.

Or ce sont bien des avions volés qui auraient servi aux transferts, selon Sada, qui "a déclaré au Sun que les pilotes des deux avions de ligne transportant les armes de destruction massive en Syrie de l'Irak se sont approchés de lui dans le milieu de 2004, après que Saddam ait été capturé par les troupes américaines. « Je les connais très bien. Ils sont de très bons amis à moi. Nous avons confiance envers les uns les autres. Nous sommes amis comme pilotes," dit Sada des deux pilotes. Il a refusé de divulguer leurs noms, en disant qu'ils sont inquiets pour leur sécurité. Mais il a dit qu'ils sont maintenant employés par d'autres compagnies aériennes hors d'Irak. Les pilotes ont dit à M. Sada que deux Boeing d'Iraqi Airways (on pense donc qu'il confond là avec des Airbus !) ont été convertis en avions cargo en enlevant les sièges. Puis les brigades spéciales de la Garde Républicaine ont chargé des matériaux sur les avions, ajoute-t-il, y compris des « barils jaunes avec tête de mort sur chaque baril." Les pilotes ont dit il y avait aussi un convoi de camions au sol. Les vols - 56 au total, dit G Sada - a attiré peu de remarques, car ils étaient considérés comme des vols civils fournissant des secours d'Irak vers la Syrie, qui venait de subir une inondation après un effondrement de barrage en juin 2002. "Saddam a affirmé, maintenant, les Américains peuvent venir", a déclaré M. Sada". Ce qui date les transferts de pré-2003 donc, juste avant la deuxième invasion US. Les irakiens ayant affirmé : "On a remis les armes de destruction massive aux Syriens" : M. Sada a dit que le responsable irakien chargé de transférer les armes était un cousin de Saddam Hussein nommé Hussein Ali al-Majid, dit "Ali le chimique". Le responsable syrien chargé de les recevoir était un cousin de Bachar el-Assad, qui est connue sous divers noms comme General Abou Ali, Abou Himma, ou Zulhimawe." Un rapide calcul s'impose : l'A300 peut emporter 45 tonnes de charge utile. Même chargé à 40 tonnes, les 56 voyages réalisent un total de 2240 tonnes... de matériaux dangereux. C'est absolument effarant ! Bachar El-Assad disposerait d'un arsenal ultra-dangereux depuis près de vingt ans ! Manque de chance pour les preuves, encore une fois : "Ali le chimique" a été depuis condamné à mort et lui aussi pendu en janvier 2010, pour avoir gazé des kurdes. Sa campagne Anfal de 1987-1988 contre la rébellion kurde avait en effet fait près de 180 000 morts au total ! Or c'était lui également qui avait administré le Koweit lorsque ses troupes avaient envahi le pays.

Effarant, car, en dehors de ce "lot" imposant qu'elle aurait donc reçu (avec les réserves concernant l'origine de la source), la Syrie est le pays "spécialiste" en quelque sorte des armes chimiques. Et ce, depuis longtemps déjà. "Sous l’impulsion d’Hafez el-Assad, le père du dictateur en place aujourd'hui, le régime syrien a commencé à se doter d’un arsenal sophistiqué avec à l’aide des scientifiques de l’ex-URSS, son alliée historique. Et alors que de nombreux de pays ont détruit leurs stocks d’armes chimiques après avoir ratifiéle traité de non-prolifération établi en 1993, l’Etat syrien – à l’instar de six autres pays - ne l’a jamais signé. Certains experts estiment même que la Syrie est le pays qui détient l’arsenal le plus dangereux au monde, en particulier du gaz sarin en énorme quantité, ainsi que des milliers de missiles et de pièces d’artillerie faciles à transporter". Bombarder des hangars où du sarin, du gaz moutarde ou des obus bactériologiques auraient été entreposés et donc tout simplement... impossible, tant la dévastation créerait de problèmes insurmontables selon les vents dominants où l'altitude à laquelle les explosions projeteraient le tout : on ne peut donc attaquer El-Assad, pour cette simple raison ! Chez lui, il ne semble pas y avoir en masse d'ouvrages enterrés pouvant protéger de bombes anti-bunkers ! Le bouclier que possède Hassad n'a donc rien d'humain : sa population, il s'en fiche et l'a déjà assez montré : c'est la peur de répandre partout des produits incontrôlables qui le protège le plus. El-Assad, au final, a inventé le bouclier bactériologique ! Avec ça, personne n'osera le bombarder : hier soir encore, Alain Juppé pouvait bien sur FR3 tenter d'expliquer que c'étaient la Chine et la Russie qui bloquaient, on sentait bien qu'il était fort gêné pour expliquer la différence entre la Libye et la Syrie. Sinon, il reste le pétrole, bien sûr : mais la Syrie en a aussi (cela représentait en 2000 75% de ses revenus !)... pour bien comprendre cette menace, il suffit de relire les menaces qu'a proférées El-Assad il n'y a pas si longtemps aux occidentaux : celles d'un "séisme qui ébranlerait le Proche-Orient". Il n'a certes pas de bombe atomique, mais est loin d'être dépourvu pour autant ! 

Et tout cela on le sait, les services secrets de tous les pays le savent. Reste à savoir en ce cas pourquoi la France aurait cherché à se rapprocher de cet autre dictateur sanglant rendu inattaquable militairement. Pour certains, pour lui vendre des choses, c'est sûr mais pas seulement : ce ne serait aussi qu'une résultante supplémentaire de la guerre intestine que continuent à se livrer Chirac et Sarkozy nous assure Vincent Jauvert : "c'est donc tout naturellement en Syrie que, devenu président, Sarkozy veut marquer sa rupture la plus brutale avec l'ère Chirac. Depuis la mort de Hariri, le vieux président est devenu l'ennemi juré de Bachar al-Assad. Cette haine - et la politique d'isolement qui va avec -, Jacques Chirac entend la transmettre à son successeur. En mai 2007, durant la passation de pouvoir, il organise une rencontre entre Nicolas Sarkozy et le fils de son ami assassiné, Saad Hariri. Le nouvel élu se prête à l'exercice mais, au même moment, charge Claude Guéant de reprendre langue en catimini avec le régime syrien. L'espion Chaoukat étant en disgrâce, le secrétaire général de l'Elysée recourt aux services d'un personnage tout aussi controversé, aujourd'hui mis en examen dans l'enquête sur l'attentat de Karachi, l'homme d'affaires libanais Ziad Takieddine. « C'est lui qui nous a fait passer le message que la Syrie aimerait reprendre contact avec nous », racontera-t-il plus tard à « Libération ». Un contact aux vues commerciales évidentes.

Ah tiens, revoilà un émissaire bien connu : celui qui descendra d'un jet privé muni d'une malette bourrée d'euros en revenant de Libye... l'expression manger à tous les râteliers semble avoir été faite pour lui ! Un Takieddine épinglé par la presse, justement, pour ses aller-retours à Damas de 2007 à 2009 : "Mediapart a publié, lundi soir, une série de documents inédits qui prouvent que M. Takieddine, par ailleurs soupçonné de financement politique illicite par le juge Van Ruymbeke dans l'affaire Karachi, a été l'homme-orchestre du rapprochement entre la France et la Syrie et l'introducteur du président français auprès du dictateur syrien, Bachar el-Assad. Le tout sur fond d'intérêts financiers. « C'est scandaleux ! », a réagi l'opposant Abdul Raouf Darwich, interrogé par le journaliste Benoît Collombat. « On ne peut pas faire des relations diplomatiques entre deux pays avec des marchands d'armes. Je demande aux autorités françaises de clairifier tout cela », a ajouté ce maître de conférences en mathématiques à l'université d'Angers, responsable du "Collectif du 15 mars pour la démocratie en Syrie". Et là, remonte à la surface... toute une équipe, la même qui avait négocié avec Kadhafi, et où le secrétaire de l'Elysée jouait les ministres des affaires étrangères... en écartant du coude un Kouchner qui ne pipait mot.

Un émissaire qui ne semblait pas au courant pour autant de ce qu'avaient trouvé les émissaires de l'ONU et de l'IAEA : une autre bombe médiatique, que ces révélations supplémentaires : celle de la correspondance entre Muhidin Issa, un proche du gouvernement syrien, avec... A.Q. Khan, le père de la bombe atomique pakistanaise. Une correspondance qui date, car suivie depuis 1998, date de l'explosion nucléaire pakistanaise : preuve que la Syrie avait déjà des vues sur un tel programme dès ce moment-là. J'avais déjà écrit sur un possible réacteur en construction, situé à Deir ez-Zor et bombardé par les israéliens, à propos duquel l'administration Bush avait voulu trop en faire pour prouver son existence à tout prix, en mélangeant des vues de réacteur nord-coréen existant avec ce qui était en cours de réalisation. Ou en fabricant de toutes pièces la photo d'une rencontre entre un ingénieur coréen et le directeur des recherches syrien. A l'époque, en 2007, je n'avais pas rejeté la possibilité de l'existence d'un tel programme, j'avais simplement montré que la charge américaine était fabriquée, comme je l'avais précisé : "les Israéliens ont donc bombardé, il y a sept mois, quelque chose, certes, mais qui n’était pas ce que décrit le rapport de la CIA : tout au plus une centrale ou un centre de recherche, car, pour l’instant, on n’en est qu’aux suppositions tant les preuves ne proviennent que d’un seul côté". En fait, il devait s'agir d'un embryon de réacteur civil, comme ceux d'autres pays, avais-je également dit : "selon beaucoup, ce fameux directeur travaille bien sur des recherches de ce type, mais sur des projets connus de tout le monde comme le précise Joseph Cirincione, directeur au Center for American Progress. "Il s'agit d'un programme de recherche fondamentale construit autour d'un petit réacteur de 30 kilowatts qui produit des isotopes rares et des neutrons. C'est loin d'être un programme d'armes nucléaires ou de combustible nucléaire", dit-il. "Plus d'une douzaine de pays ont aidé la Syrie à développer son programme nucléaire, dont la Belgique, l'Allemagne, la Russie, la Chine et même les Etats-Unis, par voie de formation des scientifiques » ajoutait-il encore. Un réacteur civil qui depuis aurait été suivi d'autres installations, qui elles, ne le seraient pas. A une époque pas si lointaine, les américains en offraient, des centrales similaires... comme au Kenya, avec son réacteur TRIGA (Training, Research, Isotopes, General Atomics) de General Atomics... copiés sur des projets allemands élaborés pendant la Seconde Guerre Mondiale (j'y reviendrai bientôt).

Malgré les montages US, derrière il y avait bien quelque chose de "sensible", disons, et on peut le constater aujourd'hui. On peut s'en apercevoir en effet avec la découverte d'un second centre, situé cette fois à Al-Hasakah (voir photo ci-contre). L'ensemble de bâtiments, présentés comme étant une usine de coton, serait cette fois un centre d'enrichissement à centrifugeuses, le procédé classique et le plus économique (mais le plus lent, inventé également pendant la guerre par les allemands et rejeté par les américains) et repris après guerre par les russes, avec leurs de type U-1 et ensuite par Kahn avec ses UP-2 dans ces réalisations. Les syriens avaient tout fait pour contrecarrer la visite de l'EAIA sur le premier site, et ne paraissent pas plus décidés à le faire pour le nouveau. Abdul Qadeer Khan, il faut le rappeler, avait mis en cause pour la fourniture de centrifugeuses à Mouammar Kadhafi, au temps où celui-ci activait son propre centre de recherche nucléaire. Une famille de chercheurs suisses, les Tinner, avait été mise en cause lors de la découverte d'un trafic de centrifugeuses,  toutes découvertes à bord d'un cargo, le BBC China. En 2004, Khan avait admis avoir transmis ses secrets à la Corée du Nord, la Libye et en Iran, mais n'avait pas jusqu'ici cité jusqu'ici la Syrie. Les courriers découverts montrent que des liens ont existé entre Kahn et le régime syrien. Or aujourd'hui la Syrie s'est rapproché de pays comme la France, qui souhaite un blocus de l'Iran pour avoir développé son programme nucléaire, si bien que les français se retrouvent marris avec cette inquiétante découverte : peuvent-il reprocher à l'un ce qu'ils ont accepté chez l'autre ?

L'homme qui peut détruire le Moyen Orient avec son stock d'armes de destruction massive, et qui est donc plus dangereux que Saddam ne pouvait l'être en 2003, a en effet fait l'objet d'attentions fort particulières de la part de Nicolas Sarkozy : davantage encore que l'autre dictateur, semble-t-il, puisqu'y ont été mêlés la première dame et Claude Guéant. Prêt à tour pour le séduire, l'Elysée, après l'offensive de séduction vers Kadhafi, a effectué la même chose, mais avec plus d'ampleur médiatique pour El-Assad en personne. Pour peaufiner l'image nouvelle souhaitée pour lui en France, ce sont le Figaro et Paris-Match qui s'y étaient collés en premier, rappelle également dans son blog le même Vincent Jauvert  : "les autorités françaises ne se contentent pas d'offrir un podium au dictateur syrien, elles font aussi en sous-main sa promotion. A la veille du sommet, Claude Guéant organise, via Takieddine, une interview de Bachar al-Assad par le directeur du « Figaro », Etienne Mougeotte. Un modèle du genre. Pas une question sur les droits de l'homme. Paris s'efforce de « vendre » le dictateur comme un homme moderne - n'a-t-il pas étudié l'ophtalmologie à Londres ? -, francophile et vaguement francophone. Plus encore son épouse, Asma, passée par la banque JP Morgan, décrite comme une « Diana orientale » par « Paris Match ». « Les orientations réformatrices de Bachar étaient un vrai encouragement », plaide-t-on aujourd'hui à l'Elysée. « Quand on lui expliquait que c'était un tyran de la pire espèce, Sarkozy répondait : « Bachar protège les chrétiens et avec une femme aussi moderne que la sienne, il ne peut pas être complètement mauvais » », raconte Bernard Kouchner, alors son ministre des Affaires étrangères". On est bien dans de la propagande éhontée. On se croirait au temps du Paris-Match ventant en 1959 les mérites du Shah d'Iran !

L'imagerie de la modernité, le couple Assad la pratiquait depuis longtemps : le boucher de son propre pays était alors présenté partout comme un homme résolument moderne, notamment dans Paris-Match, toujours lui, qui, trois ans plus tard, signait un papier commençant par des civils abattus et ce titre évocateur : "silence on tue". Encore un dont le vent aura tourné en quelques mois ; mais la presse people ne peut pas s'empêcher pour autant d'atténuer ses propres propos flagorneurs : "Il n’y a qu’Asma, désormais mère de trois enfants et toujours aussi belle, qui donne un visage humain à ce régime barbare qui la met en avant. " De façon ridicule et grotesque même : « A la maison, il ne parle jamais politique, explique volontiers Asma. C’est un bon mari et un bon père. Il est volontaire mais aussi très drôle ! Il aurait pu devenir avocat tant il aime débattre, convaincre l’autre. » Convaincre à coups de Kalachnikovs, plutôt, ajoutera-t-on sans hésiter. Kadhafi aussi, dans les photos saisies chez lui passait pour un père attentif. Comme Goebbels, qui passera toute sa (nombreuse) famille au cyanure. La paternité n'est décidément pas un critère valable en dictature...

Des armes venues d'Iran, par avion ou par cargo, et redistribuées au Hamas via l'Egypte, tel celles saisies sur le Victoria, intercepté en mars dernier encore par les israéliens avec 50 tonnes de munitions à bord. Dont six redoutables missiles C-704 NASR-1, des missiles air-surface (ou sol-surface) pouvant être utlisés également sur les nouveaux Mig-29 et les Mig-31 achetés par la Syrie ; comme sur des affuts terrestres... Saisis sur un bateau plutôt embarrassant : il appartenait bien à une compagnie allemande mais avait été affrétée par une compagnie française bien connue, la CMA CGM, de Jacques Saadé, au départ "très introduit chez les chiraquiens et békés antillais", et qui a depuis viré de bord en bon gestionnaire plutôt autoritaire : "après avoir été proche de Jacques Chirac (par l’entremise de l’ancien Premier ministre libanais, Rafic Hariri), Jacques Saadé est désormais des voyages de Nicolas Sarkozy à l’étranger" disait-on alors (depuis le temps s'est assombri parait-il aussi). Or en France, sur la saisie du Victoria, fort peu avait fuité... affrêteur oblige, sans doute : promu commandeur de la légion d'honneur en 2008, et présenté comme pourvoyeur d'armes en 2011, voilà qui ne le fait pas trop, à vrai dire. Quoiqu'on ne puisse rien prouver sur une quelconque responsabilité du transporteur dans cette affaire.

 

Le sommet du rapprochement avec la Syrie (décidément, au bilan de Sarkozy il faudra prévoir de créer une case "relations avec les dictateurs" !) étant l'invitation reçue pour assister au 14 juillet 2008 avec Osni Moubarak... "Et pourtant ... Juste avant le 14-Juillet, une révolte de détenus politiques à la prison de Sadneya est réprimée dans le sang. Entre 20 et 40 morts. Pas un mot de Paris." On continue à tuer, mais ici on s'en fiche (déjà ?) complètement : l'Elysée, transformée en officine de VRPs ne cherche qu'à y vendre, quoi qu'il puisse se passer derrière le rideau diplomatique."Quinze jours après les fastes de la Concorde, 12 des principaux opposants du régime, y compris les personnalités dont le jeune Boillon (si célèbre depuis !) réclamait la libération, sont lourdement condamnés par un tribunal militaire. Un camouflet qui n'empêche pas Nicolas Sarkozy de se rendre en Syrie au mois de septembre. Cette visite d'Etat est le début de la lune de miel. Les Syriens font miroiter des contrats colossaux. Un projet de métro promis à Alstom, une ligne de chemin de fer entre Alep et la capitale, la rénovation de l'aéroport de Damas, deux gisements pétrolifères pour Total, la vente record de 54 Airbus à Syrian Air.  Presque tous les ministres français vont emboîter le pas au président : Fillon, Mitterrand, Lagarde, Bussereau, Idrac... même la secrétaire d'Etat chargée de la politique de la ville, Fadela Amara. Jusqu'au patron du Louvre, Henri Loyrette, qui rend plusieurs fois visite à la belle Asma al-Assad pour mettre au point un accord avec le musée national de Damas, alors que son dictateur de mari nous fera l'honneur chaque année de sa visite à Paris. La dernière a lieu à la veille du printemps arabe, en décembre 2010. Le clou de cette ultime rencontre : un déjeuner très médiatisé entre les deux premières dames, Carla et Asma". En février 2010 encore, on enverra un corps expéditionnaire de choc à Damas... Rachida Dati, pas encore totalement en disgrâce. Elle posera elle aussi à côté de la femme du dictateur. Avec elle, c'était encore retour à la case people (du "Pure People") !

Sur la photo des rencontres, que pouvait bien faire Claude Guéant dans un pareil déjeûner reste un autre mystère : à l'époque, il n'était toujours que secrétaire général de la présidence de la République. Mais aussi l'homme des discussions secrètes et des coups discrets (Kouchner étant out des discussions depuis le début !). Damas, décidément valait bien une messe !


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