Pourquoi ont-ils voté pour Macron ?

par Jean Dugenêt
vendredi 30 mars 2018

Dix mois après l’élection présidentielle, toutes passions apaisées, nous pouvons réfléchir sereinement à ce qui s’est passé. Nombreux sont ceux qui ont compris et plus nombreux encore sont ceux qui n’ont toujours pas compris. Que fallait-il donc comprendre ? Pour l’essentiel que le nombre de votes pour un candidat est corrélé au temps total et au « volume » de l’exposition médiatique à laquelle ce candidat a eu droit. Les propriétaires des grands médias en totale connivence avec la politique de l’oligarchie euro-atlantiste ont fait le choix, annoncé par Jacques Attali, de porter Emmanuel Macron à la présidence de la république alors que ce dernier était encore inconnu du public. Ils ont donc simplement fait tout ce qu’il fallait pour qu’il soit élu.

C’est en fin de compte aussi simple que cela. Néanmoins, il nous semble nécessaire d’apporter quelques éléments de réflexion supplémentaires car, nous entendons trop souvent, parmi ceux qui ont compris l’essentiel, des propos méprisant à l’égard des électeurs d’Emmanuel Macron accusés de diverses déficiences mentales sous des vocables souvent injurieux. Nous préférons l’explication de François Asselineau : « L’élection d’Emmanuel Macron est fondée sur l’ignorance et sur une extorsion de volonté par des procédés de marketing. Cette élection ne repose donc pas sur une adhésion profonde et sincère du peuple français ».

Ce n'est pas parce que les électeurs d’Emmanuel Macron se sont laissés berner par la propagande que ce sont des imbéciles. Ils subissent un conditionnement qui ne se limite d’ailleurs pas aux périodes électorales. Il est prétentieux de penser que ceux qui comprennent, partiellement ou entièrement, ce qui se passe sont plus intelligents. Ce sont souvent des privilégiés par leur mode de vie, leur éducation... Mépris et prétention vont de pair. Nous verrons d’ailleurs en évoquant les expériences de psychologie sociale que personne n’est à l'abri d'avoir des comportements inintelligents.

Nous voulons pour commencer montrer que la question qui nous préoccupe n’est pas nouvelle, loin s’en faut. Nous allons en effet reprendre la réflexion entamée il y a bien longtemps par un certain Etienne de La Boétie quand il écrivait son « Discours de la servitude volontaire ». C’était au XVIème siècle, à la sortie du Moyen Age. Il expliquait avec beaucoup de verve que pour qu’un pouvoir plus ou moins totalitaire et tyrannique réussisse à dominer et exploiter durablement tout un peuple il fallait bien qu’il y ait une bonne part de collaboration d’une grande partie de ce peuple. La collaboration, le plus souvent n’est pas active, elle n’est que résignation, acceptation. Car, c’est bien une forme de collaboration que de renoncer à s’opposer. « Qui ne dit mot consent ! ». La passivité face à l’adversité est une démission. La soumission aux tyrans est un abandon de la liberté et une abdication de l’orgueil.

Accordons-nous un petit moment de plaisir en lui laissant la parole avec quelques extraits :

« Enfin, si l'on voit non pas cent, non pas mille hommes, mais cent pays, mille villes, un million d'hommes ne pas assaillir celui qui les traite tous comme autant de serfs et d'esclaves, comment qualifierons-nous cela ? Est-ce lâcheté ? Mais tous les vices ont des bornes qu'ils ne peuvent pas dépasser. Deux hommes, et même dix, peuvent bien en craindre un ; mais que mille, un million, mille villes ne se défendent pas contre un seul homme, cela n'est pas couardise : elle ne va pas jusque-là, de même que la vaillance n'exige pas qu'un seul homme escalade une forteresse, attaque une armée, conquière un royaume. Quel vice monstrueux est donc celui-ci, qui ne mérite pas même le titre de couardise, qui ne trouve pas de nom assez laid, que la nature désavoue et que la langue refuse de nommer ? (…)

Or ce tyran seul, il n'est pas besoin de le combattre, ni de l'abattre. Il est défait de lui-même, pourvu que le pays ne consente point à sa servitude. Il ne s'agit pas de lui ôter quelque chose, mais de ne rien lui donner. Pas besoin que le pays se mette en peine de faire rien pour soi, pourvu qu'il ne fasse rien contre soi. Ce sont donc les peuples eux-mêmes qui se laissent, ou plutôt qui se font malmener, puisqu'ils en seraient quittes en cessant de servir. C'est le peuple qui s'asservit et qui se coupe la gorge ; qui, pouvant choisir d'être soumis ou d'être libre, repousse la liberté et prend le joug ; qui consent à son mal, ou plutôt qui le recherche... S'il lui coûtait quelque chose pour recouvrer sa liberté, je ne l'en presserais pas ; même si ce qu'il doit avoir le plus à cœur est de rentrer dans ses droits naturels et, pour ainsi dire, de bête redevenir homme. Mais je n'attends même pas de lui une si grande hardiesse ; j'admets qu'il aime mieux je ne sais quelle assurance de vivre misérablement qu'un espoir douteux de vivre comme il l'entend. Mais quoi ! Si pour avoir la liberté il suffit de la désirer, s'il n'est besoin que d'un simple vouloir, se trouvera-t-il une nation au monde qui croie la payer trop cher en l'acquérant par un simple souhait ? Et qui regretterait sa volonté de recouvrer un bien qu'on devrait racheter au prix du sang, et dont la perte rend à tout homme d'honneur la vie amère et la mort bienfaisante ? Certes, comme le feu d'une petite étincelle grandit et se renforce toujours, et plus il trouve de bois à brûler, plus il en dévore, mais se consume et finit par s'éteindre de lui-même quand on cesse de l'alimenter, de même, plus les tyrans pillent, plus ils exigent ; plus ils ruinent et détruisent, plus on leur fournit, plus on les sert. Ils se fortifient d'autant, deviennent de plus en plus frais et dispos pour tout anéantir et tout détruire. Mais si on ne leur fournit rien, si on ne leur obéit pas, sans les combattre, sans les frapper, ils restent nus et défaits et ne sont plus rien, de même que la branche, n'ayant plus de suc ni d'aliment à sa racine, devient sèche et morte. » (…)

« Pour le moment, je voudrais seulement comprendre comment il se peut que tant d'hommes, tant de bourgs, tant de villes, tant de nations supportent quelquefois un tyran seul qui n'a de puissance que celle qu'ils lui donnent, qui n'a pouvoir de leur nuire qu'autant qu'ils veulent bien l'endurer, et qui ne pourrait leur faire aucun mal s'ils n'aimaient mieux tout souffrir de lui que de le contredire. Chose vraiment étonnante, et pourtant si commune qu'il faut plutôt en gémir que s'en ébahir, de voir un million d'hommes misérablement asservis, la tête sous le joug, non qu'ils y soient contraints par une force majeure, mais parce qu'ils sont fascinés et pour ainsi dire ensorcelés par le seul nom d'un, qu'ils ne devraient pas redouter, puisqu'il est seul, ni aimer, puisqu'il est envers eux tous inhumain et cruel. Telle est pourtant la faiblesse des hommes : contraints à l'obéissance, obligés de temporiser, ils ne peuvent pas être toujours les plus forts. (…)

Mais, ô grand Dieu, qu'est donc cela ? Comment appellerons-nous ce malheur ? Quel est ce vice, ce vice horrible, de voir un nombre infini d'hommes, non seulement obéir, mais servir, non pas être gouvernés, mais être tyrannisés, n'ayant ni biens, ni parents, ni enfants, ni leur vie même qui soient à eux ? De les voir souffrir les rapines, les paillardises, les cruautés, non d'une armée, non d'un camp barbare contre lesquels chacun devrait défendre son sang et sa vie, mais d'un seul ! (…)

Mais ce qui arrive, partout et tous les jours : qu'un homme seul en opprime cent mille et les prive de leur liberté, qui pourrait le croire, s'il ne faisait que l'entendre et non le voir ? Et si cela n'arrivait que dans des pays étrangers, des terres lointaines et qu'on vînt nous le raconter, qui ne croirait ce récit purement inventé ?

Pour acquérir le bien qu'il souhaite, l'homme hardi ne redoute aucun danger, l'homme avisé n'est rebuté par aucune peine. Seuls les lâches et les engourdis ne savent ni endurer le mal, ni recouvrer le bien qu'ils se bornent à convoiter. L'énergie d'y prétendre leur est ravie par leur propre lâcheté ; il ne leur reste que le désir naturel de le posséder. Ce désir, cette volonté commune aux sages et aux imprudents, aux courageux et aux couards, leur fait souhaiter toutes les choses dont la possession les rendrait heureux et contents. il en est une seule que les hommes, je ne sais pourquoi, n'ont pas la force de désirer : c'est la liberté, bien si grand et si doux ! Dès qu'elle est perdue, tous les maux s'ensuivent, et sans elle tous les autres biens, corrompus par la servitude, perdent entièrement leur goût et leur saveur. La liberté, les hommes la dédaignent uniquement, semble-t-il, parce que s'ils la désiraient, ils l'auraient ; comme s'ils refusaient de faire cette précieuse acquisition parce qu'elle est trop aisée. (…)

Soyez résolus à ne plus servir, et vous voilà libres. Je ne vous demande pas de le pousser, de l'ébranler, mais seulement de ne plus le soutenir, et vous le verrez, tel un grand colosse dont on a brisé la base, fondre sous son poids et se rompre. »

Bien que le discours de La Boétie concerne essentiellement des monarchies, il nous semble d’une actualité brulante alors qu’il est commun de dire que nous sommes dans des régimes démocratiques. Il est vrai que nous sommes conviés assez souvent à voter ce qui, bien évidemment, nous donne l’impression de choisir. Mais, il faut se demander, par exemple, si ceux qui ont adopté une religion l’ont effectivement choisie. Ne leur a-t-elle pas été, la plupart du temps, imposée dès leur petite enfance par leur famille et tout leur environnement ? Pourtant, ils s’en défendent et font comme si c’était un choix personnel. Quand ils votent, ils ont assurément l’impression de choisir, nous montrerons que pourtant, dans bien des cas, ils ne font qu’obéir.

Cela est particulièrement flagrant pour la dernière élection présidentielle où les français ont fini par élire Emmanuel Macron dont ils n’avaient aucunement entendu parler deux ans auparavant. Il n’avait ni programme, ni parti politique. Il n’avait jamais été élu auparavant à quel que poste que ce soit et il n’avait manifestement pas la maturité et l’expérience nécessaire à l’exercice réel de la fonction d’homme d’état. Mais, peu importe, il n’est manifestement qu’une marionnette dans les mains de ceux qui avaient décidé de le faire élire et qui avaient eu l’outrecuidance de l’annoncer, par la voix de Jacques Attali, deux ans auparavant alors que personne ne le connaissait. Quand nous examinons, avec un peu de recul, ce qui vient de se dérouler sous nos yeux, nous avons l’impression de vivre en pleine science-fiction dans un film du type de Fahrenheit 451.

Et pourtant, ce n’est pas un cauchemar. A l’évidence, ceux qui l’ont élu ont obéit. Ils n’ont pas choisi. Remarquons que cette question ne concerne pas que la dernière élection à la présidence de la république. Cela fait en effet des décennies que les français constatent que, quelle que soit la combinaison gouvernementale, quel que soit le Président qu’ils élisent, qu’il soit de « droite » ou de « gauche », qu’il y ait ou non une cohabitation, la politique qu’ils subissent est toujours la même et elle est indépendante du programme annoncé par les uns ou les autres. Le vote des français n’y change rien. Cela est particulièrement clair avec le « non » au référendum de 2005, qui est resté sans effet, ou avec le recours au 49.3 pour faire passer sans vote des lois qui n’avaient été annoncées dans aucun programme. La politique que les français subissent et qu’ils ne veulent pas va toujours dans le même sens : la régression sociale, la remise en question du « modèle social de 1945 » … Dans ces conditions, il n’est plus possible de parler de démocratie car ceux qui exercent le pouvoir ne sont pas des élus.

Alors, qui sont-ils ? Regardons de plus près. La politique qui est effectivement mise en œuvre, si elle est sans rapport avec le vote des français, correspond bien par contre au GOPE (Grandes Orientations de la Politique Economique) élaborées à Bruxelles par des commissaires européens et toute une armada de fonctionnaires qui n’ont jamais été élus. Nous constatons que ces directives sont conformes à la politique de l’OTAN. Nous affirmons que cette politique est celle d’une « oligarchie euro-atlantiste » mais cette notion demande à être précisée. Or, nous constatons par ailleurs qu’en France nous avons une concentration des organes d’information dans les mains de quelques magnats qui font partie des plus grandes fortunes du pays et que c’est là une arme extrêmement puissante pour faire passer cette politique. Cette seconde observation nous permet d’avoir une approche concrète de ce que nous appelons « l’oligarchie euro-atlantiste » car il s’agit des mêmes personnes. Il suffit en effet de passer de l’échelon national à l’échelon international pour comprendre qu’un pouvoir unique se trouve concentré dans les mains de peu de personnes. C’est cet ensemble de personnes que nous appelons « l’oligarchie euro-atlantiste ». Elle recoupe ceux qui exercent le pouvoir de part et d’autre de l’océan atlantique nord. En France, ils s’appellent Bernard Arnault, Serge Dassault, François Pinault, Patrick Drahi, Vincent Bolloré… Bien des articles de journaux ont dépeint le fait que les médias soient concentrés dans les mains de quelques milliardaires comme une dérive inquiétante mais sans rien changer au schéma d’une société supposée « démocratique » : les élus du peuple dirigent. Il faut bien comprendre que les politiciens servent essentiellement à faire croire au peuple qu’il choisit mais la réalité c’est que le pouvoir est entièrement dans les mains de cette oligarchie qui agit comme un seul homme. Force est de constater que nous acceptons la dictature de ce tyran. Il faut à l’image d’Etienne de La Boétie se demander comment cela est possible. Il apporte lui-même quelques réponses qui restent valables de nos jours comme par exemple quand il décrit le système pyramidal des dictatures :

« Ce ne sont pas les armes qui défendent un tyran mais toujours (on aura peine à le croire d’abord, quoique ce soit l’exacte vérité) quatre ou cinq hommes qui le soutiennent et lui soumettent tout le pays. Il en a toujours été ainsi : cinq ou six ont eu l’oreille du tyran et s’en sont approchés d’eux-mêmes, ou bien ont été appelés par lui pour être les complices de ses cruautés, les compagnons de ses plaisirs, les maquereaux de ses voluptés et les bénéficiaires de ses rapines. Ces six dressent si bien leur chef qu’il en devient méchant envers la société, non seulement de sa propre méchanceté mais encore des leurs. Ces six en ont sous eux six cents, qu’ils corrompent autant qu’ils ont corrompu le tyran. Ces six cents en tiennent sous leur dépendance six mille, qu’ils élèvent en dignité. Ils leur font donner le gouvernement des provinces ou le maniement des deniers afin de les tenir par leur avidité ou par leur cruauté, afin qu’ils les exercent à point nommé et fassent d’ailleurs tant de mal qu’ils ne puissent se maintenir que sous leur ombre, qu’ils ne puissent s’exempter des lois et des peines que grâce à leur protection. Grande est la série de ceux qui les suivent. Et qui voudra en dévider le fil verra que, non pas six mille, mais cent mille et des millions tiennent au tyran par cette chaîne ininterrompue qui les soude et les attache à lui (…) En somme par les gains et les faveurs qu’on reçoit des tyrans, on en arrive à ce point qu’ils se trouvent presque aussi nombreux, ceux auxquels la tyrannie profite, que ceux auxquels la liberté plairait. »

Cependant, les explications que donne Etienne de la Boétie, doivent être mises à jour et complétées en y adjoignant l’apport de la psychologie sociale pour expliquer les faiblesses de l’homme qui viennent inhiber la raison pure, le raisonnement intelligent. Nous allons donc évoquer quelques expériences de psychologie sociale.

Ainsi l’expérience de Milgram, qui est sans doute la plus connue, montre comment un individu, dans certaines circonstances, peut être amené à exécuter des ordres complètement déraisonnables. L’expérience de la prison de Stanford montre qu’une situation a plus d’impact sur le comportement individuel que les prédispositions. Ainsi, par exemple, un individu qui n’y était nullement prédisposé peut devenir sadique si on le place dans une situation particulière de gardien de prison ou à l’inverse se soumettre complètement à une autorité arbitraire s’il est placé dans des conditions particulières de prisonnier. L’expérience de Ash montre que chacun de nous a tendance à mettre son raisonnement personnel de côté face à un comportement de groupe. Ainsi, en situation d’élève, un individu aura tendance à donner une réponse fausse si tous les autres élèves donnent cette réponse. C’est ce que nous appelons les « effets de groupe ». Nous en donnerons un premier exemple emprunté à la pratique du parapente. Tous les praticiens de ce sport savent qu’il faut vite aller se poser quand apparaît un nuage orageux qu’on appelle un cumulonimbus car il risque d’aspirer les parapentistes. Il y a eu un cas bien connu où lors d’une compétition chaque parapentiste pris individuellement serait allé se poser s’il avait été seul, mais, en groupe, chacun d’eux s’est dit que si d’autres restaient en vol c’est que cela était possible. Ils ont alors dépassé la limite et cela a abouti à un drame. Autre cas classique. Un tribunal juge un groupe de jeunes gens qui ont fait une « tournante » autrement dit un viol collectif. Un avocat plaide pour son client en expliquant que c’est un gentil garçon qui a d’ailleurs une copine… et que donc il a été entraîné par les autres. Oui ! mais on peut dire la même chose pour les autres. On peut dire que chacun d’eux a été entraîné par les autres. C’est ce que nous appelons les « effets de groupe » qui peuvent dans certaines circonstances amener des individus doués de raison à des actes démentiels. Dans le même style, d’autres expériences montrent qu’il y a une dilution de la responsabilité personnelle dans un groupe. Ainsi un individu seul dans une salle d’attente qui voit de la fumée passer sous la porte va aller donner l’alarme. Il aura tendance à ne rien faire, s’il y a quatre ou cinq personnes avec lui qui restent inactives. Il y a bien d’autres exemples plus ou moins dramatique qui illustrent ce type de comportements. Parmi les séniors actuels bien des hommes ont connu la « guerre d’Algérie » et n’en parlent jamais. Nombre d’entre-eux ont été le témoin, voire même ont participé, à des atrocités : viols, tortures ou massacres. Chacun de nous peut se demander ce qu’il aurait fait dans ces circonstances.

Ainsi un individu a tendance à accepter ce que les autres acceptent, à croire ce que les autres croient, à obéir comme les autres … Pour peu qu’une autorité reconnue lui dise ce qu’il faut croire, ce qu’il faut penser et ce qu’il faut faire bien des personnes acceptent. L’argument d’autorité a d’ailleurs beaucoup de poids. Essayez avec : « J’affirme cela avec certitude puisque Albert Einstein l’a dit ».

Mais en l’occurrence tous les jours, ce n’est pas Albert Einstein qui est le plus écouté mais plutôt la télé et la presse people. Et, même si cela ne permet guère d’expliquer les conflits entre forces sociales et les mécanismes du pouvoir, « Sissi impératrice », « Angélique, marquise des anges » et une quantité de séries américaines comme « Dallas » ont plus de poids que la lecture peu fréquente de « la philosophie de la misère » de Pierre-Joseph Proudhon, des « mémoires du Général de Gaulle » ou « du capital » de Karl Marx. Il faudra sans doute que nous mettions à jour nos connaissances dans ce domaine mais nous ne doutons pas que de nouvelles productions cinématographiques et de nouveaux feuilletons de télévision aient pris le relais de ceux que nous citons. La politique se réduit pour beaucoup à quelques tableaux et romans à l’eau de rose. On retient de François Mitterrand qu’il avait une épouse officielle qui l’accompagnait à l’Elysée. On retient surtout qu’il avait aussi une compagne officieuse qui lui a donné la petite Mazarine. On retient de Nicolas Sarkozy que sa Cecilia s’en est allée quelques temps après son accession sur le trône et qu’ensuite il a vécu un grand amour avec la chanteuse Carla Bruni. On retient que François Hollande a eu une vie sentimentale tumultueuse avec Ségolène Royal, Valérie Trierweiler et Julie Gayet. Enfin le jeune Emmanuel Macron est tombé follement amoureux à 15 ans de sa professeure de français. Pensant peut-être avoir saisi ainsi toute la substance de la vie politique française, le lecteur moyen de la presse people peut faire son choix et aller voter. La tête emplie de tous ces romans à l’eau de rose, il ou elle votera assurément pour celui dont la presse et la télé ont le plus parlé, celui dont on a vu le visage sur les couvertures des revues, celui dont on a lu des reportages avec des belles photos en couleur dans les magazines, celui qu’on a vu à la télé dans des reportages doucereux et mièvres comme par exemple celui qui était intitulé : « Macron, la stratégie du météore ». Ainsi, celle que Georges Brassens appelait « la déesse aux cent bouches » fait son œuvre. L’accumulation de messages qui vont tous dans le même sens confine à un matraquage intellectuel qui force le choix de l’électeur. Il faut bien qu’il y ait une autorité unique qui incite au respect pour que soit diffusée sur tant de support et sur tous les tons la même information qui ne peut être que pure vérité. Il n’est donc pas d’autres choix possibles que de suivre la direction qu’elle nous indique.

Il suffit alors à ceux qui tiennent la presse de faire monter les curseurs aussi haut que nécessaire pour garantir le succès de celui qu’ils ont choisi. Au besoin, s’il est nécessaire d’éliminer un concurrent dangereux, les curseurs pourront être également montés mais, dans ce cas, pour mener une campagne de dénigrement. A l’inverse, il faudra mettre le curseur à zéro si quelques intrus avaient l’idée d’expliquer la réalité, de faire ressortir les faits au lieu d’enfermer les français dans des romans à l’eau de rose accompagnés de slogans publicitaires et d’images subliminales. Il faudra réduire le plus possible les possibilités d’expression de ceux qui perçoivent les français comme des êtres intelligents à qui il est possible d’expliquer ce qui se passe vraiment.

Le tableau que nous venons de tracer n’a rien de méprisant à l’égard de ceux qui, en fin de compte, obéissent aux ordres de cette force impalpable mais tellement puissante qu’elle les domine autant qu’un tyran en chair et en os. Comme le disait Alexis de Tocqueville la devise des riches est « Je ne crains pas le suffrage universel. Les gens voteront comme on leur dira ». Le mépris vient de ceux qui manipulent le peuple. Jacques Attali est méprisant quand en 2014 il annonce que son candidat, que personne ne connaît, sera Président. Il sait en effet quels sont les moyens qui seront mis en œuvre pour cela et il sait que ça marchera. Il sait aussi comment, en cas de besoin, il est possible de faire descendre la cote de popularité d’un concurrent. En fouillant dans les poubelles d’un professionnel de la politique on trouvera toujours de quoi faire plus ou moins scandale.

On voit alors parfaitement comment et pourquoi François Asselineau a obtenu 0,92% des suffrages. On voit tout aussi clairement comment François Fillon a été écarté et finalement comment Emmanuel Macron a été élu. Le mépris vient de ceux qui ont soumis les français à un bombardement inouï et sans précédent de propagande. Nous avons vu, en évoquant les expériences de psychologie sociale, qu’il en faut souvent moins pour inhiber des comportements sains et nous avons vu aussi, avec Etienne de la Boétie, que de tout temps les hommes ont pu se laisser aller à la facilité au point d’accepter les pires dictatures. Les français qui ont voté pour Emmanuel Macron ont été abusés.

 


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