Poutine, Castro, Chavez : la guerre froide pour les nuls

par Lonesome Cowboy
lundi 17 avril 2017

Poutine, Castro, Chavez, Poutine, Castro, Chavez : trois noms répétés en boucle pour nous mettre en garde contre Jean-Luc Mélenchon, "dictateur en puissance". Tâchons donc de mieux cerner la géopolitique de Mélenchon, son rapport à Poutine et les leçons qu'il a tirées des révolutions d'Amérique Latine.

Cet article est une reproduction du billet publié par Olivier Tonneau sur son blog Médiapart, avec son autorisation. Je vous invite à le lire jusqu'au bout tant il est éclairant et remarquablement bien construit.

 A voir l’effroi suscité – ou feint – par les éditorialistes, il serait sans doute inutile de rappeler que Mélenchon n’a jamais été pour le parti unique : c’est pour cela qu’à dix-neuf ans il quittait les Trotskistes. Il n’a jamais eu de sympathie pour l’URSS et ne fut jamais membre du Parti communiste. Il a aussi agi en défense des libertés en Russie, comme en attestent sa tribune signée en 2013 avec Noël Mamère pour défendre des militants de Greenpeace et son blog sur le sujet. D'accord, me direz-vous, mais tout de même ! Chavez, Castro, Poutine. Eh bien parlons-en et commençons, dans l’ordre chronologique, par Castro.

   L’Amérique Latine, vous le savez, a souffert depuis deux siècle de l’impérialisme américain… Mais vous m’arrêtez tout net : c’est bien l’extrême gauche, ça ! Ils n’ont jamais rien fait de mal, c’est toujours la faute aux Américains. C’est un peu facile ! C’est vrai, Mélenchon n’aime pas les Etats-Unis. Si vous ne supportez pas qu’on critique les gardiens du monde libre, nous ne pourrons pas nous comprendre. Je vous conseille donc d’interrompre votre lecture pour vous plonger dans le grand classique d’Eduardo Galeano, Les Veines ouvertes de l’Amérique latine. Tant qu’à faire, parcourez l’ouvrage de Philip Golub, Une Autre Histoire de la puissance américaine ou, plus simplement, écoutez la conférence du plus pure style classe prépa du délicieux Frédéric Munier. Nous reprendrons ensuite.

 Parvenu au bout de vos lectures, vous convenez sans doute que parler d’impérialisme états-uniens n’a rien d’une hyperbole. Mais vous avez raison : la violence des uns n’excuse pas celle des autres. Là n’est d’ailleurs pas la question car il ne s’agit pas de distribuer les torts : s’il faut parler des Etats-Unis, c’est qu’étant donné leur statut de première puissance mondiale, il est difficile de parler des autres pays sans commencer par les situer dans le contexte de la Pax Americana. Faisons donc le point sur les Etats-Unis avant d’en venir à Chavez, Poutine, Castro.

 Selon Mélenchon, les Etats-Unis sont doublement dangereux : du fait de leur puissance militaire et du déclin de leur économie. Leur budget défense, rappelons-le, est égal à celui de tous les autres pays du monde réunis. Quant à leur économie, elle ne se soutient que par la dette et par l’émission de quantités invraisemblables de monnaie. Il est vital pour eux que le dollar ne s’effondre pas car les Etats-Unis passeraient alors en un clin d’œil de première puissance du monde à bien peu de chose. Or si le dollar ne s’effondre pas, c’est parce qu’il s’écoule par deux canaux : le commerce international et le commerce du pétrole. Tant qu’on aura besoin de billets verts pour commercer et acheter du pétrole, le dollar restera la monnaie de réserve et les Etats-Unis pourront continuer d’en émettre.

 Les Etats-Unis sont donc en conflit larvé contre toute puissance qui pourrait mettre à mal l’hégémonie de leur monnaie. Lorsque Saddam Hussein projeta de vendre son pétrole en euros, il devint immédiatement l’homme à abattre. Lorsque Chavez expropria les multinationales américaines pour nationaliser l’industrie pétrolière vénézuélienne (le pays dispose des plus grandes réserves au monde), il en devint un autre. Il n’arrangea pas son cas en créant la monnaie d’échange SUCRE qui permet aux Etats d’Amérique Latine de ne plus commercer en dollars. Les Etats-Unis ont vu d’un tout aussi mauvais œil la création de l’euro, destiné à devenir une monnaie de réserve concurrente, comme le yuan s’il devenait convertible. C’est pourquoi ils mènent une « guerre des monnaies » contre le yuan et l’euro. Ce n’est pas Jacques Cheminade qui le dit mais un complotiste bolchevique bien connu : Jean-Marie Colombani.

 C’est malheureux mais c’est ainsi : les Etats-Unis ne sont pas un ami qui nous veut du bien. L’hideuse trombine de Donald Trump ayant révélé, comme le portrait de Dorian Gray, ce que cachait le beau visage de Barack Obama, nous aurons peut-être moins de mal à l’admettre. Et Poutine et Chavez, ils ont des gueules d’amour peut-être ? Je comprends que vous n’aimiez pas ces dégaines de bidasses emmédaillées façon colonel Alcazar. Mais patience ! Nous n’en avons pas encore fini avec les Etats-Unis qui sont dangereux pour une troisième raison : de toutes les grandes puissances, ils sont peut-être la plus stupide. Si vous ne me croyez pas, lisez l’analyse du fiasco de la guerre d’Irak par Myriam Benraad et vous verrez comment les Etats-Unis avaient échafaudé leur stratégie sur des rapports à peine dignes d’un étudiant en première année de Sciences Po. Si vous avez la flemme, vous pouvez également l’écouter sur Mediapart. Les Etats-Unis pourraient bien être également la puissance la plus mégalomane, imbus qu’ils sont de leur « destinée manifeste » dont ils s’autorisent pour intervenir n’importe où sans demander l’avis de personne. Ces traits ont malheureusement déterminé leur attitude vis-à-vis de la Russie depuis la fin de la guerre froide et joué un rôle important dans les tensions entre les deux pays.

 Cette fois c’en est trop : les traits de mon visage fondent et se recomposent pour dessiner le masque de Staline. Mais si je suis un crypto-communiste, Hubert Védrine en est un autre. Dans un excellent documentaire diffusé sur France 2 (encore un coup des bolcheviques), Védrine énonce mot pour mot la thèse de Mélenchon : après la chute de l’URSS, les Etats-Unis ont eu à l’égard de la Russie une politique aussi arrogante qu’imbécile, rompant leur promesse de ne pas étendre l’OTAN jusqu’à ses frontières. Politique dont l’Union Européenne fut l’auxiliaire puisque c’est son agrandissement qui a permis l’extension de l’OTAN. Les Etats-Unis ont été jusqu’à installer des batteries de missiles en Pologne avec l’aval de François Hollande, ce que Mélenchon n’a pas cessé de lui reprocher depuis. Quand il fut question de faire entrer l’Ukraine dans l’OTAN, la crise a éclaté : il était hors de question pour les Russes de perdre leur base militaire de Sébastopol et ils s’empressèrent d’annexer la Crimée. Pardon ? Non, je ne prétends rien excuser : je cherche juste à comprendre. Patience, nous allons bientôt dire du mal de Poutine. Il ne reste plus que la Syrie pour avoir fait le tour des problèmes.

 Mélenchon ne cesse de répéter que pour remonter aux sources du conflit syrien, il faut suivre les pipe-lines. Je ne sais pas ce qu’en pense la Pravda mais c’est aussi l’avis de France 2. Encore une fois, les Etats-Unis et la Russie sont face-à-face, l’enjeu étant le contrôle de l’acheminement du pétrole vers l’Europe. Lorsque Bashar Al Assad décida de privilégier la Russie, les Etats-Unis furent déterminés à l’abattre, instrumentalisant au passage les révolutionnaires syriens qui furent les tragiques victimes du conflit par proxy entre grandes puissances. Dans ce conflit, les Russes ne reculent devant aucune atrocité et les Américains font n’importe quoi. Il faut lire l’enquête ahurissante du journaliste d’investigation britannique Seymour Hersh (traduite par Jean-Bernard Pinatel en note de cet article) pour prendre la mesure du délire : vous y verrez la CIA armer des Jihadistes en croyant armer des rebelles, contre l’avis de la Direction Inter-Armée qui s’arrange pour vendre auxdits Jihadistes de vieilles mitraillettes hors d’usage afin de précipiter leur défaite, après avoir fait fuiter les informations les concernant au régime de Damas. Avec l’attaque aux armes chimiques et la réplique de Trump, on semble avoir franchi un cran tant dans l’horreur que dans le n’importe-quoi.

 Nous voilà d’accord : j’ai dit du mal de Poutine. Puisque nous sommes d’accord, n’ironisons plus car il n’y a vraiment pas de quoi rire. Disons-le d’ailleurs tout net : si antipathique que soit Donald Trump, on ne peut pas le mettre sur le même plan que Vladimir Poutine dont les mains sont trempées du sang des Tchétchènes, des Géorgiens et désormais des Syriens. Du moins pas encore : Trump a fait des éloges de la torture et de l’extermination de l’ennemi qui ne laissent rien présager de bon. Le face-à-face entre les deux hommes est donc très inquiétant.

 Mais qu’avons-nous à craindre ? De tous les candidats à la présidentielle, Mélenchon est le seul à évoquer une troisième guerre mondiale. Exagère-t-il ? L’idée donne le vertige et semble absurde : comment la Russie ou les Etats-Unis pourraient-ils avoir la folle intention de se déclarer la guerre ? Hélas, là n’est pas la question. Les guerres commencent bien souvent sans qu’aucun des belligérants n’en ait eu l’intention, l’engrenage des provocations et des escarmouches qu’aucune des parties ne peut laisser sans réplique provoquant l’embrasement général. Aujourd’hui tout est possible sur trois lignes de fracture : l’Ukraine, la Syrie et la Corée (dont je n’ai pas le temps de parler). Mélenchon n’est d’ailleurs pas le seul à s’inquiéter : Pascal Boniface, Jean-Dominique Merchet, Juliette Morillot et Marie-Cécile Naves présentaient des analyses très proches des siennes dans une excellent émission (car tout arrive) de C dans l’air intitulée Trump, L’escalade guerrière. On y apprend par exemple que la Corée du Nord, si affreuse qu’elle soit sur le plan intérieur, est plus rationnelle que les Etats-Unis dont la conduite erratique est la première menace pour la paix dans le monde.

 Dans cette situation, que doit faire la France ? D’abord, affirme Mélenchon, sortir de l’OTAN pour retrouver son indépendance vis-à-vis des manœuvres états-uniennes, mais aussi pour être dégagée des conflits qui pourraient survenir entre la Russie et ses voisins. En effet, si un membre de l’OTAN est attaqué, les autres doivent le secourir ; qu’une guerre éclate aux frontières de la Lituanie, la Lettonie, l’Estonie ou la Pologne, tous pays limitrophes de la Russie, la France s’y trouverait automatiquement engagée. C’est cette automaticité qui, pour Mélenchon, est inacceptable. Sortie de l’OTAN, la France ne serait pas indifférente aux conflits en Europe mais elle jouirait d’une liberté d’action bien supérieure, notamment sur le plan diplomatique puisqu’elle serait en position de tiers indépendant.

 Ensuite, refuser l’Europe de la défense, sujet sur lequel les candidats Hamon et Macron ainsi que leurs fidèles éditorialistes entretiennent des ambiguïtés coupables. On répète par exemple que construire l’Europe de la défense serait une nécessité « face à Trump et à Poutine » - manière de tenir à équidistance deux personnages également antipathiques. Mais il est tout simplement faux de dire que l’Europe de la défense nous renforcerait « face à Trump » : vingt-deux états de l’Union Européenne étant membres de l’OTAN, elle serait bel et bien à ses côtés. On entend encore que Trump se désengagerait de l’Europe, ce qui serait l’occasion pour l’Union de construire une défense autonome. C’est rigoureusement faux : Trump n’a jamais laissé entendre qu’il ôterait ses bases militaires d’Allemagne ni ses missiles de Pologne. C’est même le mouvement inverse qui s’amorce puisque des militaires Américains ont récemment été déployés dans plusieurs pays d’Europe. La vérité, c’est que Trump a exigé que ses alliés contribuent davantage financièrement à l’OTAN, ce qui pourrait expliquer la décision de Benoit Hamon et d’Emmanuel Macron de porter à 2% du PIB le budget national de la défense.

 Troisième élément de la stratégie Mélenchon : organiser sous l'égide de l'Organisation de Sécurité et de Coopération en Europe (OSCE) une conférence sur la sécurité de l’Atlantique à l’Oural (attention, l’expression ne concerne que la rive européenne de l’Atlantique. Mélenchon s’en est expliqué à Arnaud Leparmentier dans l’une de ses meilleures conférences de géopolitique : les Etats-Unis n’ont rien à faire dans une conférence sur la sécurité en Europe). Celle-ci devrait résoudre la question ukrainienne en articulant le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et les impératifs des puissances : ainsi, disait Mélenchon chez Ruquier, pour qu’ait lieu un référendum d’autodétermination en Crimée, il faut assurer les Russes que l’Ukraine n’entrera jamais dans l’OTAN.

 Quatrième élément de la stratégie de Mélenchon : se poser en puissance médiatrice à l’ONU pour parvenir à ce que se forme une coalition internationale contre DAESH, ce qui permettrait un cessez-le-feu en Syrie et, à terme, des élections où le peuple Syrien pourrait se débarrasser pacifiquement de Bashar Al Assad. Dit comme ça c’est un peu simple, mais je suis déjà trop long ; ceux qui veulent des détails se reporteront à l’analyse du conflit Syrien par Djordje Kuzmanovic, en charge des questions de politique internationale pour la France Insoumise.

 Ces quatre éléments reposent sur des postulats simples. Le premier est que les Etats-Unis sont une puissance dangereuse dont nous devons nous désolidariser. Le second est que la France, puissance nucléaire et membre permanent du Conseil de Sécurité de l’ONU, a les moyens d’une politique de défense indépendante. Le troisième, c’est que les institutions internationales doivent être renforcées comme lieu de règlement diplomatique des conflits d’intérêts entre puissances. Le quatrième, c’est que Vladimir Poutine, si déplaisant qu’il soit, n’est pas fou et qu’il est possible, sans lui céder sur tout, de poser rationnellement les problèmes pour éviter une guerre à laquelle il n’a pas davantage intérêt que nous. Raisonner ainsi, ce n’est pas être fasciné par qui que ce soit – au contraire : c’est se déprendre aussi bien d’une fidélité aveugle aux Américains que d’une haine tout aussi aveugle des Russes pour retrouver la capacité à poser froidement les problèmes.

 Mais c’est bien, en réalité, cette froideur dont on fait reproche à Mélenchon. Son cœur ne se serait pas dilaté pour les manifestants de Maidan, il n’aurait pas saigné pour les victimes d’Alep ; il faut qu’il soit aussi monstrueux que son maître Poutine. Je ne sais qui peut se laisser convaincre par ces fines analyses psychologiques. Ce qui m'étonne, en revanche, c'est que Mélenchon soit accusé de collusion avec un dictateur quand il affirme que les Russes doivent être des « partenaires », mais qu’on lui rit au nez quand il refuse de mettre une limite au nombre de réfugiés que la France doit accueillir et affirme que la seule politique rationnelle consiste à mettre fin aux guerres qui provoquent des migrations forcées. D’un côté, on nous enjoint de regarder les conflits par le petit bout de la lorgnette et de porter sur chaque événement un jugement moral, sous peine d’être versé au camp du mal ; mais d’un autre côté, on discrédite le seul objectif moral en matière de géopolitique, c’est-à-dire la paix. Mélenchon raisonne exactement à l’inverse : c’est parce qu’il se donne la paix pour objectif qu’il s’efforce de développer une analyse froide et réaliste des conflits.

 Il faut raisonner froidement pour faire la paix. Inversement, que font ceux qui attisent les émotions sinon préparer la guerre ? Est-il bien sage de partager la joie sauvage qu’inspira le bombardement Américain à Bernard Guetta ? Il est la preuve par l’exemple qu’augmente, sinon le désir de guerre, du moins le consentement à la violence qui permet tous les emballements. Il semble déjà loin le temps où Trump dégoûtait les chroniqueurs de France Inter. Quand on constate la puissance d’égarement de leur tropisme atlantiste, on comprend pourquoi Mélenchon se refuse systématiquement à critiquer Chavez et Castro.

 Nous y voilà. Non, Mélenchon n’a jamais eu de sympathie pour Poutine. Mais oui, Mélenchon admire Chavez et Castro. Cela n’a rien d’étonnant : ce qui est sidérant, en revanche, c’est qu’on puisse mettre les trois dans le même sac. Qu’ont donc en commun un héros des luttes anticoloniales et l’homme par qui renaquit le socialisme après la chute du mur avec un autocrate à la tête d’une clique d’oligarques bénie par l’Eglise ? Je vous en prie, ne vous empressez pas de répondre : « Ils ont tous trois violé les droits de l’homme ». Vous parleriez comme Pujadas et céderiez à ce moralisme réflexe qui court-circuite toute réflexion et détruit toute profondeur de champ. Mélenchon aurait beau jeu de vous dire que les Etats-Unis ont aussi violé les droits de l’homme, et plutôt trois fois qu’une.

 Mais il ne s’agit pas d’entrer dans les querelles interminables des libéraux armés du Livre Noir du communisme avec les communistes brandissant la Contre-histoire du libéralisme. Il suffit de poser les faits. Le régime Castriste est né d’une insurrection anticoloniale et progressiste qui, dans les circonstances intenables créées par un embargo maintes fois condamné par l’ONU, a dégénéré en régime autoritaire. La seule question qui vaille est : qu’aurait-il fallu faire ? Chavez, pour sa part, est arrivé au pouvoir par les urnes, il a mis en place une démocratie d’avant-garde et a gagné dix-sept suffrages tous validés par les observateurs internationaux. Après avoir nationalisé l’industrie pétrolière, il a utilisé la rente pour éradiquer l’extrême pauvreté, alphabétiser et soigner des centaines de milliers de personnes. Pourtant aujourd’hui le pays s’enfonce à nouveau dans la misère et prend un tournant autoritaire. La seule question qui compte est encore : qu’aurait-il fallu faire ? Les égarés de l’anticommunisme primaire ne se posent pas ces questions : ils se contentent de répéter qu’hors le marché, point de salut. Les agnostiques de l’économie de marché qui voudraient pousser un peu plus loin la réflexion trouveront des éléments de réponse dans le programme de la France Insoumise.

 Commençons par nous rassurer : notre situation ne ressemble pas à celle de Cuba. Nous sommes un pays riche, un pays puissant, qu’on ne saurait marginaliser sur la scène internationale. Mais il y a tout de même quelques leçons à tirer. La première est bien sûr d’empêcher la concentration du pouvoir en protégeant le multipartisme par l’instauration du suffrage proportionnel, mais aussi en donnant aux citoyens le droit de révoquer les élus et de participer au travail législatif. La deuxième leçon porte sur la presse qui, à Cuba comme ici, appartenait au grand capital et se trouvait donc structurellement en situation de conflit d’intérêt. Pour y remédier, le gouvernement cubain avait créé un journal théoriquement ouvert à tous, mais bientôt censuré. Or un pays vit du brassage des idées ; comment régler le problème de la presse sans imposer la censure ? Le programme L’Avenir en Commun propose un fonds de financement coopératif pour soutenir les médias indépendants et associatifs et un statut du journaliste lui permettant de travailler dans de bonnes conditions. Ce n’est pas un hasard si Mélenchon, haï par les chefferies médiatiques, est très populaire dans les salles de rédaction.

 Les leçons à tirer du désastre vénézuélien sont précieuses également. L’économie vénézuélienne souffre de deux maux. D’une part, elle repose quasi intégralement sur la rente pétrolière et s’est donc effondrée quand le prix du baril a plongé. D’autre part, la compagnie pétrolière PDVSA est gangrenée par la corruption. La solution au premier problème consiste à favoriser un modèle économique aussi diversifié que possible, mais aussi l’indépendance alimentaire et énergétique, pour mettre l’économie nationale à l’abri des fluctuations des marchés. La solution au second problème réside dans la déconcentration de l’industrie : non, le programme de la France Insoumise ne prévoit pas la constitution de gigantesques monopoles étatiques mais encourage au contraire la prolifération de petites entreprises, notamment dans le secteur de l’économie sociale et solidaire. Libérées des logiques de profit par le soutien financier de l’Etat et le plafonnement des salaires, ces entreprises constitueront une matrice productrice souple et résistante aux effets pervers de la bureaucratie.

 Mélenchon a mentionné plusieurs fois une troisième cause de la débâcle vénézuélienne. Elle est culturelle ; les masses fraîchement sorties de la pauvreté n’ont eu d’autre objectif que d’appartenir enfin aux classes moyennes et d’adopter leurs modes de consommation. Il en a résulté une intensification des tensions sociales que la révolution bolivarienne aurait dû apaiser. Pour éviter cela, il n’y a pas de solution miracle. Nul ne croit plus aux révolutions culturelles venues d’en haut. En revanche, si la culture ne se décrète pas, elle s’entretient : la France Insoumise propose donc de sortir de la politique des monuments qui a cours aujourd’hui pour soutenir au contraire la myriade de petits créateurs qui font le tissu moral de notre pays.

 Ainsi s’agencent dans le programme de la France Insoumise une doctrine de défense (l’indépendantisme français), des formes institutionnelles (la sixième république), des normes de production (écologiques), des moyens de production (coopératifs) et des pratiques culturelles (participatives) qui pourraient nous libérer de l’empire du marché sans nous entraîner dans les ornières où s’embourbèrent Castro et Chavez, et sans faire la guerre à Poutine. Si les Français le décident, ils pourraient bien mettre un terme, enfin, à la guerre froide.

Notes : retrouvez les articles d'Olivier Tonneau sur son blog Lettres d'un engagé à ses amis qu'il dérange en accès libre ici.

Sur les evénèments récents en Syrie et aux USA, je vous recommande mon article de "correspondant texan" Syrie : hystérie généralisée


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