Québec : une nation à naître ?

par Pierre JC Allard
lundi 27 juin 2011

Qu’est-ce qu’on fête au Québec le 24 juin ? Ça dépend…

On a dit que ceux qui ignorent l’Histoire sont condamnés à la répéter ; il n’est donc pas mauvais de se rappeler que, de mémoire d’homme – j’en suis la preuve vivante – la Saint-Jean-Baptiste a été d’abord la Fête de la Race. Notre hymne national nous disait que nous, Québécois, étions “nés d’une race fière”, notre berceau avait été béni et notre carrière tracée par le Ciel. Le genre de contexte qui n’incite pas à des remises en question, de sorte que l’on ne s’en posait pas trop, des questions.

La “parade” de la St-Jean montrait des zouaves pontificaux, moins nombreux chaque année ; les orphéons des orphelinats – ils étaient encore pleins – jouaient des marches mussoliniennes pudiquement présentées en chants scouts ; le petit Saint-Jean-Baptiste fermait la marche, gagnant d’un concours de beauté entre enfants de notables. Des enfants blonds, bien sûr. En ce temps-là, les notables se portaient bien et le blond se portait beaucoup. Pas de questions.

Circa 1960, quand est venue au Québec la Révolution tranquille et le temps des questions, Saint-Jean-Baptiste s’est mué en Précurseur. Un prophète adulte, musclé, vêtu d’une peau de bête. Un type sérieux qui erre dans le désert et qui pourrait chercher des ennuis. On les a eu, les ennuis : les bombes de l’ALQ et des deux FLQ, les “trois colombes” – dont Pierre Trudeau – et, pour finir, les événements d’Octobre “70 qui ont raflé et mis brièvement en tôle ceux qui parlaient d'indépendance. Un coup de semonce.

Après ça, Saint-Jean-Baptiste "version II" a été mis en veilleuse, comme un écran d’ordinateur. Quand la St-Jean s’est rallumée en version III, il y a quelques années, c’était en Fête nationale, avec réjouissances populaires et allégories triomphalistes commanditées par le gouvernement et le secteur privé.

En 2011, le secteur privé se porte bien, la coopération entre l’État et les nouveaux notables est revenue au zénith. Plus de questions. Ou plutôt, si : on fête quoi, le 24 juin ? Il faudrait le dire vite et le redire souvent, avant qu’il ne se crée des malentendus : nous fêtons une nation qui n’existe pas. Nous fêtons une nation à naître.

Une nation à naître ? Mais la “nation québécoise”, alors ? “Nous-z-autres”, au sens de Jacques Parizeau le soir du référendum ? “Nous-z-autres”, nous sommes un peuple de blancs, francophones, étant ou ayant été catholiques et comptant au moins un ancêtre établi en Amérique avant 1760. Nous sommes une grande famille, une tribu, un clan, une ethnie, un peuple … Nous sommes conscients d’être un tout et d’avoir des affinités.

Une nation ? Mais oui, pourquoi pas ! Le malentendu, soigneusement entretenu depuis trente ans, ne consiste pas à dire que nous sommes une nation mais à nous être approprié le vocable “Québécois”.

On dit “Québécois”, c’est plus commode ; comme ”Américain” sonne mieux que “États-unisien”. Mais quand vous et moi au Québec nous disons “nation québécoise” ou “culture québécoise”, c’est à “nous-z-autres” que nous pensons : les “blancs, francophones, étant ou ayant été catholiques et comptant au moins un ancêtre établi ici avant 1760″. Nous ne pensons pas à un million d’Autres qui ne sont pas “nous-z-autres” mais qui cohabitent avec nous sur le territoire du Québec. Pas plus que les “Américains” ne pensent aux Boliviens ou aux Guaranis quand ils définissent la culture dite américaine.

Mais les Autres sont ici, tout comme les Guaranis sont bien en Amérique. De sorte que, malgré le vocabulaire politiquement correct qu’on nous sert – avec souvent, d’ailleurs, pour des motifs électoraux, le ton de ne pas vraiment y croire – nous savons bien que la notion d’une nation québécoise tirant son sentiment d’appartenance de ce qu’elle habite au Québec et se définissant comme telle est une fiction. La nation québécoise “territoriale” n’existe pas. Pas encore.

Ce qui est là, aujourd’hui, sur le territoire du Québec – et qu’on partage ou non les options de Jacques Parizeau ne change rien à cette réalité – c’est “nous-z-autres” … et les autres. Les Autres peuvent chanter et danser avec nous, mais nous savons que, même si officiellement c’est aujourd’hui la fête nationale du Québec, l’immense majorité d’entre eux ne croient pas plus à une “nation québécoise” que le Québécois moyen ne croit que cette fête soit encore celle de Saint-Jean-Baptiste.

Or, si les Autres ne commencent pas à y croire, nous sommes perdus. Perdus, parce que ce million d’étrangers parmi nous – que personne ne songe à chasser ni à exterminer mais qui sont là pour rester – rend inévitable que la population du Québec, bientôt, ne soit plus ni si blanche ni si post-catholique… mais qu’elle se réclame en nombre croissant d’ancêtres venus non pas il y a longtemps de Normandie ou du Poitou, mais de quelque part “ailleurs” et au cours du vingtième siècle.

Pour que se perpétue une nation québécoise de “nous-z-autres”, il aurait fallu, il y a cent ans, pour le meilleur ou pour le pire, choisir la colonisation plutôt que l’expatriation aux USA. Il aurait fallu, il y a cinquante ans, à tort ou à raison, écouter le curé et continuer la Revanche des berceaux et faisant des enfants sans modération.

Les Québécois n'ont pas fait ces choix. Désormais, il n’y aura de nation “québécoise” – au sens territorial du terme, qui est le seul correct – que si cette nation intègre les Autres. Ce que nous fêtons aujourd’hui, c’est notre espoir que cette nation naîtra.

Notre espoir que les Québécois de demain – qui ne seront certes plus tout à fait “nous-z-autres” – garderont néanmoins une culture que nous leur transmettrons et qui les gardera semblables à nous-mêmes. Une culture francophone. Le 24 juin est d’abord l’affirmation de notre volonté de garder le Québec français. Il n`y a pas de logique formelle à ce choix, mais c’est sur ce terrain que nous avons décidé de jouer notre honneur.

Pas de logique formelle, car nous ne serions pas morts de honte si nous étions nés au sein de ces 97% de l’humanité qui ne parlent pas français mais disent néanmoins parfois, en leurs propres mots, des choses intéressantes ; la question n’est pas là. Nous serions honteux, toutefois, si, étant de ceux qui l’ont appris de leur mère, nous ou nos enfants CESSIONS de parler français. Honteux comme quelqu’un à qui on a collé les épaules au plancher ; parce que nous serions conscients alors que moi, vous, “nous-z-autres”, n’avons simplement pas dit assez de choses intéressantes pour que les “autres” jugent indispensable de venir nous écouter.

En ce 24 juin, pour que naisse la nation québécoise, prenons donc la résolution de dire des choses “intéressantes”. Il ne s’agit pas de contraindre les Autres à l’usage du français, mais de les séduire. Faisons-le. Disons, en français, plus de choses intéressantes. Rappelons-nous cette réalité triviale qu’il ne faut pas de Loi 101 imposant la primauté du Français pour que tous les grands restaurants du monde présentent leur menu en français ; il suffit d’être les meilleurs…

 

Pierre JC Allard

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