Poutine… Roi de pique ou Roi de cœur ?

par Pierre
lundi 29 octobre 2018

Que n’a-t-on pas écrit sur lui. Nos médias dominants n'en parlent presque toujours que péjorativement et souvent de façon injurieuse. Il est impossible de lire le moindre article, même globalement positif sur la Russie contemporaine ou sur son président sans qu'il ne se contienne quelque part une allusion dévalorisante. Il fait l'objet d'attaques virulentes de responsables politiques occidentaux qui se concluent même parfois par des comparaisons douteuses avec Hitler. Cela a forcément une influence sur les opinions publiques occidentales (surtout américaines et britanniques) qui sont très majoritairement hostiles au président russe.

Ce même Vladimir Poutine a un soutien exceptionnel dans son pays malgré sa longue carrière politique. Il est à la tête de la Russie, de la Fédération de Russie pour être précis, depuis bientôt 19 ans avec une courte interruption comme Premier ministre du 8 mai 2008 au 7 mai 2012, période pendant laquelle il eut moins d’influence. Il fait partie des personnalités politiques les plus populaires dans le reste du monde.

 

Quels sont donc la ou les raisons de cette haine ou de cette admiration pour Vladimir Vladimirovitch Poutine.

 

 

A-t-il trouvé la meilleure ou la seule façon de gouverner la Russie ?

 

La Fédération de Russie est un pays continental et eurasiatique dont 78 % de la population vit en Europe mais dont 75 % du territoire est en Asie. Elle occupe 40 % de la superficie du continent européen et 1/3 du continent asiatique.

128 groupes ethniques peuplent cet immense territoire. Plus de 100 langues sont protégées et la plupart même constitutionnellement reconnues.

A titre de comparaison, les États-Unis ont presque complètement effacé les peuples natifs qui ne sont plus cantonnés que dans des réserves plus folkloriques que respectueuses de leurs cultures d'origine. Ces peuples finissent d'ailleurs par être assimilés par l'American way of live.

La religion orthodoxe est de loin la plus représentée mais le pays ne compte pas moins de 20 millions de musulmans plus une dizaine d'autres cultes qui totalisent moins d'adeptes.

78% des habitants sont des Russes ethniques. Parmi les autres groupes, les plus nombreux sont les Tatars, les Bachkirs, les Tchouvaches et les Tchétchènes. Les Ukrainiens sont un groupe ethnique bien intégrés dans le pays et tellement proche des Russes qu'ils sont souvent confondus avec eux. Comme les Arméniens, les Ukrainiens n'ont pas de république propre. Quoique très nombreux, ils ne bénéficient donc pas de la même autonomie que les autres groupes.

La carte politique de la Fédération de Russie est une mosaïque de territoires de statuts différents.

La Russie est constituée de 85 sujets (ou entités) égaux en droit. [i]

 

La Fédération de Russie : 22 républiques (vert), 9 kraïs (beige clair), 46 oblasts, (beige foncé), 3 villes fédérales (rouge), 1 oblast autonome (bleu), 4 districts autonomes (orange).

 

Cette description de données géographiques, culturelles et démographiques donnent une idée de l'immensité territoriale et de la complexité administrative de ce pays.

La Russie se relève seulement du chaos des années quatre-vingt-dix et cherche encore son équilibre mais il y a une certitude, on ne peut raisonnablement pas gouverner la Russie suivant les mêmes préceptes qu'une petite démocratie monoethnique.

Le désordre qui a suivi la fin de l'Union soviétique vit la Fédération de Russie presque éclater en quatre ou cinq parties avec la bénédiction des vautours du capitalisme international qui virent là l'opportunité d'éliminer un concurrent économique et de faire main basse par la même occasion sur les richesses naturelles du pays.

Vladimir Poutine a mis le holà à cette tentative en mettant au pas les oligarques complices de cette manœuvre et en poussant les récalcitrants à l'exil.

La reprise du contrôle de l'est du Pays et de la région caucasienne se fit brutalement avec le limogeage des gouverneurs de régions frauduleusement élus, leur remplacement par des autres nommés par le Kremlin et par une intervention armée dans le Caucase. Après une période de stabilisation, on en est revenu à l'élection directe des gouverneurs.

Vladimir Poutine fait fi des règles que les démocraties occidentales autoproclamées « la Communauté internationale » ont édictées et qu’elles ne respectent par ailleurs pas elle-même comme par exemple en Serbie, en Libye, en Irak et dans des dizaines d’autres théâtres d'opération moins médiatisées.

Il est intervenu militairement avec succès dans son étranger proche, en Ossétie du Sud, en Abkhazie, en Crimée et au Donbass, en utilisant les mêmes arguments que ses « partenaires » occidentaux.

Les sanctions occidentales lui sont indifférentes et il a décidé de se tourner vers l'Asie qui est en plein décollage économique.

Il sait qu'il ne peut avoir le contrôle total du pays comme à l'époque soviétique sinon au prix d'une dangereuse et incertaine épuration politique et sans doute d'une nouvelle guerre civile. Il laisse la direction de territoires peu sécurisés comme par exemple la Tchétchénie à des hommes de confiance pas nécessairement très respectueux du droit et il favorise l'arrivée dans l'est du pays de la nouvelle garde d'hommes politiques, des fidèles formés dans les écoles russes.

Toutes les parties fédérées de la Russie bénéficient d'une large autonomie qui n'a rien à voir avec les délires autoritaires et centralisateurs de l'Union soviétique. Les principaux points dont le pouvoir fédéral demande le respect, c'est la fidélité à la constitution et l'interdiction de toute velléité de sécession.

Jusqu'à présent, c'est un parcours sans faute. Il ne peut être interrompu que par des interventions extérieures comme par exemple dans le Caucase dans les années quatre-vingt-dix quand des djihadistes internationaux cherchèrent à créer un califat dans cette région.

A plus long terme, un différend avec la Chine n'est pas impossible. La frontière actuelle a été reconnue par les deux pays mais l'immigration légale et illégale chinoise dans le Primorié (Mandchourie extérieure) est très importante et qui sait si la Chine ne cherchera pas un jour à s'en servir pour se rattacher cette région en plein développement ?

Pour le moment, cela n'est évidement qu'une supputation.

 

 

Une comparaison inversée.

Comment les médias mainstream français peuvent-ils reprocher aux journalistes russes de soutenir leur président alors que ces mêmes médias ont soutenu le candidat Macron de manière éhontée ?

Les journalistes français avaient cru déceler en Emmanuel Macron l'homme providentiel dont la France avait besoin pour retrouver une prospérité économique et restaurer la dignité présidentielle

Ils se sont lourdement trompés, c'est le moins qu'on puisse dire.

 Les journalistes russes agissent pareils pour exactement les mêmes raisons. Ils soutiennent les politiques intérieure et extérieure menées par Vladimir Poutine parce qu 'ils pensent que ce sont les meilleures pour les Russes et pour le pays.

Eux, ils ont plutôt visé juste. Vladimir Poutine ne ridiculise pas la fonction présidentielle.

Peut-on leur reprocher de veiller à ce que le pays ne retombe plus dans des mains prédatrices ou dans l'utopie marxiste ?

On peut remarquer qu'en Occident comme en Russie, l'opposition au pouvoir se manifeste principalement sur les réseaux sociaux et via les commentaires sous les articles des médias mainstream.

 

La Russie et l'Allemagne.

L'Allemagne a eu dans l'histoire de la Russie une influence que la plupart de gens ignorent.

L'impératrice Catherine II de Russie [ii], une prussienne de petite noblesse de naissance et donc pas imprégnée de l'âme slave pour un sou, arriva au pouvoir en 1762 en écartant son époux du trône. Plus tard, elle fit venir des Allemands en masse pour coloniser les steppes du sud de la Russie ainsi que les territoire conquis sur les Ottomans et les Tatars que les Russes de souche tardaient à occuper. Après 1990, des centaines de milliers de descendants de ces Allemands de la mer Noire et de la Volga réintégrèrent l'Allemagne.

Entre 1772 et 1795, elle s'entendit avec la Prusse et l'Autriche pour se partager la république des Deux Nations (Pologne – Lituanie).

Beaucoup d'empereurs [iii] russes épousèrent des aristocrates allemandes.

Nicolas II épousa une princesse allemande qui sous l'emprise de Raspoutine eut une grande influence sur la politique de son mari.

En 1917, les autorités allemandes firent traverser le pays à Lénine et à son entourage dans un « train plombé ». [iv] Cela permit aux révolutionnaires d'octobre 1917 de rentrer au pays, d'y prendre le pouvoir et de négocier une paix séparée avec l'Allemagne

Peut-être en reconnaissance, Lénine donna aux Allemands de Russie un territoire [v] qui devint la République socialiste soviétique autonome des Allemands de la Volga en 1924.

Rappelons aussi que l'allemand était la deuxième langue enseignée en Russie dans l'entre-deux-guerres et qu'il y avait des relations militaires et économiques très intenses entre les deux pays, surtout avant 1933.

Il faut encore ajouter que si la Russie (ou l'Union soviétique) entra deux fois en guerre contre l'Allemagne au siècle passé, elle partagea aussi à deux époques différentes la Pologne avec elle, la deuxième fois en 1939.

Vladimir Poutine s'exprime parfaitement dans la langue de Goethe grâce entre autres à toutes les années passées en Allemagne de l'Est comme agent du KGB. Il entretient des relations chaleureuses avec l'ancien chancelier Schroeder et tempère ses critiques vis-à-vis de l'Allemagne.

Ses conversations avec la chancelière Merkel se déroulent sans interprète, chacun maîtrisant la langue de l'autre.

Avec 76 milliards d'échanges commerciaux par an, l'Allemagne est le premier partenaire commercial européen de la Russie et le deuxième de la Russie après la Chine. La construction de Nord Strean 2 va encore augmenter ce volume d'échanges.

L'admiration des Russes pour l'Allemagne n'est pas réciproque. Les médias allemands sont très critiques vis-à-vis de la Russie et Vladimir Poutine n'y jouit pas d'une plus grande popularité qu'en France.

Pour Vladimir Poutine, l'Allemagne est cependant le partenaire privilégié en Europe et elle est peut-être le seul pays qui a une certaine influence sur la politique russe actuelle. La complémentarité entre les deux pays n'est plus à démontrer.

En revanche, il ignore ostensiblement l'Union européenne qu'il considère trop sous influence des États-Unis et par solidarité, des ennemis historiques de la Russie : la Pologne, les Pays baltes et la Suède.

Cela provoque une hostilité de l'institution européenne à son égard.

 

Poutine, roi de pique.

 

 Pour Vladimir Poutine, l'intérêt de la patrie passe avant le droit individuel.

Du moins en ce qui concerne les oligarques, les délinquants et les fonctionnaires corrompus, il rejoint l'opinion majoritaire des Russes qui ont été moulés par la propagande et le patriotisme soviétique et qui gardent la nostalgie de la grandeur passée de leur pays.

Les puissances occidentales sont en totale opposition avec cette conception.

Selon leur doxa libérale, la démocratie parlementaire, le libre marché et la liberté individuelle sont l'alpha et l’oméga de toute organisation de la société. Ce n'est qu'en réduisant le rôle de l’État aux fonctions régaliennes minimales et en laissant une totale liberté individuelle à chacun que les intérêts de l'individu et de la société peuvent se rejoindre.

Cela signifie que pour les élites occidentales, l'approche patriotique de Vladimir Poutine est un repoussoir et qu'on peut légitimement attaquer sa personne.

Il est difficile de faire un inventaire complet des attaques dont le président russe fait l'objet.

Citons-en simplement quelques unes au hasard : il veut restaurer l'Union soviétique, il a promulgué des lois homophobes, il menace militairement ses voisins, il intervient dans les processus électoraux des « démocraties » occidentales, il est lui-même un homosexuel refoulé, il est l'un des hommes les plus riches du monde avec tout l'argent volé à son peuple, il a ordonné l'assassinat de journalistes et d'opposants en Russie et dans le monde, il soutient l'église orthodoxe pour renforcer son pouvoir personnel, il envoie ses opposants au goulag, il veut devenir président à vie, il est coresponsable de centaines de milliers de morts en Syrie etc

Pour les sobriquets, citons dictateur, tyran, tsar, despote, macho, satrape (plus rarement) ,autocrate (indirectement puisque la Russie serait une autocratie)...

Voilà le menu. Il est difficile de tout engloutir sous peine d'indigestion mais libre à chacun d'avaler ce qu'il veut.

 

 

Poutine, roi de cœur.

 

 On ne peut pas comprendre Vladimir Poutine si on ne connaît pas les deux traumatismes qui ont marqué sa vie.

Ce natif de Saint-Pétersbourg a grandi dans les années cinquante dans une ville détruite par l'Allemagne nazie. Les souffrances des habitants de Leningrad étaient encore vives pendant que la ville se reconstruisait péniblement. Cela a dû indubitablement le marquer.

Le deuxième traumatisme fut l'effondrement de l'Union soviétique et la crise des années quatre-vingt-dix qui s'ensuivit. En Occident, on n'imagine pas la misère dans laquelle les Russes vivaient et comment les joyaux industriels du pays avaient été pillés par des oligarques et des criminels de tous bords.

Vladimir Poutine en a gardé une aversion pour les guerres inutiles et pour la déliquescence de l'Etat.

Il est gratifié du redressement spectaculaire du pays en moins de vingt ans. Le niveau de vie des Russes a été quadruplé et la Russie est redevenue une grande puissance politique et militaire avant de redevenir dans les prochaines années une grande puissance économique.

En un mot, les Russes ont retrouvé leur fierté.

Même s'il subit une baisse de popularité pour une raison ponctuelle (l'âge du départ à la pension), il est loin d'atteindre le manque de confiance des dirigeants occidentaux.

De l'époque soviétique, les Russes ont gardé l'habitude de se moquer de leurs dirigeants politiques.

Ils ne font pas d'exception pour Vladimir Poutine mais globalement, les Russes sont fiers de leur président.

La Russie – C'est 1/6 de la terre entourée de tous les côtés de civilisation.

 

 

Conclusion.

 

Y a-t-il du Dr Jekyll et Mr Hide en Vladimir Poutine ?

Ses ennemis le croient mais ils sont en même temps les plus ardents adeptes du capitalisme néolibéral qui est responsable du même comportement pathologique qu'ils dénoncent avec d'un côté, la promesse d'une hypothétique croissance économique synonyme de bonheur selon eux et de l'autre, la destruction de la protection sociale, la délocalisation des entreprises et la paupérisation générale comme par exemple en Grèce.

Il est clair que le capitalisme anglo-saxon veut la ruine économique de la Russie ainsi que sa soumission et que la Russie ne pourra pas résister à cette pression sans changer de méthode voire de modèle économique.

Sanctions économiques, sanctions contre les athlètes, restrictions pour les visas, menaces militaires, tout cela est destiné à provoquer un mécontentement populaire et à inciter le peuple à se révolter et à ouvrir les portes du pouvoir à ce que Vladimir Poutine appelle la « cinquième colonne », c'est-à-dire aux néolibéraux et autres mondialistes russes qui sont pour beaucoup passés par les écoles étasuniennes.

Personnellement, je ne crois pas qu'un coup d’État de ce genre réussirait en Russie du moins dans un avenir proche et tant que Vladimir Poutine sera à la présidence.

Si d'un côté, le gouvernement de Dmitri Medvedev est grandement composé de ces libéraux en question et que les administrations russes sont truffées d'agents néolibéraux, de son côté, Vladimir Poutine garde la confiance des siloviki, la fidélité des Forces armées et de son État-major sans oublier la Garde nationale forte de 400 000 hommes bien entraînés et sous le contrôle de Viktor Zolotov, un fidèle des fidèles.

Disons que la balance penche nettement du côté de Vladimir Poutine pour le moment.

Pour le reste, tout le monde s'accorde à dire que Vladimir Poutine est loin d'être isolé dans le monde. La Chine avec l'achat de SU-35, l'Inde avec les récents contrats militaires, la Turquie avec les S-400, l'Allemagne avec le Nord Stream 2 : ces pays importants bravent les diktats étasuniens et ils risquent d'entraîner de nombreux autres pays dans leur sillage.

Sentant son hégémonie ébranlée, l’État profond étasunien cherche à isoler la Russie et à empêcher l'économie russe de décoller. La guerre des sanction ne fait que commencer et il faut s'attendre à ce qu'elle s'étende petit-à-petit aux partenaires commerciaux de la Russie.

Commençant à bien connaître Vladimir Poutine, je pense qu'il temporisera le plus longtemps possible mais comme l'ours acculé, il n'hésitera pas à réagir avec toute sa force s'il n'a pas d'autre issue. [vi]

 

 

i Chaque sujet envoie 2 délégués à la Chambre haute du Parlement russe (170 délégués). Le pouvoir fédéral encourage les fusions des sujets et aimerait les réduire de moitié.

ii Catherine II qui pratiquait six langues était aussi une lectrice passionnée de la littérature française et des philosophes des Lumières. Elle fit partie des despotes éclairés de son temps mais elle se ravisa après la Révolution française et interdit la diffusion des « pernicieuses » idées françaises en Russie.

iii Empereur, parce que Tsar est une appellation impropre pour désigner les derniers souverains russes. Pierre le Grand avait décidé d'européaniser son titre au XVIIIe siècle et, en 1721, choisit de devenir « Imperator ». Tous les souverains qui suivirent eurent officiellement le titre d'Empereur. Tsar dérive de César qui a aussi donné le titre de Kaiser (Caesar) en Allemagne. Il est donc anachronique de dire que Poutine est un tsar.

iv https://wikirouge.net/Wagon_plombé

v L'oblast avait 28.200 kilomètre carrés, soit un peu moins que la superficie de la Belgique.

vi La guerre de Géorgie gagnée en cinq jours en 2008, la prise de contrôle de la Crimée en un jour en 2014, le transfert d'une force de frappe aérienne en Syrie en un jour en 2015, les chaudrons du Donbass qui ont décapité l'Armée ukrainienne : toutes ces réactions russes ont été rapides et efficaces. Elles ont chaque fois pris par surprise les stratèges américains de l'OTAN.


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