PPDA et son Hemingway : le dur métier de plagiaire-maquilleur

par Paul Villach
jeudi 6 janvier 2011

Un journaliste de L’Express, Jérôme Dupuis, a, dans un article du 4 janvier 2011, intitulé « Patrick Plagiat d’Arvor  » levé un lièvre qui fait grand bruit : la biographie d’Ernest Hemingway que l’ex-présentateur de TF1 s’apprête à publier aux Éditions Arthaud, filiale de Flammarion, a tout l’air d’être pour partie un plagiat d’une biographie d’un certain Peter Griffin paru en 1985 aux USA et traduite par Gallimard en 1989, qui serait aujourd’hui inaccessible.

Le journaliste présente trois extraits du livre de PPDA qu’il confronte à l’original : 1- une promenade des parents d’Hemingway, 2- son opération sur le front italien et 3- sa garde par une infirmière. (1). Le résultat est accablant. Ces trois exemples montrent à l’ évidence que PPDA a tout simplement copié Peter Griffin. Mieux, ils permettent d’observer comment un plagiaire opère pour s’approprier le texte d’autrui en tentant de masquer laborieusement ses emprunts frauduleux. Non seulement le plagiat est une copie qui ressemble à son original comme deux gouttes d’eau, reprenant souvent son texte mot pour mot, mais les différences que le plagiaire croit devoir introduire pour tenter de dissimuler ses emprunts, ne sont que des leurres : purement formelles, elles ne font que trahir un effort de dissimulation maladroite.

1- Une copie ressemblant à son original comme deux gouttes d’eau.
 
Le plagiat est d’abord une copie conforme à son original.
 
Les personnages sont identiques et présentés dans les mêmes termes :
* les parents de Hemingway, Clarence et Grace, les amis Indiens Sioux Dakota de son père,
* le chirurgien italien qui a opéré l’écrivain américain sur le front italien,
* l’infirmière Agnès qui l’a veillé après l’opération.
 
Le décor est aussi semblable : la même campagne pour la même promenade des parents, et, là où est opéré le blessé, « l’âcre odeur des antiseptiques et celle, face, du sang  »,.
 
Les actions sont les mêmes et surtout inscrites dans le même ordre chronologique :
* Les parents se promènent dans la nature, effraient les mêmes bêtes sauvages caractéristiques, caille et renard à queue rouge ; le père évoque son goût pour la collection des pointes de flèches, de fers de lance, de coupes en terre cuite et des haches de pierre d’indiens Pottawatomie ; il relate le même souvenir d’un séjour chez les Sioux qui l’ont appelé « Nec-tee-la-la  », ce qui veut dire « Œil-d’aigle  », pour son acuité visuelle.
* Le chirurgien opère le blessé Hemingway en effectuant les mêmes gestes : il nettoie les plaies, extrait les éclats d’obus, explique au blessé le déroulement de l’opération ; celui-ci évalue la grosseur des éclats au bruit qu’ils font en tombant dans la cuvette. Un verre de cognac lui est servi avant que lui soit faite une piqûre antitétanique.
* L’infirmière au chevet du blessé éponge sa sueur et ne s’absente que pour une ronde toutes les heures.
 
2- Les leurres des différences formelles trahissant un effort de dissimulation maladroite
 
Dans cette copie parfois rigoureusement conforme à l’original sont introduites des variantes qui tentent de masquer ces emprunts sans usage de guillemets comme toute citation doit en être assortie pour signaler la propriété intellectuelle d’autrui. Mais ces différences ne sont que des leurres : elles sont si minuscules qu’elles éloignent moins la copie de l’original qu’elles ne trahissent l’effort de maquillage entrepris pour dissimuler frauduleusement le vol du bien d’autrui.
 
1- Le leurre des temps différents
 
Les temps diffèrent sans conséquence : l’original use du passé, la copie du présent.
 
2- Le leurre des synonymes
 
Les mots de l’original ne sont remplacés que par des synonymes. Le plagiaire doit disposer d’un dictionnaire spécialisé. 
 
* ainsi dans le contexte de la promenade des parents relève-t-on les substitutions amusantes suivantes : emmener/entraîner - « la prairie » / la nature - faire jaillir une caille / débusquer une caille - Terres de la Des Plaines River / Terres près de la Rivière des Plaines - visite de deux mois à une école de mission pour les Sioux Dakota / séjour de deux mois chez les Sioux Dakota - appeler / baptiser - à cause de / en raison de - c’est-à-dire / ou - extraordinaire acuité visuelle / exceptionnelle acuité visuelle - et / ainsi que.
 
* Dans le contexte de l’opération chirurgicale, le plagiaire se montre aussi inventif : (Le chirurgien) travaillant vite et bien / Ses gestes sont précis - Il décrivait à Ernest en Italien tout ce qu’il extrayait / Il accompagne (ses gestes)en commentant, dans sa langue, ce qu’il fait. - les plus gros fragments de shrapnel / les plus gros fragments d’obus - le bruit / le son - douleur aiguë / intervention douloureuse - donner à boire un peu de cognac / offrir un peu de cognac - finalement / au bout d’un temps infini.
 
* Dans le contexte du rôle joué par l’infirmière, le plagiaire fait preuve d’une égale dextérité synonymique : faire sa ronde / effectuer sa ronde - humecter le front d’Ernest / éponger son front.
 
3- Le leurre des inversions
 
Une autre rouerie du plagiaire est de tenter de brouiller les pistes en pratiquant des inversions qui pourtant ne trompent personne :
 
- On relève des inversions de mots : « l’âcre odeur des antiseptiques et celle, fade, du sang  » devient « l’odeur âcre des antiseptiques et celle, fade, du sang  » !
 
- Ce peut être encore une inversion de voix passive en voix active : « chaque fois que la chair était incisée… » « chaque fois que le médecin incise les chairs  » !
 
- Ou il s’agit d’inversions de groupes syntaxiques passant du début en fin de phrase : « À cause de son extraordinaire acuité visuelle, les Indiens l’appelaient Nec-tee-la-la, c’est-à-dire « Œil-d’aigle  » », lit-on dans l’original. « (Les Sioux)l’ont baptisé Nec-tee-la-la ou "Oeil d'aigle" en raison de son exceptionnelle acuité visuelle, » découvre-t-on dans la copie.
 
4- Le leurre des ajouts redondants
 
Il n’est pas, d’autre part, de copie servile qui ne témoigne de la capacité de création du plagiaire. Celui-ci procède à des ajouts redondants dont il a le don qui n’abusent que les dindons de la farce :
 
* « Faire jaillir une caille d’un fourré  », dit l’original, « débusquer une caille qui s’enfuit dans un claquement d’aile » répond le plagiaire. « (faire) détaler un renard à queue rouge  », reprend l’original, « (débusquer) un renard à queue rouge qui file à fond de train  », complète le plagiaire. « Il collectionne les pointes de flèches  », dit l’un, « il se passionne pour les pointes de flèches (…)qu’il collectionne  », dit l’autre.
 
* Le plagiaire éprouve le besoin de préciser ce que l’original n’a pas cru devoir signaler : « Le chirurgien ne tarde pas à un intervenir ». Si l’original apprend que le blessé « tentait d’évaluer le poids (des éclats d’obus extraits de sa chair)au bruit qu’ils faisaient en tombant dans la cuvette », pour le plagiaire c’est « au son qu’ils font en tombant au fond de la cuvette » ! Ça change tout : le plagiaire va au fond des choses ! De même, éprouve-t-il le besoin d’ajouter que l’intervention est « pratiquée sans anesthésie  » et d’expliquer que si l’infirmière essuie le blessé , c’est à cause des « nuits chaudes qui le rendent poisseux de sueur ».
 
5- Le leurre des omissions bénignes
 
Est-ce, enfin, sa conscience qui le tourmente ? Le plagiaire ne copie pas tout d’un original : il consent à commettre des omissions bénignes comme autant d’hommage à la propriété d’autrui.
 
Quand, selon l’original, le blessé « (évaluela taille et le poids de ces fragments  », le plagiaire se contente de ne lui faire qu’ « évaluer le poids  ». Le chirurgien « (ne passe pas davantage) la main sur le crâne d’Ernest  » chez lui, comme dans l’original. « L’une des chaises au chevet du lit d’Ernest » devient seulement « une chaise dans sa chambre  ». Et si l’infirmière ne quitte le blessé, selon l’original, que « pour faire toutes les heures sa ronde », le plagiaire ne juge pas utile de préciser la périodicité de cette ronde qu’elle ne fait pas mais « effectue  ». Enfin plutôt que d’écrire comme l’original que l’infirmière « passait de l’eau froide sur le cou et sur la poitrine (du blessé) », le plagiaire trouve plus élégante la formule « rafraîchir son cou et sa poitrine  ».
 
On se trompe si l’on croit que le métier de plagiaire-maquilleur est de tout repos. Il ne suffit pas de copier, encore faut-il tenter de le dissimuler en brouillant les pistes par des leurres : il faut accorder les verbes à un temps différent, chercher des synonymes, procéder à des inversions de termes ou de groupes syntaxiques, ajouter quelques trouvailles de son propre cru et rendre hommage à autrui en ne lui volant pas tout pour lui laisser quelque chose. Tout compte fait, plagier est presque aussi difficile que créer. Il faut remercier M. PPDA d’avoir offert ces travaux pratiques pour l’édification de tous. Il semble, cependant que la convoitise du bien d’autrui soit chez lui un problème. On se souvient encore de son « interview exclusive » de Fidel Castro le 16 décembre 1991. Avec un simple leurre de montage par champ et contre-champ, excluant tout plan d’ensemble et reconstitution des questions en studio, il avait transformé une conférence publique du dictateur cubain en un entretien privé qu’il aurait eu avec lui. N’était-ce pas déjà un texte public qu’il avait voulu faire passer pour sa propriété privée, selon le principe du plagiat ? Paul Villach 
 
(1) Jérôme Dupuis, « Trois exemples du plagiat de PPDA », L’Express, 4 janvier 2011.
http://www.lexpress.fr/culture/livre/le-plagiat-de-ppda_949676.html

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