Quand Sigmund Freud refuse à Pierre Janet les outils de la domination psychique sur le bon peuple

par Michel J. Cuny
samedi 24 novembre 2018

Tandis que, comme nous l’avons vu, Sigmund Freud n’a cessé d’approfondir sa connaissance de chacune des situations de vie qui avaient déterminé la production des symptômes de ses patientes et patients, Pierre Janet se sera contenté de considérer en vrac les différents cas qui se seront présentés à lui, alors que désormais il s’engage très officiellement dans la voie médicale à travers cette thèse qu’il a en préparation :

« Vraisemblablement, toutes ces crises hystériques sont de même nature, elles consistent dans la reproduction plus ou moins complète d’une émotion, d’une aventure, d’une idée ancienne dans une seconde existence qui est analogue à un somnambulisme plus ou moins rudimentaire.  » (Idem, page 432)

Pourquoi se donnerait-il la peine d’y aller voir de plus près ?… Et pourtant, il n’hésite parfois pas à agir par effraction, par exemple, lorsqu’il veut étudier…
« les manifestations de la seconde personnalité dans l’intervalle des somnambulismes et des attaques. » (Idem, page 433)

Voyons cela…
« Cette recherche a été commencée par l’étude des suggestions à effet hypnotique. […] On a dit au sujet de faire un acte dans huit jours, il faut bien que, après le réveil, il se souvienne du commandement et compte les jours qui le séparent de l’instant de l’exécution. » (Idem, page 433)

C’est-à-dire que l’on a effectivement induit un automatisme… Voilà ce qui intéresse la psychologie expérimentale… Mais pas du tout ce qu’une patiente peut avoir en tête…

Dès que cela semble fonctionner, il n’y a plus qu’à claironner les résultats très scientifiques que l’on se croit en mesure d’en tirer :
« Tous les phénomènes psychologiques qui se produisent dans le cerveau ne sont pas réunis dans une même perception personnelle, une partie reste indépendante sous forme de sensation ou d’images élémentaires, ou bien s’agrège plus ou moins complètement et tend à former un nouveau système, une personnalité indépendante de la première.  » (Idem, pages 434-435)

Et c’est donc au bas de ces propos-là que Pierre Janet a jugé bon de faire figurer, en 1893, cette formule :
« Mais le travail le plus important qui soit venu confirmer nos anciennes études est sans contredit l’article de MM. Breuer et Freud récemment paru dans le Neurologisches centralblatt. » (Idem, page 437)

Ce qui est remarquable dans la prise position de Sigmund Freud telle qu’elle apparaît dès le début de son article de 1894, Les névropsychoses de défense, c’est la prudence qu’elle manifeste… Qu’on en juge :
« Que le complexe symptomatique de l’hystérie, pour autant qu’il autorise à ce jour une compréhension, justifie l’hypothèse d’un clivage de la conscience avec formation de groupes psychiques séparés, c’est ce qui, depuis les beaux travaux de P. Janet, J. Breuer et autres, avait déjà bien pu accéder à la reconnaissance générale. » (page 651 du PDF)

Il n’y est pas question de « dédoublement de la personnalité »…, mais seulement de « groupes psychiques séparés  »… Autrement dit, la position prise par Pierre Janet est ici noyée dans celle qui appartient en propre à… Josef Breuer lorsqu’il a mis en avant ce qu’il a qualifié d’« états hypnoïdes »…

Mais Freud ne lâche pas pour autant le brave Janet. Immédiatement, il met en question le principe du « clivage de conscience » :
« Il repose sur une faiblesse innée de la capacité de synthèse psychique, sur l’étroitesse du « champ de conscience », qui en tant que stigmate psychique témoigne de la dégénérescence des individus hystériques. » (Idem, page 651)

Et cela, il ne l’admet pas. C’est que, s’il est arrivé à Freud lui-même de faire, en une occasion surtout, une place très significative à la « dégénérescence », il y a très vite renoncé. De façon très générale, il a même très fréquemment souligné le fait que les hystériques qu’il avait pu étudier de près avaient toutes sortes de qualités personnelles et tout spécialement dans les domaines intellectuels et artistiques…

Au-delà, il lui suffit de s’en remettre à ce que Pierre Janet devrait savoir mieux que quiconque :
« D’après Breuer, ce qui est « fondement et condition » de l’hystérie, c’est la survenue d’états de conscience particuliers, de l’espèce du rêve, avec capacité d’association restreinte, pour lesquels il propose le nom d’« états hypnoïdes ». Le clivage de conscience est alors un clivage secondaire, acquis ; il se produit du fait que les représentations qui ont émergé dans des états hypnoïdes sont coupées du commerce associatif avec le reste du contenu de conscience.  » (Idem, pages 651-652)

Mais c’est justement ce qui fascine Janet : qu’on puisse couper le « commerce associatif », c’est-à-dire le courant d’idées… qui d’ailleurs, pour lui, n’en est certainement pas un dès qu’il intéresserait le peuple…

Pour bien mesurer cela, nous allons devoir faire un petit crochet par un autre élément de la panoplie de celui qui, à travers la Sorbonne et le Collège de France, aura porté pendant plusieurs décennies l’étendard de la suprématie bourgeoise sur la population travailleuse de notre pays, et préparé, avec bien d’autres, la victoire écrasante qu’on lui voit aujourd’hui…

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