Qu’est-ce que le pouvoir ? (Café Psy)

par Luc-Laurent Salvador
vendredi 25 août 2023

 

Introduction

Un bébé peut peu, mais il a un sacré pouvoir sur ses parents : au moindre cri, ils accourent. Pourtant, ceux-ci ne voient pas les choses ainsi, même quand la toute-puissance du premier les amène à reconnaître parfois — ou peut-être souvent — qu’ils n’en peuvent plus.

Pouvoir est un verbe que nous pouvons conjuguer à tous les temps et de toutes les manières possibles sans même y penser tellement nous avons l’habitude de l’employer, tellement son omniprésence dans la langue nous permet de nous cantonner à l’automatisme mental. A l’inverse, lorsqu’il est substantivé et devient le pouvoir, ce mot nous interpelle souvent car les occasions ne manquent pas de nous trouver en butte ou même en lutte, avec ceux qui, y compris l’Etat, prétendent l’exercer sur nous. Serait-ce « à l’insu de notre plein gré », nous luttons constamment pour le pouvoir et c’est pourquoi il est intéressant de tenter de le bien comprendre. Qu’est-il précisément pour être aussi unanimement désiré, que ce soit dans une forme ou dans une autre ? Car il est clair que nous avons le choix. La notion relève aussi bien du droit, des sciences exactes, de la sociologie, de l’économie, de l’art, de la psychologie, de la théologie, et, bien sûr, pour finir — mais sans être allé au bout — de la politique.

Il n’y a rien là de surprenant car — si l’on suit la psychanalyste Karen Horney, qui s’opposant directement à Freud, a considéré que bien avant la pulsion sexuelle — c’est la pulsion d’emprise qui est première chez l’Homme. De sorte qu’en paraphrasant Terence, on pourrait affirmer que « le besoin de pouvoir étant premier dans l’Homme, rien de ce qui est humain ne lui est étranger ». [1]Mais qu’est-ce donc alors que le pouvoir que le terme capacité est, justement, dans l’incapacité de traduire ? Que manque-t-il à ce dernier pour correspondre au premier ?

Sur la base de ce que nous avons déjà évoqué, la chose est évidente mais un exemple savoureux nous aidera à la formuler. Cela s’est passé au zoo de Arnhem, en Hollande, où les chimpanzés sont laissés en plein air dans la journée puis sont rentrés le soir dans des cages. Or certains d’entre eux faisaient régulièrement des difficultés. Un jour les gardiens sont venus, tout fiers, raconter au directeur [2] qu’ils avaient résolu le problème en donnant des bananes aux récalcitrants. Le directeur a souri en pensant que les gardiens avaient, en effet, été capables de se faire obéir mais qu’en fait les chimpanzés avaient été les plus malins et avaient pris le pouvoir sur les gardiens en les amenant à leur offrir des gratifications bananières.

Il apparaît donc très clair que la question du pouvoir ne saurait se cantonner à « la capacité de faire quelque chose » et doit nous amener à regarder aussi du côté du social, c’est-à-dire, du côté de la hiérarchie et de la domination dans les rapports ou les relations. Peut-être même y a-t-il d’autres dimensions restées jusqu’ici inaperçues et qu’il serait bon d’évoquer ?

Je vous invite à y réfléchir, à vous faire votre idée sur la question et, si vous le voulez bien — vouloir c’est pouvoir ! — nous débattrons de tout cela le vendredi 8 septembre prochain.

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Vous l’avez compris avec le dernier paragraphe, ce que vous venez de lire est une introduction au débat pour un « Kfé Psy » que j’animerai prochainement, près de chez moi, à Saint-Denis de la Réunion. Je me suis gardé de tout développement car il s’agit avant tout de susciter un remue-méninges et non pas de proposer d’emblée ma petite idée que voici puisque, pour nous, le débat c’est maintenant !

L’hypothèse de l’habitude

Ainsi que j’ai commencé à l’exposer ici-même, sur Agoravox, on peut concevoir toute la psychologie sur la base de l’habitude. Cette psychologie, je la qualifie désormais de fondamentale car [3] elle tire tous les phénomènes psychologiques vers un unique mécanisme, celui de l’habitude, conçue simplement comme la manifestation au niveau psychologique de la tendance universelle à la répétition du même qui s’observe « du physique au politique » [4]

L’hypothèse est toute simple et je vous la livre brute de coffrage, comptant sur vous, lectrices et lecteurs, pour lui donner un peu plus de substance et de chair, ne serait-ce qu’au travers de la manière que vous aurez de la comprendre en lien avec des situations concrètes ou des concepts aussi, pourquoi pas ? L’idée, ou plutôt l’axiome de base, est que l’habitude est une structure de contrôle en cela qu’elle amène constamment la réalisation de quelque chose qui était anticipé et qui, par le simple fait de se répéter, par le simple fait de se réaliser encore et encore, traduit l’existence d’une compétence suffisamment solide pour qu’on puisse parler de capacité et peut-être de pouvoir.

Pour revenir à l’exemple initial, le bébé qui crie et qui, à chaque fois, voit revenir ses parents à tout allure pour s’enquérir de ses besoins, jouit de cette rassurante capacité qui est aussi un pouvoir, justement, parce qu’elle s’exerce sur d’autres personnes que lui. Cette compétence, crier, s’est déployée en une capacité dont le bébé fera une habitude et qui lui donnera un sentiment ô combien plaisant et rassurant sur ses parents et, par voie de conséquence, sur ses petits soucis ou ses drames de bébé.

Donc, j’y insiste, l’habitude est une structure de contrôle [5] et c’est pourquoi elle semble à même d’expliquer la notion de pouvoir car on voit ici que le contrôle que bébé a établi via sa compétence de cri est une habitude qui peut légitimement être vue comme un pouvoir exercé sur ses parents. Bébé a, en effet, la capacité de faire venir ses parents à lui, il exerce sur eux un pouvoir au sens où ils viennent à lui quand il le désire et cette emprise exercée sur ses parents, peut être plus ou moins impérieuse, plus ou moins puissante, jusqu’à parfois ce qu’on a appelé la toute-puissance

J’imagine que la plupart d’entre vous ne l’ont pas vu venir mais je viens à l’instant de mettre les pieds dans le plat, l’air de rien, et cela va faire grincer les dents de bien des petits diables athéistes qui gravitent dans le coin — qu’ils veuillent bien me pardonner ces gentilles piques en se rappelant que le Ciel en fera de même pour eux... lorsqu’ils demanderont pardon ! J — car nous avons sous les yeux une nouvelle illustration de la triunité du mental, celle qui est le reflet de la sainte Trinité, étant donné que, nous le savons bien, l’Homme est à l’image de Dieu, n’est-ce pas ?

Cette triunité du contrôle inhérent à l’habitude se manifeste, en effet, comme :

  1. Pouvoir (intention, désir orienté « autres », donc registre conatif)
  2. Capacité (compétence, savoir-faire, connaissance, donc registre cognitif)
  3. Puissance (quantitatif, énergie, force, donc registre de l’affect (libido))

Quand quelqu’un fait ce que je veux, j’ai du pouvoir sur lui, serait-ce seulement celui que me procure l’argent dont je dispose pour le rétribuer. C’est pourquoi le client est roi. Quand je peux obtenir ce que je veux, c’est que je sais comment l’obtenir, il s’agit donc d’une capacité, d’ordre cognitif, et elle ne va pas de soi. Par exemple, il est des enseignants qui ne savent pas se faire obéir de leurs élèves. Ils n’ont pas les compétences ou les capacités nécessaires pour incarner l’autorité (forme de pouvoir dans un contexte hiérarchique). Ce sont des incapables, faute de formation ou faute de formateurs capables de les former. Enfin, quand je n’en peux plus, c’est que je n’ai plus d’énergie, donc plus de cette volonté qu’exige l’effort et, dès lors, je suis impuissant même si j’ai les capacités et que mon pouvoir est reconnu. Un peu comme une rivière à sec n’a plus le pouvoir de faire tourner le moulin... de l’habitude. J

Voilà donc ma proposition initiale. Merci d’avance à ceux qui voudront bien s’y attarder pour la commenter. Vous avez la parole, elle est passablement libre encore, donc, de la magie à la foi en passant par la science, toutes les formes de pouvoir peuvent être évoquées, y compris celles qu’on ne peut critiquer... ;-)

 

 

[1] Son fameux vers étant : « je suis homme, je pense que rien de ce qui est humain ne m’est étranger ».

[2] L’éthologue Franz de Waal, auteur du beau livre « La politiques du chimpanzé » dont je recommande vivement la lecture !

[3] A la suite de — et en soubassement à — l’anthropologie fondamentale de René Girard.

[4] Pour reprendre le titre de Walter Bagehot qui, au XIXe, écrivit ce qui est, à ma connaissance, le premier livre « savant » entièrement consacré à l’imitation dans les sociétés humaines.

[5] Le contrôle dont je parle ici c’est simplement le fait que ce qui est réalisé, ce qui est perçu correspond de manière satisfaisante à ce qui était anticipé. La satisfaction étant en corrélation directe avec le degré de correspondance. Quand celle-ci est parfaite, la satisfaction l’est aussi.


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