Pouvoir, Tabous et Manipulations

par 1000mots
lundi 2 novembre 2020

 

Rien ne paraît plus surprenant [...] que de voir la facilité avec laquelle le grand nombre est gouverné par le petit [...]. Quelle est la cause de cette merveille ? Ce n’est pas la force ; les sujets sont toujours les plus forts. Ce ne peut donc être que l’opinion. C’est sur l’opinion que tout gouvernement est fondé, le plus despotique et le plus militaire aussi bien que le plus populaire et le plus libre.

David Hume, Essais politiques

Dans l'article Doute radical sur toutes les sources d’information, j'ai indiqué divers raisons pour se méfier des principales sources d'informations (sciences, médias, agences de presses, Wikipedia, ONG). Parmi ces raisons se trouvent des manipulations ou désinformations intentionnelles par différentes sphères de pouvoir. Dans l'analyse habituelle du fonctionnement du pouvoir, il y a différents aspects qui sont souvent oubliés ou niés et que je veux mentionner ici.

L’État profond

Par État profond, on désigne le fait que des parties de l’appareil étatique poursuivent des intentions différentes que leurs fonctions officielles ou participent à des opérations illégales ; voire que le vrai pouvoir n’est pas dans les mains des représentants élus du peuple et que la démocratie, la libérté d’expression et l’état de droit ne sont qu’une façade. Ces structures de pouvoir opaques qui pervertissent les démocraties et faussent l’expression de la volonté populaire, peuvent inclure la haute finance, l’industrie, en particulier le complexe militaro-industriel, diverses mafias ou encore des organisations para-militaires ou criminelles. Par exemple, l’OTAN a développé pendant la Guerre Froide un réseau para-militaire clandestin appelé Gladio.

Opérations sous fausse bannière

Puisque typiquement, les opérations de l'état profond ne sont pas avouables, elles sont souvent menées sous fausse bannière. Par exemple, l'opération Northwoods proposée par la CIA et le département de la défense prévoyait des attentats terroristes contre la population américaine, en leur donnant l'apparence d'être organisés par le gouvernement de Cuba pour le discréditer et finalement le renverser ou de justifier une intervention militaire. Heureusement, John F. Kennedy a rejeté ce projet. Malheureusement, bien d'autres opérations sous fausse bannière ont pu être organisées dans beaucoup de régions du monde. Ainsi, le réseau Gladio a mené divers attentats terroristes en Italie, qui ont ensuite été faussement attribués à l'extrème-gauche. Dans le cadre ce ce genre d'opérations, les organisateurs pensent évidemment aussi à des stratégies de déni plausible. Aujourd'hui, que peuvent bien faire les services secrets étasuniens avec un budget annuel de quelque 75 Mrd US-$ et 200.000 collaborateurs ? Ou le Pentagone avec 700 Mrd US$ par an et 27.000 personnes dédiées aux services de communication ?

Changements de Régime

Par changement de régime, on désigne dans notre contexte le fait qu'un pays intervient dans un autre pour forcer un changement. Ces interventions sont interdits par la Charte de l'ONU et se présentent donc souvent comme opérations sous fausse bannière. La liste des changements de régime organisés par les USA depuis cent ans est quasi ininterrompue. Malheureusement, les média occidentaux mentionnent rarement le principe fondamentale du droit international d'interdiction d'aggression militaire ou de soutien de mouvements subversifs, surtout quand ces aggressions sont menées par des gouvernements pro-occidentaux. Pire, on trouve souvent une couverture médiatique de justification fallacieuse du type "intervention humanitaire" ou "Revolution de couleur" (ce qui n'empêche pas qu'un régime ainsi renversé ait été malaimé par une part de la population). En vue du droit international, les aggressions militaires des USA et de l'OTAN (ou de ses membres) contre la Yougoslavie, l'Afganistan, l'Irak, la Lybie ou la Syrie etc sont illégales et les responsables doivent être considérés comme criminels de guerre. Au lieu de cela, Barack Obama a eu droit au Prix Nobel de la Paix... Ainsi, les média jouent de moins en moins leur rôle de contre-pouvoir. Au contraire, on voit une collaboration de fait entre les gouvernements occidentaux, les grands groupes médiatiques, voire les agences de presse, la haute finance, les services secrets... Si le citoyen est normalement conscient de cette collaboration, il n'est pas pour autant conscient de l'ampleur et des méthodes et stratégies de désinformation et de manipulation. Car la seule absence d'une information cruciale suffit parfois à nous berner sur une situation donnée.

Réflexions générales sur le pouvoir

Les situations politiques importantes sont-elles le jeu du hasard, des concours de circonstances, de dysfonctionnement de certaines institutions, de luttes de pouvoir internes et des effets secondaires de ces forces en jeu ? Ou au contraire, faut-il supposer des mauvaises intentions, des planifications et des collaborations structurées voire systématiques entre les différentes institutions et formes de pouvoir ? Ainsi, le travail des journalistes d'investigation ou des historiens ne consiste-t-il pas aussi à développer (éventuellement) des "théories de complots" pour démasquer des structures de pouvoir malintentionnées ? Mais, si tel est le cas, les personnes et organisations ainsi accusées, ne vont-elles pas utiliser tous les moyens possibles pour étouffer ou discréditer le résultat des enquêtes ?

Or, il semble y avoir différents tabous dans la représentation habituelle du pouvoir, comme si Machiavel n’avait pas existé. Certes, nous imaginons facilement les pires organisations criminelles, mafieuses ou maléfiques, nous sommes conscients que la soif de pouvoir ne connait pas de limite et nous n’avons aucun mal à penser qu’il puisse en toute circonstance profiter d’une situation donnée, comme lors d’une crise économique, d’un attentat terroriste ou de toute autre situation où la peur permet de manipuler l’opinion publique et faire passer des lois liberticides. Par ailleurs, on admettra facilement qu’un entrepreneur ou une banque tente autant que possible de prévoir des années voire des décennies à l’avance ; et comprendra facilement l’intérêt des assurances, des ré-assureurs et des institutions militaires pour les évolutions écologiques et climatiques à long terme (voir par exemple l'essai La nature est un champ de bataille de Razmig Reucheyan).

Mais nous nous interdisons en général de penser que ce même pouvoir puisse être en partie ou complètement responsable d’une situation qui lui profite, et cela même alors que nous admettons que le pouvoir est prêt à tout et pense à long terme. Une autre étrange limitation de la perception habituelle des pouvoirs actuellement en place, consiste à les réduire à une recherche du profit matériel à court terme, en excluant implicitement toute volonté de pouvoir pour lui-même, de contrôle de l’opinion et de la population, sans parler de motivations purement destructrives ou inhumaines. Peut-être que les principes fondamentaux de nos sociétés libérales, à savoir la démocratie, la liberté d’expression et l’État de droit, semblaient a priori nous prémunir contre ce genre de dérive totalitaire. Cependant, en vue de ce qui a été développé précédemment, se pourrait-il que ces principes auraient été massivement contournés, mais si imperceptiblement que même des citoyens avertis soient régulièrement trompés ? Maurice Joly nous avait déjà averti en 1865 avec son Dialogue aux enfers entre Machiavel et Montesquieu, dans lequel un Machiavel fictif explique comment les institutions démocratiques et la séparation des pouvoirs seront détournées, entre autres par une opposition contrôlée des média, partis et syndicats, en semant la panique etc. Ironie de l’histoire, cette œuvre a été plagiée par la police secrète tsariste pour créer et diffuser le pamphlet antisémite Protocole des Sages de Sion, lequel plagiat est donc la preuve même des méthodes décrites par Joly.

Un exemple : l'économie, le climat et Covid

Depuis des années voire des décennies, les conférences internationales sur l'urgence climatique se succèdent sans que rien de substantiel ne se passe et tout le monde semblait d'accord pour en donner la faute au lobbies, à la recherche du profit à court terme, au capitalisme... Et soudain, une épidémie dont la gravité est comparable à d'autres (c'est-à-dire, à l'inverse du Changement Climatique, un évènement somme toute normal à l'échelle de l'humanité) permet les changements les plus radicaux, en particulier la mise à l'arrêt quasi complète de l'économie qui était pourtant la raison interminablement évoquée pour rejeter des mesures plus fortes en faveur de l'environnement et de la santé publique. Pourquoi l'économie n'est-elle soudainement plus si importante ? Pourquoi toutes les causes de maladies et d'atteintes à la santé, tels les pesticides, les métaux lourds, les pollutions chimiques, les perturbateurs endocriniens, la malnutrition etc, n'ont-elles jusqu'à présent pas été prises en compte ? S'il s'agissait, pendant la crise de Covid, réellement de défendre la santé des citoyens, ne fallait-il pas aussi parler du système immunitaire et de l'extrême importance pour notre santé, du lien sociale, du bien-être et des activités culturelles, au lieu de les interdire ? Et n'est-il pas nuisible à la santé de semer la panique ? Se pourrait-il qu'il s'agisse en fait de jeux de pouvoir ?

Désorientation générale

Comment ne pas se perdre alors dans ce magma d'informations complexes et inextricables, et s'abandonner dans le sentiment d'impuissance ? (Se pourrait-il que ce sentiment d'impuissance et d'incompréhension soit intentionnellement recherché ?) Une fois arrivé à un doute radical à propos des institutions nationales, internationales ou prétendument indépendantes, à quoi pouvons-nous faire confiance ? Et qu'en est-il de toutes ces folles théories de conspirations qui circulent sur internet, n'est-il pas dangereux de croire à des sources alternatives ?

Il faut évidemment faire attention à la crédibilité des sources, c'est-à-dire investir du temps, trouver des repères, bref : s'y intéresser. Mais ne sommes-nous pas aussi devant une forme de censure subtile et inconsciente ? Car, en décrivant une opinion ou une personne comme populiste, irrationnelle ou complotiste voire d'antisémite, on induit une forte appréhension à s'y intéresser : nous avons peur d'être taxés d'extrémisme politique voire de pathologie mentale ou d'intellection insuffisante ou défaillante. Donc la problématique de la recherche de la vérité devient un problème psychologique et social : nous résistons difficilement à la pression conjointe des média et de notre entourage, surtout si nos points de vues ou informations sont si violemment discrédités. Bien sûr, le fait même de remettre massivement en question les informations officielles et de découvrir des structures ou intentions insoupçonnées peut nous amener à développer des biais cognitifs. Mais cet argument vaut dans les deux sens : le flux d'informations et d'images venant des média traditionnels forme notre esprit et définit une normalité qu'il devient de plus en plus difficile de remettre en question.

Retrouver le chemin de la Vérité

Une idée très répandue consiste à penser que la vérité est inatteignable, voire que chacun vit dans son monde à lui, ou encore que nous ne pouvons rien changer à la situation. Or, nous vivons dans un monde qui reste dans l'essentiel pareil à lui-même, nous faisons confiance aux informations de la vie quotidienne, à des faits historiques, mais aussi à des théories et prédictions ; et normalement nous pouvons nous mettre d'accord sur ces faits, théories ou informations. La connaissance vraie du monde permet la vie-même, et nos décisions individuelles et politiques en dépendent. Cette compréhension simple de la vérité ou de l'objectivité est accessible à tout le monde.

Or, contrairement à ce qu'affirment certains philosophes, la vérité ne s'impose pas forcément d'elle-même ; et ceci d'autant moins dans le contexte de la complexité du monde moderne, de désinformations intentionnelles et de brouillard d'informations généralisé. Par ailleurs, la recherche de la vérité est un processus collectif et constructif qui nécessite des sources fiables et la possibilité d'un débat ouvert. Cette délibération ne doit pas être accaparée par des experts, des pouvoirs politiques et des média ; au contraire l'expertise même doit pouvoir être remise en question et critiquée par le débat collectif.

Ainsi, la recherche de la Vérité est en elle même acte politique, tout autant que démarche d'émancipation. Finalement, dans notre époque déboussolée voire ténébreuse, de citoyens perdus dans des préoccupations de sécurité illusoire et de la satisfaction de plaisirs à court terme, peut-être que cette recherche peut redonner un sens ou une orientation pour l'avenir ?


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