PRISE DE CONSCIENCE
par alinea
jeudi 15 novembre 2012
À ne pas confondre avec la prise de courant ou la prise de la Bastille, pas non plus avec une prise ni même une belle prise !
Une prise de conscience est une douleur dont on a l'impression qu'elle nous tombe dessus, une douleur qui peut soulager d'un malaise lancinant, mais qui est terrible parce qu'elle nous rapproche de la vérité...
La prise de conscience n'est pas raisons, avec un « s » : ces raisons que nous brandissons comme des excuses à un non choix, un alibi à un silence ou des prétextes à une action.
Elle n'est pas raison : sa naissance vient d'autres sphères, elle est sensible, immédiate et définitive.
Après ne sera plus jamais comme avant.
Cela ressemble à l'image que l'on se faisait d'un héros de roman jusqu'à ce qu'on ait la bête idée d'aller voir le film qui en est tiré ; votre personnage s'estompe si vite, celle du cinéma était tellement plus puissante, que vous ne pourrez plus la retrouver. Sabina, de « L'insupportable légèreté de l'être » ne sera jamais plus « ma » Sabina.
Cette disparition de votre propre image, cette mort de votre imaginaire causée par la force de la réalité n'est évidemment pas à proprement parler une prise de conscience mais c'est le même processus qui est ici enclenché.
Une prise de conscience vous sort de votre monde « imaginaire » et vous « rabat » à la stricte réalité commune. Elle me paraît positive quand elle vous sort de votre ignorance, de vos croyances ou de vos illusions ; elle l'est peut-être moins quand elle pointe l'impossible partage de votre idéal et qu'elle vous contraint à la résignation !
La prise de conscience engage la vie, ou la réengage d'une toute autre façon.
Vous pouvez, soudain, savoir de manière sûre, que votre belle-mère vous harcèle ; ça fait longtemps que vous la subissez, qu'elle n'en loupe pas une pour vous rabaisser, qu'elle prend son fils en tête à tête pour des raisons qu'il vous raconte futiles mais en prenant bien soin de s'aviser que cela vous agace et même plus ; ça fait des années qu'elle vous appelle pour un oui pour un non et qu'il a toujours un reproche dans le grésillement de la « conversation ».
Et puis soudain, un matin « au réveil, ça vient de loin... » vous savez !
Vous vous souvenez, il y a longtemps, la cousine Berthe vous disait que votre belle-mère ne tarissait pas d'éloges à votre égard : la femme de mon fils fait ceci, la femme de mon fils, c'est une tronche, la femme de mon fils est belle, elle a des responsabilités, du talent, elle gagne bien sa vie... ; petit souvenir enfoui, jamais ravivé, qui prend tout son sens aujourd'hui.
Ça c'est un indice, il y en a eu d'autres, des lectures, des petits riens, informels et pas encore organisés, qui, à votre insu, se sont agencés comme des électrons qui se mettent en mouvement avant de devenir lumière.
Mais cette lumière, il faut que vos yeux s'y fassent ; vous n'en dites rien tout de suite ; vous vous informez et quand la raison vous donne raison, vous avisez.
Vos chances de réussite ?
Vous entamez une conversation inhabituelle avec votre belle-mère ; elle tombe à l'eau.
Vous changez d'attitude, vous la raillez, devancez ses tours ; cela vous laisse un sentiment de malaise quand votre homme vous dit : « Qu'est-ce qui t'a pris ? ».
Vous consultez et commencez une psychothérapie.
La suite, c'est votre vie.
La prise de conscience est un accident, fatal : après ne sera jamais plus comme avant. Certes elle a été précédée de multiples indices, conscients mais sans importance, qui s’inscrivaient dans le parcours d’un individu donné, disons sur un terrain favorable.
Sans elle, aucun progrès possible parce qu’elle englobe tout notre être, pas seulement l’affect et l’émotion, quoiqu’ils en soient un passage obligé, mais aussi l’esprit, le mental qui lui donnent forme et l’inscrivent de manière indélébile dans notre vie.
Aussi, prêche-t-on dans le désert avec les mots qui s’effaceront dès la page tournée. C’est le bon mot qui se dit au bon moment, la bonne expérience (souvent douloureuse, mais pas toujours) qui se vit au bon moment, comme on tombe amoureux quand on a le cœur libre, même si toutes les apparences sont contraires ; c’est le déclic, l’illumination.
La prise de conscience n’est jamais globale, elle peut même concerner seulement un point de détail mais ce point de détail acquis à la conscience engendrera un acte libéré et ainsi sera un pas fait vers la liberté.
Quand on la croit globale, la prise de conscience n’est qu’une illusion, mystique, religieuse, fanatique et, certes si l’après n’est jamais plus comme l’avant, elle n’aura été qu’une création de l’esprit, un leurre qui pour l’heure donnera des ailes mais, forcément finira mal.
La prise de conscience, comme son nom l’indique, donne la conscience, ou de la conscience et, quand on possède la conscience, le temps devient long , aussi long qu’il doit être, soit que l’on se rapproche de ce qu’il est en relation avec notre rythme biologique, soit qu’on ne l’efface pas avec nos narrations, nos peurs ou appréhensions. C'est un temps qui n'est que « présent », ce qui n'empêche nullement la prévision des travaux de demain mais qui les laisse à « demain » : cet état animal qui nous indique l'heure, le lieu et la manière de faire ce que l'on a à faire.
Ainsi, quand, de prises de conscience en prises de conscience, on arrive à la conscience, donc à la liberté, notre temps, qui n’est plus altéré par nos illusions, nos attentes, nos impatiences ou une quelconque culpabilité, mais devient lent dans ce qui se vit, instants par instants, dans la ligne ordinaire de la succession des jours et des nuits, des saisons, de nos faims et soifs, de nos fatigues et attentions ; non pas long d’ennui mais lent de l'absence du raccourci de notre excitation, et de nos aspirations.
De la même manière, il n'est plus cette éternité d'une heure d'attente !
Le temps accéléré, effréné de notre époque est le symptôme de tout ce qui se cache dans le mensonge : la contrainte que l'on feint d'apprécier, l'illusion, l'aveuglement....
Paradoxalement, la conscience du présent est un attribut partagé par tout être vivant ; ce n’est pas cette capacité d’anticipation avec ce qu’elle comporte de terreur ou d’espoir que l'on trouve exclusivement dans le mental, seul attribut humain, celui qui nous perd et ce sur quoi nous mettons les mots de notre spécificité. Nous nous trompons donc.
Le but de l’humanité semble être de devoir se débarrasser de tout ce que l’on nomme notre humanité.
La prise de conscience n’est jamais un acte volontaire car, sans être son exact opposé, la conscience est très loin de la volonté ; les chemins qui nous y conduisent sont longs et tortueux ; certains peuvent être empruntés volontairement, mais le but n’est jamais précisé.
Dans la prise de conscience se nichent tous les atours de l’humanité, pourtant fort décriés par le rationalisme, la raison, la maîtrise, la volonté, eux aussi, caractères spécifiques !
La conscience de soi est donné à tous sauf à l’homme : la prise de conscience est donc humaine, nécessaire et exclusive de l'humanité, mais elle se heurte à ce précédemment cité.
La conscience débarrassée des appréhensions, du vouloir « être », de tous les artifices inventés pour la fuir, devient une présence au monde, ouverte, vide et curieuse et, sans dessein, s’approche de la sagesse.
La prise de conscience est indispensable au progrès nécessaire pour nous sortir de l’impasse, « néo-libérale » (pour faire vite). Chacun la vivra quand il sera touché ; la seule chose que l’on puisse faire, c’est dessiner des chemins, ouvrir des voies, dénoncer des faits, ouvrir des yeux, casser des évidences, instruire et penser.
Les choses s'inscrivent en nous indépendamment de celles que nous inscrivons volontairement. Une valse entre les deux est nécessaire pour que survienne le jour de la prise de conscience.
Il nous faut avoir pris une certaine distance, ne pas être « le nez dans le guidon », de quelque entreprise que ce soit ; il vaut mieux avoir l'esprit critique, voire l'esprit de contradiction,( cette composante nécessaire, mais non suffisante à la création), pour un jour recevoir comme une illumination, toute la lumière que donne l'abandon des certitudes !
Seulement depuis toujours, nous sommes avertis que voir la réalité en face peut être d'une douleur telle qu'on ne s'en remet pas. Qu'il faut pour cela une force – que l'on peut appeler sagesse- que la vie que l'on a forgée dans une narration aseptisante, étiole doucement.
La prise de conscience est issue de ce lâcher-prise de notre maîtrise, face à un inconscient qui s'impose.
Les rêves sont à ce stade, très importants.
Alors vient le moment où les reculades sont quasi volontaires, en tous cas, elles ne passent pas inaperçu mais on se fait croire encore à une solution parce qu'on fixe la focale sur un point précis, augmentant la vitesse pour éviter la profondeur de champ.
Mais nous vivons un malaise à ce stade : notre impuissance est à son comble, nous pressentons toutes les limites de nos engagements, leur partialité ou le niveau contraint de leur application.
Nous savons que la vie se vit et que l'organisation spontanée des peuples, en petits groupes, a toujours été meilleure que les empires ; nous savons que le monde ne se tient pas à bout de bras, en force, par quelques-uns qui perdent leur temps, dépendants d'un jeu excitant comme une drogue, à réparer ça et là les dégâts pour que cela dure encore un peu ; ils repèrent une fuite, une faille, un trou qu'il faut boucher et cela les agite et cela les comble.
(Il n'y a bien entendu plus aucune perspective, plus aucun dessein pour ces gens-là, autre que ce jeu-là !)
Et puis, un matin au réveil, et cela vient de loin, de l'accumulation de données, d'observations et de leur interprétation , nous savons :
Nous sommes en guerre.
Nous ne sommes pas préparés.
L'ennemi qui nous a endormis et encerclés pendant trois décennies, se découvre ; on le distingue bien maintenant où l'on est sorti de l'état de sidération ; cependant, autour de soi, nombreux sont ceux qui renâclent, sont indécis ou ceux qui ont choisi une cible à combattre et une seule et, alors que le danger est partout, ne le repèrent que là.
Les dictatures ont ceci de commun qu'elles ont toujours favorisé l'insécurité de leurs sujets, tous sujets à la délation ! Ainsi les traîtres sont partout, rien n'est sûr et notre belle terre morte se transforme en sables mouvants. Cela nous aide à rester tranquilles.
Nous vivons sous une dictature et il est notable de constater que jadis, l'ignorance des peuples les laissait enclins à recommencer les mêmes jacqueries, les mêmes révoltes où beaucoup perdaient leur peau et où le pouvoir finissait toujours par se retrouver plus fort ; aujourd'hui, le peuple est plus instruit, il a une petite idée de l'histoire et de ses impasses : mais la situation est inédite !
Tout est à inventer or l'esprit d'aventure, les pionniers et les créateurs sont rares : ils ne sont pas écoutés.
Pas encore.
En attendant, nous en sommes là : une vison large qui englobe le politique, la géopolitique, l'écologie, l'économie, tout étant tenu en force par des gens que l'on a fini par découvrir incompétents, partiaux, petits, égoïstes pour ne pas dire psychotiques.
On regarde d'où pourra tomber la foudre fatale : de mille lieux, insidieusement...
La prise de conscience nous donne l'appréhension de la vérité qui n'est pas descriptible avec des mots ; cette connaissance , même si le point éclairci est, somme toute, assez étroit, devient un savoir fondamental incontournable mais a fort peu de chance de devenir un atout pour éclairer les autres ! Au contraire !
Parce que seuls, aujourd'hui, les experts et les spécialistes sont entendus ; et par définition, le nez dans leur soupe, ceux-là ont peu de chance de posséder une vision globale, une sagesse subséquente, et le moindre pouvoir de conseil !
C'est pourquoi il est urgent et indispensable d'oser l'approche de la vérité ; la sienne d'abord ( et c'est bien évidemment là le plus douloureux) et celle du monde, de manière à ne plus subir de déconvenues, d'indignation à la moindre apparition du réel ni nourrir la moindre crédulité, le moindre espoir que les choses « pourront passer » parce que d'autres s'en chargeront !