Prométhée a de quoi se faire de la bile

par Daniel Topper
jeudi 27 mars 2008

L’écologie est une bonne chose car elle participe à l’entretien de notre relation au monde. Sa caricature, « l’écologisme », qui anime l’air du temps, échauffe par contre les esprits : le sceptique est rangé, automatiquement, du côté des ennemis de la Terre.

Face aux possibilités décelées désormais par le savoir techno-scientifique, l’enjeu provoqué par ce savoir, est sans doute l’équilibre du face-à-face entre l’homme et la nature. Il demeure vital que celle-ci conserve aux yeux de celui-là une dimension de gratuité se dérobant à la logique du fonctionnel et dont les merveilles nous rappellent à l’étonnement où sommeille tout désir authentique.

Tout cela est bien connu : la survie de l’ours polaire est devenue le gage de notre humanité. A tel point qu’il est peut-être temps d’y revenir, dans un retour critique sur ce qui s’est transformé, selon moi, en rengaine écologiste, avec ses réflexes. Avec son enthousiasme au sens de « délire sacré ». Les signes d’une Mère Nature agonisante qui nous tendrait les bras obsèdent en effet l’opinion. La consécration : un prix Nobel décerné à un homme qui nous fait son cinéma.

Aussi, en vue d’un peu plus de modération, je voudrais tenter de déloger, mettre à mal deux évidences qui participent à la rhétorique écologiste.

J’observe depuis peu qu’un consensus a lieu autour d’une matière scientifique dont les incertitudes sont encore grandes : la climatologie. Tout le monde parle de réchauffement climatique. Mais personne n’est invité à s’interroger sur le sens qu’il y a à parler de phénomène « global », lorsqu’il est question du climat. On s’imagine que celui-ci a naturellement suivi la voie de la « mondialisation » (un mot-valise). Les plus prudents parleront de « changement » climatique. Personne n’y verra de truisme : le climat, par nature, change. Et pourquoi ne se rappelle-t-on pas qu’au Xe siècle, le climat du Groenland était, en l’absence de toute civilisation industrielle, tempéré, et que les ours polaires y ont manifestement survécu ? Pourquoi n’entend-on pas plus attentivement une voix discordante comme celle de Yves Lenoir[1], chercheur à l’École nationale supérieure des mines de Paris, qui nous met en garde contre les simplifications dont use le discours dominant, alors que ce chercheur est un farouche adversaire du nucléaire ? Lenoir nous explique pourtant que la géologie fait remonter le phénomène de réchauffement (local) au XVIIIe siècle, avec des fontes de glace et un recul des glaciers, tandis que l’essentiel des rejets de CO2 liés aux activités humaines s’est produit au XXe siècle. Que l’augmentation de la concentration du CO2 dans l’atmosphère est une conséquence de la hausse des températures et non l’inverse. Que le principal gaz à effet de serre (à plus de 90 %) est la vapeur d’eau...

Non, visiblement, l’opinion lui préfère le catastrophisme à la Al Gore.

J’observe également que « le principe de précaution » est sur toutes les lèvres. On n’en a donc toujours pas fini avec la rhétorique de Heidegger. Le scientifique demeure, aux yeux des bienveillants, le fonctionnaire d’un réseau technique planétaire qui s’auto-entretient et s’auto-reproduit de façon compulsive. C’est la science qui fait l’homme et non l’inverse. Il faudrait ainsi, dans un sursaut éthique, se régler en toute situation sur le scénario du pire, afin qu’apparaisse la valeur de ce qui risque d’être perdu et que l’on se sente, par là, « responsable ».

Mais cette attitude découle d’un sophisme : celui de la pente glissante. On suppose, dans une vision toute romantique, que la science ne contient pas en soi ses propres correctifs, débordée qu’elle serait par son hyperpuissance (alors que la science a toujours progressé contre elle-même). Je note aussi que ledit principe ne contient pas en soi son propre correctif. Enfin, parce qu’il exige, en cas d’innovation techno-scientifique, que ceux qui l’introduisent fassent la preuve de son innocuité, il repose sur un autre sophisme. Il est en effet impossible de prouver que quelque chose (en l’occurrence, les effets pervers) n’existe pas.

Je sais que j’expose ici une version absolutiste du principe de précaution, version dont usent les radicaux de l’écologie. Mais il reste que ce principe, fût-ce sa version modérée, par son établissement même, fait du débat, une instance exogène à la communauté scientifique. (Et lorsque j’évoque la communauté scientifique, je ne parle pas de cette imposante machine qu’est le GIEC, qui réduit l’homme de science à un fonctionnaire.)

Le paradoxe terminal est alors le suivant : ceux qui accusent la démesure, l’hubris prométhéenne, de l’homme épris de science et son industrie, sont les mêmes qui, du même coup, placent dorénavant l’homme à l’origine du temps qu’il fait : rien que ça !

L’emballement écologiste s’explique, selon moi, à la croisée de deux passions tristes. D’une part, la logique du « qui gagne, perd » propre au militantisme. Depuis le début des années 70, l’écologie est devenue un thème de conférences au sommet : son intégration au « système » risque alors de l’éclipser en tant qu’objet d’un combat progressiste, anticapitaliste. Il fallait donc en rajouter, en permanence, jusqu’à verser dans le catastrophisme (les pluies acides, le trou dans la couche d’ozone et maintenant le réchauffement climatique). Ainsi, le militantisme se régale désormais d’une condamnation paniquée (« il resterait à l’humanité, en l’absence de mesures ‘‘radicales’’, quelques décennies à vivre confortablement ») et internationale de notre style de vie. C’est que, d’autre part, l’homme est un animal démocratique qui supporte mal l’angoisse d’une existence ouverte sur l’avenir, c’est-à-dire l’indéterminé. Il préférera donc s’attacher, lorsqu’il se présente, au fantasme d’un discours qui clôt son histoire en lui livrant l’explication ultime. En l’occurrence : l’homo œconomicus, programmé par la technique, devient la racine du mal. Viva la révélation ! Tout s’éclaire ; la bonne conscience, en mal d’action, a de quoi se satisfaire[2] - enfin ! libérée de l’insoutenable interrogation qui fait le poids des choses, leur horizon. Il ne reste plus qu’à éliminer l’intrus et ses sbires...

Le carnage de la Première Guerre mondiale a certainement ridiculisé l’idée même de progrès. Le mythe est mort et l’on ne cesse de se débarrasser de son cadavre. Le projet de notre savoir-faire occidental n’aura plus jamais la transparence des Lumières. Mais penser que chacun de ses pas entame son capital vital ne signifie par pour autant qu’il est voué à "l’empêtrement" de la contradiction. A notre dégrisement néo-moderne ne doit pas se substituer les enfantillages de l’affolement où se dirait la détresse de Mère Nature.

En somme, je ne plaide pas seulement ici en faveur de la raison opérante (celle qui agit avec mesure en calculant les risques). Oui, la science n’est pas neutre et comporte en soi des effets pervers. Oui, l’action de l’homme (mais avançons plutôt, avec Lenoir, des phénomènes) comme la déforestation et la désertification, amplifie les problèmes dus au climat. Mais on ne délibère pas sous le règne de la peur (« Ca va chauffer ! »). Car la question n’est peut-être pas tant l’adhésion à tel ou tel discours que la possibilité d’un débat contradictoire, sans lequel la vérité ne trouve que des fanatiques...



[1] Yves Lenoir est l’auteur, entre autres, de Climat de panique aux Editions Favre, 2001.

[2] L’action de la bonne conscience constitue l’activisme, lequel n’est pas sans rapport avec ce que la psychopathologie appelle la manie.



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