Quand l’O.C.D.E. découvre que les pauvres finissent par nous appauvrir

par Karol
vendredi 12 décembre 2014

Dans un dernier rapport, l'OCDE nous alerte sur les inégalités de revenus qui nous "coûteraient" des points de croissance. ( inégalités et croissance 2014 ). Les pauvres ne se contentent pas d'être sans ressources et de vivre dans la précarité mais en plus, selon ce rapport, il appauvrissent l'ensemble du pays. Alors que faire ? Eliminer les indigents des statistiques ou du pays ou mettre en place des mécanismes de redistribution efficaces.

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CES PAUVRES QUI NOUS APPAUVRISSENT.

"Le creusement généralisé des inégalités de revenu a conduit à s’inquiéter de leurs conséquences potentielles pour nos sociétés et nos économies. De récentes recherches de l’OCDE révèlent que toute amplification de ces inégalités fait chuter la croissance économique. L’une des raisons en est que les plus défavorisés se trouvent moins à même d’investir pour s’ instruire. Corriger les inégalités peut rendre nos sociétés plus justes et nos économies plus fortes." Telle est l'introduction de ce récent rapport.

Depuis les premières mesures de libéralisation de l'économie et de globalisation du capitalisme dans les années 80, l'accroissement des inégalités s'est accéléré. Aujourd'hui les revenus des 10 % les plus riches sont 9,5 plus élevés que les revenus des 10 % les plus pauvres. Ce rapport n'était que de 7 dans les années 80. Le coefficient de Gini qui mesure de 0 à 1 le taux des inégalités est passé de 0,29 à 0,32 en trente ans dans les pays de l'OCDE. Ce coefficient a progressé dans 16 pays sur 21 pays. Il a bondi de plus de 5 points aux Etats-unis, en Finlande, en Israël, En Suède et en Nouvelle Zélande pendant qu' il stagnait en France, en Belgique et au Pays bas. Le rapport met en évidence la corrélation entre l'accroissement de ce coefficient de mesure des inégalités et le taux de croissance de l'économie.L'accroissement de 0,3 point de ce coefficient de Gini aurait coûté 0,35 point de croissance par an sur 25 ans soit au total une perte cumulée de 8,5 % pour tous les pays de l'OCDE.

En d'autre terme le rapport nous révèle que comme l'eau chaude peut brûler, les pauvres empêcheraient aussi les riches de continuer à s'enrichir. Et cet effet négatif sur la croissance ne serait pas dû seulement au dernier décile de la population la plus pauvre mais aux quatre premiers déciles de l'échelle de répartition des revenus, c'est à dire aux classes "moyennes inférieures" des statisticiens.

En quoi l'inégalité des revenus nuirait-elle à la croissance ? Pourquoi la fameuse théorie du ruissellement, chère aux libéraux, qui voudrait que les dépenses des riches suffisent à nourrir les pauvres ne fonctionnerait-elle plus ?

Même si ce rapport de l'OCDE n'analyse pas le comportement des plus riches, la perte de croissance vient en partie de leur plus faible propension à consommer. Les classes fortunées ont tendance à épargner, à placer leur argent en capital ou dans la pierre. Bref à stocker une partie de leurs revenus. En ce qui concerne les 40 % les plus pauvres c'est aussi la perte de pouvoir d'achat et donc la capacité à consommer qui muselle la croissance.

Mais ce qui est le plus grave, et que met en avant ce rapport, est la dégradation au fil des générations du "capital humain" en matière d'éducation et de compétences qu'induit l'accroissement des inégalités, limitant ainsi la mobilité sociale et professionnelle et privant le pays de nombreux talents qui ne peuvent se révéler. « Dans les pays les plus inégalitaires, les ménages les plus démunis sous investissent dans le capital humain de leurs enfants. » indique Stefano Scarpetta, directeur de la division emploi à l'OCDE. " L’analyse de données sur l’éducation et des résultats de l' enquête de l’OCDE sur les compétences des adultes révèle que le capital humain des personnes, dont les parents ont un faible niveau d’instruction, diminue à mesure que les inégalités de revenu sont plus prononcées". (lien).

Ainsi plus les riches accumulent, plus les plus démunis sont privés de toute capacité de s'émanciper et de créer à leur tour de la richesse.

Ce rapport met à bas de nombreuses "vérités " que les laudateurs du libéralisme mettent constamment en avant. Il révèle que l'effet d'entrainement de la "réussite" des riches est nul, tant au niveau économique par le ruissellement qu'au niveau social par l'entrainement et la motivation que la réussite serait censé induire chez les plus défavorisés pour corriger les inégalités initiales. Au contraire, le libéralisme, avec son insuffisance notoire dans la redistribution des richesses accroit les inégalités et éloigne de la réussite scolaire ceux qui en aurait le plus besoin pour sortir de l'ornière dans laquelle on les a jetés. Le système, au lieu de converger vers plus de réussite pour tous, diverge vers de plus en plus d'exclusion ce qui à terme conduira à un appauvrissement généralisé.

Déjà Thomas Piketty dans " Le capital au XXIème siècle" a montré comment les inégalités de revenus et surtout les inégalités de patrimoine ( avec un taux de rendement privé du capital de l'ordre de 5 %, bien supérieur au rythme de croissance de la production et des salaires), induit inévitablement un processus de divergence des inégalités patrimoniales , où la rente empêche la réussite par l'investissement et le travail, où l'héritage du passé étouffe la création de richesse dans le présent.

On l'a déjà commenté, en 2013, 85 personnes détenaient autant que ce que détient la moitié la plus pauvre de la planète. En 2014 c'est seulement 67 personnes qui concentraient autant de richesse que cette même moitié de la population. Dit autrement moins de 1 % de la population possède la moitié de la richesse mondiale. Ces inégalités extrêmes en excluant les plus démunis et en autorisant les nantis de se dispenser de leur nécessaire contribution, dégradent les gouvernances démocratiques,renforcent le pouvoir des oligarchies, limitent l'accès à l'éducation et à la santé, l'égalité homme-femme, et la mobilité sociale. Peu à peu l'organisation économique et sociale devient duale : Low-cost pour la grande masse et luxe et services premium pour les 1 %, optimisation fiscale et paradis fiscaux pour les uns, logements précaires, accès aux soins et à l'éducation de plus en plus difficiles pour les autres.

Comment faire pour que ce formidable stock de richesse, capté par une minuscule minorité puisse contribuer à l'émancipation de tous et à la cohésion de l'ensemble de la société ?

DE LA RICHESSE PRIVEE A LA REUSSITE COLLECTIVE

Les 10% de la population les plus fortunés détiennent 86% du patrimoine mondiale soit 215 000 milliards de dollars. En contribuant seulement à hauteur de 1,5 % par an de la valeur de leur patrimoine, ils permettraient d'allouer un dividende universel de 40 dollars par mois et par personne sur terre , somme ridicule pour certains mais suffisante pour éliminer l'extrême pauvreté dans le monde ce qui est encore le sort de 1,5 milliards de personnes sur notre terre.

En France, avec un patrimoine privé de l'ordre de 10 000 milliards d'euros, consacrer seulement 1,5% par an de ce capital ( en moyenne ) à une allocation universelle et inconditionnelle pour tous les enfants et jeunes adultes, représenterait la mobilisation de 150 milliards € par an. Ce qui permettrait par exemple de financer une allocation de 300€ à tous les enfants jusqu'à 14 ans, de 600 € de 14 à 18 ans et de 1200 € ensuite pour une allocation d'insertion ou de formation pouvant être versée pendant 7 années, au cours de la vie, pour étudier, acquérir des compétences ou réaliser un projet personnel, allocation inconditionnelle, individuelle et indépendante de la situation familiale de chacun. En se substituant au système des aides à la famille actuelles stigmatisantes, complexes et nettement insuffisantes , en mobilisant une petite partie de la richesse privée accumulée, il donnerait à chacun les moyens de pouvoir s'élever dans la vie en bénéficiant de mêmes conditions matérielles, quelles que soient ses origines sociales. Ainsi sans préjuger de l'avenir, il donnerait à chacun une carte maitresse pour choisir son destin. Cette dotation intergénérationnelle, financée par un prélèvement sur le stock, serait la concrétisation de l'existence de ce capital commun accumulé par les générations précédentes, patrimoine qui est aussi le fruit de l'histoire, du progrès technique, des infrastructures mises en commun,de l'intelligence de tous et des ressources que la Terre nous offre depuis la nuit des temps. Fruits qui sont aujourd'hui, pour la plupart, accaparés par quelques uns et en partie stérilisés et donc inutiles à l'économie de la nation.

Si on ne peut blâmer la réussite individuelle, ni confisquer la richesse acquise, on ne peut pas tolérer que celle-ci se fasse aux dépens des plus démunis. La conclusion du rapport de l'OCDE devrait s'imposer à tous :

  • "Lutter contre les inégalités par l’impôt et les transferts ne nuit pas à la croissance pour autant que les mesures soient bien pensées et correctement mises en œuvre.
  • À cet égard, les efforts de redistribution devraient privilégier les familles avec des enfants et les jeunes, qui prennent des décisions déterminantes en matière d'’investissement dans le capital humain, et encourager le développement des compétences et la formation tout au long de la vie."

Tel est bien l'objectif d'une allocation universelle et inconditionnel pour tous les enfants et jeunes adultes, afin que chacun puisse tracer son chemin avec les mêmes atouts quelle que soit son origine sociale. Il faut être convaincu que cette véritable " avance sur recette" , cette mise initiale, permettra à chacun de se construire pour contribuer à enrichir ce patrimoine commun de connaissances et de création que nous partageons tous, source à son tour de richesse future.

LA SCIENCE DU PARTAGE


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