Propagande bienveillante

par Bruno Hubacher
samedi 16 juillet 2022

S’il fallait mettre en évidence une similitude en particulier entre le capitalisme et le fonctionnement des services secrets, MI6 et autres CIA, ce serait sans doute leur remarquable capacité d’adaptation à l’air du temps.

Fini le temps de la Guerre froide où les Kim Philby et autres agents doubles, personnages entourés de mystères, réels ou fictifs, imageant les romans de John le Carré ou Frederick Forsyth, tenaient en haleine les superpuissances. De nos jours, le profil type du (de la) candidat (e) pour un poste à la CIA est plutôt du genre mère célibataire de couleur, issue des quartiers défavorisés de South Side Chicago, atteinte de troubles anxieux généralisés et d’oppression intersectionnelle aigüe (1).

Une fois choyés aux frais du contribuable, il n’est pas rare de les retrouver à des postes clé au service des géants du Web, les GAFAM, dans le but de poursuivre leur mission, la dissémination de la propagande bienveillante, comme le démontre le reporter Alan MacLeod du site d’information américain « MintPress News » (2).

Ainsi, après 15 ans de bons et loyaux services, l’ancien agent Aaron Berman définit actuellement, avec son équipe de 40'000 collaborateurs la règlementation et les standards de sécurité du trombinoscope de la génération « woke », facebook, une filiale de la multinationale META qui détient également la messagerie WhatsApp et le service de partage de photos Instagram, ou, autrement dit, ce que peuvent et ne peuvent pas voir les 2,9 milliards d’utilisateurs à travers le monde, tout cela dans le but de les « protéger contre la désinformation ou tout autre contenu nuisible ».

 Sur son profil twitter, Aaron se définit, outre le fait d’avoir jadis « fait de la musique », comme « husband and dad » dont les valeurs essentielles sont la démocratie et l’écriture impartiale, responsable du triage entre information et désinformation chez META et…ancien agent de la CIA. 

Dans une interview, publiée sur le site de facebook (3), Aaron Berman concède que : “Nos règles ne sont pas 100 % claires et nous ne sommes pas en mesure de satisfaire tout le monde, raison pour laquelle la transparence est un élément clé dans notre travail, car il s’agit de déterminer ce qui est considéré comme « contenu préjudiciable », sans porter atteinte à la liberté d’expression. Pour cette raison également, en l’absence d’une législation efficace, nous développons nos propres règles en la matière, or, une telle législation nous aiderait à standardiser notre approche et celle de toutes les autres plateformes. Donc, le législateur doit absolument rattraper son retard par rapport au progrès technologique. »

Cet ardent appel à davantage de régulation n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd. Ainsi, l’administration du sémillant président Joe Biden a d’ores et déjà lancé une première tentative, peu fructueuse certes, en tout cas pour l’instant, d’établir un « ministère de la vérité » du nom évocateur de « Disinformation Governance Board » sous la responsabilité du « Département de la sécurité intérieure », dirigé par la chercheuse universitaire Nina Jankovicz (4), en fonction entre le 27 avril 2022 et le 18 mai 2022.

En tant que spécialiste de la langue russe, diplômée en sciences politiques et experte des questions de désinformation, elle avait également travaillé brièvement, en 2017, pour le Ministère de l’extérieur ukrainien en tant que conseillère en communication dans le cadre d’un programme d’échange culturel, le « Fulbright Program ».

Lutter contre la face sombre d’internet, c’est également la mission de la non moins sémillante commissaire européenne Ursula Von der Leyen. Au mois d’avril de cette année l’Union européenne a adopté une nouvelle loi en la matière, le « Digital Services Act », dans le cadre d’une mise à jour des directives sur le e-commerce, né il y a 20 ans, dans le but de mettre fin aux abus sur internet. Cette nouvelle loi oblige désormais les plateformes internet, les GAFAM, ainsi que twitter et facebook, « d’évaluer les risques, liés à l’utilisation de leurs services, et de mettre en place les moyens appropriés pour retirer des contenus problématiques. »

Facebook ne se limite pas à la lutte contre la « dissémination de fausses informations » par des individus, mais également contre les « campagnes de manipulation » par des dictatures et états voyou, non respectueux des valeurs démocratiques, dont en tête de liste, on trouve, selon une des plus récentes de ses études, la Russie, l’Iran, le Myanmar, l’Ukraine, mais également les Etats-Unis, mais dont les opérateurs se trouvent, la multinationale s’empresse de le préciser, dans les milieux d’extrême droite des suprémacistes blancs et autres théoriciens conspirationnistes.

Pourtant, il se trouve que, fort de son budget colossal, près de 780 milliards USD chaque année, le Pentagone surclasse quelque peu les moyens des 16 agences du renseignement américaines, dont la CIA, dans la guerre de l’information, faisant bande à part, si l’on puit dire ainsi. En effet, la plus puissante armée au monde dispose également d’un réseau clandestin de 60'000 agents d’infiltration, au nez et à la barbe du Congrès, réseau construit au cours des dix dernières années, dix fois l’effectif de la CIA, agents entraînés à la cyber-guerre de l’information. (5)

Etant donnée que près d’un tiers de la population mondiale s’informe sur facebook, on imagine l’impact réel sur la vie des gens, notamment dans le cas d’une élection dans un pays qui souhaite s’émanciper de l’emprise américaine, comme le Nicaragua, pour ne prendre cet exemple-là.

Ainsi, lors des dernières élections présidentielles et parlementaires au Nicaragua, au mois de novembre de l’année passée, dont le gouvernement américain avait déclaré d’ores et déjà, avant même son issue, qu’il allait contester une éventuelle réélection du président sortant, facebook et Instagram, ainsi que twitter, avaient suspendu plus de 1’3000 comptes de journalistes, activistes et médias, basés au Nicaragua, représentant des centaines de milliers de followers, dans un pays qui compte 6,5 millions d’habitants, sous prétexte qu’il s’agissait de bots informatiques. (6)

On comprend mieux les récentes déclarations de l’ancien Conseiller à la sécurité nationale, ancien, ambassadeur et haut-fonctionnaire au service de l’état depuis plus de quarante ans, John Bolton, face au reporter de la chaîne d’information CNN, Jake Tapper : « Vous savez, il faut un travail énorme et une bonne dose d’ingéniosité pour monter un coup d’état. J’en sais quelque chose puisque j’ai aidé à en planifier un grand nombre. » 

  1. Viral CIA Recruitment Video Features "Cisgender Millennial" Who Says "I Am Unapologetically Me" - YouTube
  2. Meet the Ex-CIA Agents Deciding Facebook's Content Policy (mintpressnews.com)
  3. Internet Regulations | Meta (facebook.com)
  4. (2) Nina Jankowicz “Information laundering is really quite ferocious” Orwellian, dystopian video - YouTube
  5. Exclusive : Inside the Military's Secret Undercover Army (newsweek.com)
  6. Meet the Nicaraguans Facebook Falsely Branded Bots and Censored Days Before Elections (mintpressnews.com)

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