Qu’est-ce que le populisme ?

par Brath-z
samedi 20 février 2010

 Je me définis comme populiste.

Mais que veut dire ce vocable abscons ?

Si vous écoutez Serge July, Robert Ménard, Bernard-Henri Lévy et d’autres représentants du « microcosme parisien », vous apprendrez que le populiste est l’infâme bateleur qui, dans un but électoraliste, dispense des idées propres à saisir les bas instincts du peuple. Pardon, de la populace. Cette vision s’accompagne, d’une manière assez évidente, d’une bonne dose de mépris à l’encontre de qui travaille dur pour gagner tout juste de quoi vivre. Mais ce n’est pas là du mépris envers le travail ou le travailleur. Simplement du mépris envers qui n’a pas lieu Nietzsche ou Heidegger, parce que pas le temps ni l’envie (en général, après 8h sur une machine, on est pas en condition de se fader un chapitre d’Être et Temps). On comprend dès lors pourquoi, pour un tel mode de pensée, le populiste soit considéré comme un danger publique : il menace la civilisation de décadence en rendant la vulgarité du populo menaçante pour le raffinement de l’élite.

Dans une perspective un poil plus large, on peut prendre la définition que donne Christophe Alévêque pour « démagogue » : « Hypocrite individu qui n’hésite pas à confondre le bien du peuple avec les revendications du peuple. » Si Christophe Alévêque donne à cette définition un sens positif, il n’en relève pas moins malgré lui la vision du peuple d’une certaine partie de ce que l’on nomme « élite » en France : le peuple est un tout, avec des tripes imposantes et une tête minuscule et difficile à trouver. Le peuple à des besoins et des désirs, mais comme c’est un grand enfant un peu niais et qu’il n’a pas conscience de la réalité des choses, il ne sait pas ce qui est bon pour lui. Le démagogue (ou le populiste, contre toute réalité historique et sémantique, les deux mots sont interchangeable, de nos jours) est celui qui donne raison au peuple en confondant désirs du peuple et besoins du peuple. Cette position est souvent qualifiée de « solution de facilité » car elle empêche les déconvenues électorales et la grogne populaire (en théorie). A noter qu’un homme d’état qui refuse de réviser certains principes d’airain sous la pression des groupes de pression et des partenaires internationaux (ce qui est, convenons-en, une solution de facilité) n’est, lui, pas un populiste, vu que céder aux avances de l’élite n’est pas céder aux avances du peuple, et ne saurait être une mauvaise chose.

L’épithète « populiste » est attribuée au représentant de la gauche « charbon et acier » aussi bien qu’à celui de la droite « camembert et vin rouge », toujours par le libéral moderne et éclairé. C’est donc une étiquette infamante qui ne correspond ni à un positionnement politique ni à une orientation idéologique précise. Un gadget, un gimmick destiné à l’anathème.

Mais dans le monde réel, le populiste, c’est l’adepte d’une doctrine politique : le populisme.


Le populisme n’est pas un discours (ce n’est parce que Georges Frêche a de la gouaille et du bagout qu’il est un populiste) mais une orientation politique héritière d’une longue tradition.

Historiquement parlant, le populisme nous vient de l’empire romain. Plus précisément, il est le reste de l’affrontement au sein de l’empire entre ce que l’on a appelé rétrospectivement le « parti sénatorial » et le « parti populiste ». Le premier est constitué par l’ensemble des sénateurs et des électeurs de l’Empire, par delà les oppositions et les divergences d’idées et de principes. Le second par l’immense majorité des citoyens de l’empire. Le représentant de cet ensemble d’individus est, théoriquement, l’empereur (Imperator, Princeps, Augustus). Le sénat et l’empereur ne sont pourtant pas opposés. Le premier dirige l’état, mène les campagnes militaires et possède de nombreuses prérogatives en matière de religion, le second vote les budgets, administre les provinces, etc. Les deux éléments sont essentiels à la pérennité de l’empire. Ils se trouvent parfois en concurrence, mais rarement en opposition ouverte.

Le rôle de l’empereur n’est donc pas de donner raison au peuple contre le sénat et les électeurs, mais d’empêcher les abus de ces derniers et de préserver les intérêts du peuple. Pour prendre une métaphore organique, je dirais que la tête est chargée d’empêcher les organes principaux (coeur, foie, cerveau, poumons), tous essentiels, de s’accaparer tout le sang, ceci dans le but que le corps tout entier fonctionne bien. Cette alliance objective entre la tête de l’état et le corps de la société est reprise telle quelle dès la fondation du Royaume de France par Hugues Capet. Ce que l’on a nommé « pacte capétien » (un acte fondateur de notre nation, au passage) pose le principe du bon gouvernement du roi de France, lequel consiste en la préservation des intérêts de ses sujets face aux velléités de ses vassaux (Grands du Royaume puis noblesse).

L’absolutisme royal de droit divin ayant marqué une rupture de ce pacte (théoriquement, si le roi n’œuvrait pas pour le bien de ses sujets, il pouvait être destitué), le retour de cette conception pendant et après la Révolution française s’est fait sur de nouvelles bases. Ce sont sur ces bases que s’est fondé le populisme moderne.

Alors que sous la royauté d’Ancien Régime, le lien établi est celui d’une domination pleine et entière du roi sur ses sujets accompagnée d’une protection des faibles et des humbles, après la Révolution, le lien d’inégalité est inversé. La tête de l’état doit oeuvrer dans l’intérêt du peuple non pas par obligation morale envers plus faible qu’elle sous sa responsabilité, mais par obligation contractuelle envers la seule origine possible de la légitimité politique. C’est, quelque part, un retour aux sources du Royaume des Francs, lorsque le roi, choisi par les Grands, se voyait sans cesse rappeler par ses mandataires "qui donc t’a fait roi ?", la différence principale étant que, désormais, les mandataires sont les citoyens. Cette nouvelle situation, ni la Restauration, ni la monarchie de Juillet, ni les deux Empires n’ont pu y passer outre, et elle forme un principe de base du régime républicain, merveilleusement exprimée par l’idée du peuple souverain.

Quels sont les principes du populisme ? L’élu, mandaté par le peuple, doit avoir à cœur à tout instant de préserver les intérêts du peuple, il doit lutter contre les injustices et les privilèges que l’ « élite » – et c’est bien normal – souhaite obtenir et entretenir. Pour ce faire, le sens de l’état et une certaine fibre populaire ne sont pas inutiles.

En fait, ce que souhaite l’immonde, l’infâme populiste, c’est que le gouvernement, quel qu’il soit, œuvre pour le bien publique (et non pas pour le bien du public). Comment dit-on, déjà, « bien publique » dans cette langue ancienne qui fut longtemps parlé sous nos latitudes ? Res publica.

En somme, le populiste, c’est avant tout un fervent républicain.
 

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