Pourquoi tout bloque ?

par alinea
mercredi 17 octobre 2012

Qu'est-ce qui bloque ? Ou la fidélité, la censure et la drogue !

Bien d'autres choses sans doute ; mais mon sujet n'est pas de redire les méfaits d'une politique totalitaire ni d'avoir la primeur d'en avoir déniché d'autres.

 

Nous sommes tous issus de milieux qui nous ont forgés ; qui ont forgé nos pensées, influencé notre mode de vie – que ce soit par continuation ou imitation ou au contraire, par rébellion- nous sommes conditionnés tous, par notre âge, notre niveau d'études,etc.

La rébellion face à une bourgeoisie étriquée a été générationnelle, mais cela fait plus de quarante ans : le monde contemporain a eu raison de nous.

 

La plupart des électeurs du PS, parti au pouvoir, sont tombés dedans quand ils étaient petits, qu'ils fussent habillés de rouge ou de rose, c'était une donnée aussi évidente que l'heure de la récré ou l'ennui du dimanche en famille.

Les parents avaient des activités à la F O L ( fédération des œuvres laïques) ou à Léo Lagrange ; le mutualisme était une activité bénévole ( on peut noter au passage sa belle évolution !), la laïcité voire l'anticléricalisme sous-tendaient leurs pensées ; dans les régions roses historiquement, dont celle que je connais le mieux, les paysans avaient teint en rose leur propre descendance des camisards : on était socialiste par opposition foncière et ce caractère, tenu au repos en période de paix, se révélait quand il le fallait, en résistance, ou en colère de la rue.

Et par le vote, naturellement, on ne se posait même pas la question.

Il semble bien que l'on soit non politisé à gauche, non politisé à droite, par hérédité !

Pour soigner l'amertume qu'ils ressentent face à la perte des valeurs qui les nourrissent, ils s'en remettent tout naturellement au PS !

Nous avons tous entendu les difficultés, les tergiversations de bien des communistes à quitter leur famille partisane après que, en leur âme et conscience, ils n'eurent plus de raisons d'y rester.

L'exil est un vide existentiel, il ne se décide que contraint et forcé car on sait qu'avant de se restructurer, avant de remettre les pieds sur terre et de retrouver ses billes, le temps sera long et douloureux.

L'exil est déchirant.

Cette fidélité n'est pas tant une vertu qu'un grand besoin de sécurité, absolument légitime me semble-t-il, et la peur de l'inconnu alliée à celle de la solitude handicape fortement le courage !

En ce qui concerne le PS, puisque son évolution fait grincer bien des dents, il faut se rappeler qu'un parti n'est pas une démocratie ( vraie) en miniature et que les militants de la base ne sont pas naturellement amenés à exercer leur esprit critique : ils évoluent comme une armée dans le sens donné par les dirigeants. Le problème est encore plus difficile pour eux, car hormis cette fidélité « sentimentale », qui se fait jour seulement quand la scission a eu lieu dans leur cœur, la plupart d'entre eux ont suivi le mouvement sans forcément le conscientiser, c'est-à-dire qu'ils ont adhéré aux dérives.

Ce qui se passe aujourd'hui risque d'élaguer court, ne laissant dans le sein du parti, les seuls arrivistes, ambitieux ou déjà élus !

La déception semble vouloir toucher tout le monde.

Qu'il est dur d'affronter la réalité pour tous ceux qui sont restés attachés aux valeurs initiales du mouvement socialiste, que c'est dur d'affronter la réalité de ce qu'il leur est une trahison, en déguerpissant !

Mélenchon a perdu trois précieuses années pour se décider. Puis il l'a fait avec quelques autres dont le groupe s'était construit de manière informelle ; il a laissé derrière lui bien des amis avec qui il partageait déjà la gauche du parti ; il n'a osé le faire qu'appuyé et soutenu par une Marie-George Buffet à la tête d'un PC qui voulait ne pas mourir.

Et aujourd'hui ? Est-on sûr qu''au fond de lui-même il ne nourrit pas encore cet obsessionnel dessein ? Tirer le PS à gauche, peser de tout le poids de ses sympathisants...

Nous sommes tous des êtres émotionnels avant d'être rationnels et c'est sûrement tant mieux, même si à certains moment de l'histoire cela apparait comme un frein.

Car celui qui reste aujourd'hui le représentant d'un possible changement radical, audacieux tout en étant respectueux des règles de notre pauvre démocratie, s'est discrédité aux yeux de beaucoup, par son choix précis d'un bouc-émissaire mais aussi à cause de cette foutue fidélité.

Et combien d'autres ?

On a dit trente pour cent des électeurs de Hollande au premier tour !

La force d'inertie qu'induit cette « vertu » est incontournable.

Tout se fait donc très lentement ; or le temps presse et nous risquons bien, fidèles et infidèles, d'être dépassés par les événements.

 

Après la fidélité, la censure me paraît nous faire perdre du temps.

 

Celle qui était le garde-chiourme de la morale rétrograde, bourgeoise , on en a abattu les murs en 68.

Bien sûr, comme on ne fait jamais les choses à moitié, en abattant ces digues, on a laissé rentrer une déferlante qui, quarante plus tard nous submerge ; ce n'est plus à proprement parler une censure, on n'en voit mal les limites, aucun chemin de se dessine en deçà ni au delà de son tracé et les voies se croisent et s'entrecroisent à l'infini.

Aussi la censure stricto sensu s'est-elle transformée : d'un manque de liberté ressenti par ceux qui la subissaient, elle est passée à un trop plein. Contre lequel bien sûr, on se protège comme on peut.

Les limites et les interdits sont indispensables à l'élaboration d'une vie autonome, ainsi, tout seul, en famille ou en groupe, il faut fermer les portes car on ne peut guère gérer les courants d'air, fermer les digues pour s'éviter la noyade.

Mais ces limites ne sont plus celles partagées par tout un peuple, que celui-ci les subisse ou les accrédite.

Elles sont posées de manière anarchique par les uns et les autres : on y voit un racisme assumé ( y est donc censuré tout ce qui ne rentre pas dans le cadre ainsi délimité), une intolérance à l'autre revendiquée, une surdité, un aveuglement.

À peine aurons-nous décelé chez un autre des tendances politiques ou religieuses qui ne sont pas les nôtres, que ses paroles ou ses actes seront déboutés.

On rejette la nuance comme une mollesse et dans ce monde complexe où rien ne semble pouvoir être saisi, on se forge des mots d'ordre ou des priorités, sur un mode binaire, et l'on s'y accroche comme à des bouées.

L'ouverture d'esprit y est vue comme une menace de trahison, aussi faut-il la contraindre mais surtout s'en méfier.

Alors, on ne fréquente que les siens chez qui l'on se conforte et comme l'amitié n'est jamais aussi forte que devant l'ennemi, tout ce qui n'est pas nous, redevient, comme jadis, le danger à abattre.

On ne progresse que très peu du coup, parce que l'autre n'est audible que s'il rentre dans notre case ; sinon on le rejette à la vindicte des siens.

On doit se protéger de discours ou d'échanges qui ne sont plus contradictoires mais agressifs, et l'on applique la vieille méthode de la censure ! À moins de les transformer en une suites d'invectives, toujours stériles.

On agit en toute chose comme s'il fallait protéger son intégrité puisque l'on se sent toujours en insécurité.

De multiples petits mondes se cognent ou se frottent en faisant des étincelles et je vois que trop peu d'échanges et de progrès de la pensée.

Sans doute est-ce parce que l'on se sent très vite dépassé et que ne plus pouvoir maîtriser son domaine est une angoisse.

Le besoin de censure des bien-pensants - et quelle que soit la délimitation de cette bien-pensance car elle peut être autre que la pensée unique - portera à en référer à un pouvoir qui autorisera et soutiendra . L'action d'éliminer l'autre en sera facilitée.

Le franc-tireur, le solitaire devra, lui, faire face aux attaques blessantes, panser les plaies ou décortiquer leur contenu pour en tirer un petit quoique-ce-soit qui alimentera son propre développement.

À chacun de se débrouiller ! on m'a dit que c'était ça la liberté.

Alors quand quiconque franchit ces interdits, on s'insurge, on censure, on « replie ».

Face à l'aliénation capitaliste qui nous touche tous, on se défend, si on peut, comme on peut !

Mais il s'agit de protéger son clan, ses idées ou ses engagements, et comme l'ennemi est partout, sans y prendre garde, on retombe dans l'éternel désignation du bouc-émissaire.

 

Ne nous trompons pas d'ennemi !

Une guerre civile aujourd'hui serait une sacrée foire d'empoigne car puisque les ennemis de mes ennemis ne sont plus mes amis ni les amis de mes amis les miens aussi, ce serait, à peu de choses près, ce que l'on nomme barbarie !

Du reste il n'est qu'à voir ce qui se passe au Moyen-Orient !

Cet éclatement des valeurs, ces mondes clos sont un frein certain pour le moment à toute velléité de rébellion !

Il nous faut cesser de foncer sur le chiffon rouge que nous tendent les libéraux au pouvoir, parce qu'ils en auront un neuf chaque jour.

Il nous faut cesser de tourner en rond dans « l'arène de l'illimitation » comme le dit Alain Badiou.

Ma version serait plus prosaïque : arrêtons de courir comme le hamster dans la roue de sa cage.

Cela nous rendra fous.

 

Mais le blocage le plus verrouillé est bien celui-là :

« L'une des plus grandes forces du capitalisme développé est d'avoir appris à convertir en permanence les insatisfactions qu'il engendre ( ou les crises et les catastrophes qu'il suscite) en moteurs fondamentaux de sa propre expansion indéfinie.

Chaque monade humaine y est en effet dressée à consommer toujours plus ( et à diriger sans cesse son désir sur les derniers gadgets que la propagande publicitaire lui présente comme indispensables), aiguillonnée par l'espoir chimérique qu'elle pourra mettre ainsi un terme au calvaire moral d'une vie invivable puisque précisément fondée sur la seule consommation.

Ce mouvement en spirale est évidemment sans fin.

Si le capitalisme moderne exerce une telle emprise psychologique sur les individus qu'il a atomisés et déracinés, c'est donc bien d'abord parce qu'il s'appuie sur les mêmes ressorts affectifs et émotionnels que ceux qui gouvernent l'addiction à la drogue.

En ce sens, la religion de la consommation apparaît comme le véritable opium des peuples modernes.

C'est pourquoi la construction d'un monde décent ne saurait être envisagée sans un travail parallèle d'auto-désintoxication de l'âme humaine et sans l'élimination de toutes ces substances « personnicides » ( selon la belle expression de Lucien Sève) dont le capitalisme de consommation a su faire un commerce rentable. » Jean-Claude Michéa « Le complexe d'Orphée ».

Il est sûr que beaucoup de paroles sont « contre » tandis que la plupart des comportements sont « pour » !

 

Je ne reprendrai pas cet autre blocage, ce comportement qui consiste à faire capoter toute révolution, que j'ai évoqué longuement dans un précédent article.

Le courage qu'il faut aux « éveillés » aujourd'hui, c'est prendre le temps de l'auto-critique, faire tomber les barrières qui nuisent à l'élaboration d'une action d'envergure ; et pour ça, ne soyons ni taureau ni rat enfermés.

Quant aux fidèles, il leur faudra celui, peut-être plus difficile encore, de voir la réalité en face, de l'accepter puis l'affronter.

« Ah que la vie était belle contre Franco ! » dit un des slogans anticapitalistes les plus populaires en Espagne.

 

Soyons certains que la lutte sera une fête d'entraide, de réseaux et de relations, d'énergie, de rencontres et, qu'au bout, on aura une grande fierté de soi !

Parce que la seule liberté qui nous reste, c'est de dire NON.


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