Pourtant, c’est simple à comprendre : rien de mieux dans le régime de retraites par points ! Plutôt pire
par Alain Alain
jeudi 19 décembre 2019
Dans son premier spectacle, Gaspard Proust, jeune comique suisse, signalait les changements de thème dans son monologue par cette phrase : « je l'affirme et je le prouve ». Les partisans de la réforme des retraites eux déversent un déluge d'affirmations sans jamais rien prouver. Se pourrait-il que ce soit une stratégie pour noyer le poisson ? Pour empêcher les citoyens d'avoir une vision simple mais pertinente des enjeux de cette réforme ?
Ils sont partout à tout heure pour finalement répéter les mêmes phrases avec plus ou moins de maitrise, de bourdes aussi parce que certains n’ont pas tout compris.
Pour commencer, tout le monde a bien saisi que ce grand point de désaccord, cette ligne rouge, l’âge pivot, n’est qu’une mise en scène. C’est de plus en plus évident, je n’y reviens pas.
C'est facile de se faire une opinion fondée sur les deux principaux points à discuter sur l’intérêt du changement de régime.
Qu'en est-il aujourd'hui.
« Le dernier rapport de l'OCDE sur les pensions de retraite est clair : si on le compare avec celui des autres pays développés, le système actuel en France est avantageux pour les retraités mais pèse un peu plus sur les dépenses et les revenus des actifs ». Le Parisien, 11 décembre 2019.
Donc notre système est meilleur que les autres. Meilleur que le régime à points suédois ! Vrai ou faux ?
Dans son rapport annuel du 20 novembre 2019, le Conseil d’Orientation des Retraites annonce le début du retour à l’équilibre du régime actuel à partir de 2030 après avoir expliqué que les déficits possibles pourraient atteindre selon les scénarios envisagés de 8 à 17 milliards en 2025 s'ils existent vraiment : « Au total, l’apparition du besoin de financement du système de retraite sur la période de projection résulterait davantage d’une réallocation des ressources au sein des administrations publiques au détriment de l’assurance vieillesse (via des effets de structure liés à la population active et la démographie) qu’à une hausse des dépenses du système qui restent stables en regard du PIB. » (p. 8)
Tout le monde comprend bien : les « dépenses du système qui restent stables en regard du PIB. »
Le problème vient d'une part des recettes et d'autre part de l'utilisation de ces recettes : « résulterait davantage d’une réallocation des ressources au sein des administrations publiques au détriment de l’assurance vieillesse. »
Donc ce n'est pas le système qui est en cause dans les éventuelles difficultés financières. Vrai ou faux ?
Le seul vrai problème est celui de la démographie.
10 juin 2019 - 14 352 420 retraites sont en paiement au 31 décembre 2018. Source CNAV (Caisse nationale d'assurance vieillesse).
En 2017, selon l’enquête Emploi, la population active au sens du Bureau international du travail (BIT) est estimée à 29,7 millions de personnes de 15 ans ou plus en France (hors Mayotte). Elle regroupe 26,9 millions d’actifs ayant un emploi et 2,8 millions de personnes au chômage. Source Insee, 26/03/2019.
Soit 1,7 actif cotisant pour un retraité pensionné.
Le seul vrai problème est celui de la démographie. Mais il se pose exactement de la même façon dans les deux régimes : avec les cotisations des actifs il faut payer les pensions des retraités !!!
Contrairement à ce que les soutiens de la réforme voulaient faire croire au début pour la justifier. D'ailleurs ils n'affirment plus jamais que les jeunes générations n'auront pas de retraite avec le système actuel.
Récapitulons : financièrement le système actuel n'est pas en péril si les gouvernants n'en provoquent pas volontairement la chute et, en tout cas pas à long terme. Le système par points ne ferait pas mieux.
Vrai ou faux ?
Qu'en sera-t-il demain ?
Pour une carrière complète le taux de remplacement est de près de 75% du dernier salaire avec le régime de base et les complémentaires actuellement. Parce que les salaires les plus bas sont ignorés dans le calcul de la pension de base en ne retenant que les 25 meilleures années.
Dans le régime par points, les années de bas salaires apporteront peu de points et compteront autant que celles où le salaire est meilleur et apporte plus de points. Vous comprenez bien que la pension sera inférieure en comptant tous les points de la carrière au lieu de ceux des 25 meilleures années !
Des preuves.
Les complémentaires retraites obligatoires en France sont des systèmes par points.
« Le 11 octobre 2017, les conseils d’administration de l’Arrco (le régime de retraite complémentaire des non cadres et des cadres) et de l’Agirc (le régime de retraite complémentaire des seuls cadres) ont décidé de maintenir la valeur de service des points des deux régimes à son niveau de l’an dernier. Depuis 2014, les retraites complémentaires du secteur privé n’ont pas été augmentées. » Source AGIPI.
Suède : « Les retraités qui ont vu baisser leur retraite par trois fois en 2010, 2011 et 2014. » France Culture, 25/10/2019.
« François Fillon avait-il vu juste sur les retraites ? Depuis l'annonce du projet de réforme du gouvernement, une vidéo de l'ex-candidat Les Républicains à la présidentielle est devenue virale. "Le système par points, en réalité, ça permet une chose, qu'aucun homme politique n'avoue : ça permet de baisser chaque année la valeur des points et donc de diminuer le niveau des pensions", expliquait-il en 2016. » Franceinfo, 18/12/21019.
Les gouvernants d'aujourd'hui peuvent tout promettre en matière de maintien de la valeur du point car ils ne seront peut-être plus là au moment de tenir ces promesses.
Actuellement le calcul est basé sur votre salaire. Et sur votre salaire les gouvernants d'aujourd'hui ou de demain ne peuvent rien y changer.
« Il en est de même la promesse d'une retraite minimale de 1 000 euros qui évoluera de façon à rester à 85% du Smic ; cet engagement figurait déjà à l'article 4 de la loi Fillon sur les retraites de 2003. » Source Slate.fr. Et n'a jamais été appliqué !
Donc, sur les deux aspects fondamentaux de la viabilité du système actuel et de la baisse des pensions provoquée par la réforme, le régime par points non seulement n'apporte aucune amélioration par rapport au système actuel mais comporte des risques de régressions importantes. Vrai ou faux ?
Tout le reste n'est qu'enfumage, « une heure travaillée ce sera des points acquis, ce sera mieux pour les femmes, la pénibilité, etc. » Tout cela peut-être traité dans le système actuel et fait déjà l'objet des revendications de beaucoup de syndicats ignorées ou rejetées par nos gouvernants et la CFDT complice de toujours.
Il n'y a pas meilleur exemple pour le confirmer que celui-ci.
Sur la prétendue grande justice apportée par la disparition des régimes spéciaux et autonomes qui est à la base de la justification de cette réforme : « Le spécialiste des finances chez des Républicains parle d’une "vaste escroquerie". Le député Gilles Carrez a fait les comptes et il affirme qu’avec la réforme des retraites, on va passer de 42 à plus de 60 régimes spéciaux, alors que l'objectif du gouvernement était de les supprimer pour mettre en place un régime universel. » Franceinfo, 18/12/2019.
Alors quel serait l'objectif caché du gouvernement pour imposer par la force et contre l'avis de la majorité des français cette réforme ?
Il est double.
D'abord, appliquer les recommandations du conseil européen concernant le programme national de réforme de la France pour 2018 :
« Actuellement, 37 régimes de retraite coexistent en France. Ils concernent des catégories de travailleurs différentes et fonctionnent selon des règles qui leur sont propres. Une uniformisation progressive de ces règles améliorerait la transparence du système, renforcerait l’équité entre les générations et faciliterait la mobilité de la main-d'œuvre. Une harmonisation des règles de calcul contribuerait également à une meilleure maîtrise des dépenses publiques. Si les réformes des retraites déjà adoptées devraient réduire le ratio des dépenses publiques de retraite à long terme, un système des retraites plus simple et plus efficient générerait des économies plus importantes et contribuerait à atténuer les risques qui pèsent sur la soutenabilité des finances publiques à moyen terme. Selon une étude récente, l’alignement de différents régimes de retraite des secteurs public et privé réduirait de plus de 5 milliards d’euros les dépenses publiques à l’horizon 2022. »
(À Fifi Brind_acier, je ne vous ai pas piqué votre argument puisque je l'ai déjà utilisé dans un article d'octobre 2019, « Inutile de vous agiter : les retraites ce sera comme ça et pas autrement ! Circulez, y a rien à voir »)
Ensuite, l’histoire récente des complémentaires santé l'illustre.
Avant il n’y avait que la sécurité sociale, puis les mutuelles à but non lucratif. Les assurances privées étaient interdites dans ce secteur de la santé. Aujourd’hui elles foisonnent sous ce nom de complémentaire santé dans les banques, les assurances, les grandes chaines d’hypermarché, etc. Ce sera pareil pour les complémentaires retraites pour ceux qui pourront les payer.
Quant à l'objectif de la CFDT ? Mystère.