Quelle laïcité voulons-nous pour demain ?, par l’AED

par Franck ABED
vendredi 1er septembre 2017

L’Aide à l’Eglise en Détresse, présidée par Marc Fromager, a organisé un colloque le 6 novembre 2015 sur le thème de la laïcité. Dix intervenants, des chercheurs, des hommes politiques, des enseignants en philosophie (et non des philosophes) ont disserté autour de trois axes majeurs : état des lieux de la laïcité, la laïcité à travers le monde, propositions concrètes pour la France. L’AED a décidé de regrouper leurs interventions et de publier l’ensemble. Dans une large mesure, les ouvrages regroupant différents auteurs présentent souvent le même défaut : un manque d’unité et de cohérence doctrinales entre les différentes contributions. Ce dernier n’échappe malheureusement pas à la règle.

Nonobstant ce constat, de nombreux rappels salutaires sont posés : « la perte de la prégnance du religieux dans nos sociétés vient de ce que l’urgence vitale d’une morale a disparu, cette morale se transférant sur le progrès technique. » Nous pouvons lire plus loin : « nous ne sommes pas une société sans religion, au contraire, sommes perclus de cultes différents. J’en nomme quelques uns, qui sont pour moi des nouvelles formes de croyances qui habitent l’espace politique : messianisme politique avec l’homme providentiel, l’écologisme, le culte de l’efficacité (aliénation à la performance dans la technique, la finance et l’économie), l’individualisme. » Il demeure fondamental de définir le sujet pour bien le traiter. A ce titre, un des contributeurs précise que « le mot laïcité vient de laicos, terme grec passé dans le latin, c’est-à-dire le peuple non organisé, la foule indistincte, confuse, celle des grands théâtres, des stades, par opposition au démos, le peuple constitué dans son cadre politique.  » Et il poursuit en ses termes : « En fait il s’agit d’un concept d’abord religieux, en fait chrétien, qui désigne ceux qui ne font pas partie des ordres sacrés, ne sont ni prêtres, ni diacres, ni acolytes… » Nous sommes là devant un réel paradoxe voire une incohérence intellectuelle. En effet, la laïcité promue par le système démocrate et républicain, aujourd’hui mais déjà hier, entend s’appliquer à toutes et à tous dans la sphère publique, indépendamment par ailleurs de la religion des individus. Or ce concept opère une distinction entre les prêtres et les non prêtres. Ainsi, parler de laïcité dans une société athée ou agnostique relève de l’ineptie intellectuelle, tout comme de l’évoquer dans une société qui serait dominée par le judaïsme, le protestantisme ou l’islamisme. Il y a des propos faux qui se mêlent à d’autres plus sensés. Par exemple nous lisons : « La loi de 1905 est un cadre remarquable, qui permettra la sortie du conflit exacerbé entre deux France  » Quelle méconnaissance historique ! Quelle erreur sur le plan des idées. Un autre contributeur abonde dans le même sens : « La loi de 1905 est-elle assez bonne pour qu’on la conserve ? La réponse des catholiques semble, finalement et après l’expérience de l’histoire très nettement positive  ». En admettant que la majorité des catholiques réponde oui à cette question, ce qui reste à démontrer, cela voudrait dire que ces catholiques là sont adeptes de la mise sous le boisseau de la lumière. De fait, ils trahiraient le combat de leurs ainés qui refusèrent les spoliations des biens ecclésiastiques, les inventaires, l’exil des religieux et soutiendraient en fin de compte un projet des ennemis de l’Eglise. Concrètement, Ils peuvent opter pour cette idée mais quand même… Pour terminer sur ce point précis, la majorité ne constitue pas la vérité. Effectivement un très grand nombre de catholiques peut retenir une position historique, théologique, politique et se tromper. Ceci étant dit, un autre intervenant commet une autre erreur : « si donc il faut vraiment accepter un concept de laïcité, il faut l’entendre au sens restreint et strict de la séparation. » Insistons quelques instants sur cette idée essentielle : « C’est tout de même le christianisme qui a inventé la laïcité. Avec l’invitation du Christ à rendre à César ce qui revient à César, et à Dieu ce qui est à Dieu ». Le Christ énonce donc l’existence des deux domaines : temporel et spirituel. Il n’appelle pas à une séparation mais à une saine distinction. Si une société sépare le temporel du spirituel, elle produit les mauvais fruits qui piquent nos yeux quotidiennement. Malgré ces erreurs intellectuelles et philosophiques, nous trouvons dans les différentes contributions des développements pertinents sur les fondements de notre civilisation : « ce refus de fonder l’Europe dans son héritage chrétien apparaît clairement par le refus de faire référence au christianisme dans les traités européens. » De plus au sujet de la loi de 1905 et de ses conséquences sur l’Eglise Catholique, heureusement qu’un des conférenciers rappelle l’évidence : « Dans le même temps son influence dans la vie politique, sociale et civile lui est à nouveau très sérieusement et violemment contestée ». Ce qui est, de manière objective, encore le cas dans la France du XXIème siècle. Enfin, un prêtre prend le temps de rappeler que : « L’Etat nous a volés deux fois. En 1790 et en 1905. L’Eglise sait gérer ses biens, on nous aurait laissé nos biens, nous aurions de quoi les gérer, les entretenir et même de quoi payer nos ministres mieux que nous ne les payons actuellement.  » Que du bon sens !

En dépit des erreurs factuelles relevées et de la diversité des opinions, ce petit opuscule pédagogique et concis, présente malgré tout des rappels fondamentaux sur l’essence même de la laïcité, évoque les mauvais rapports entre catholicisme et monde politique et propose des pistes concrètes - sans prétendre à l’exhaustivité - à ceux qui nous gouvernent. Ce livre a le mérite d’aborder un sujet important en le traitant sans langue de bois. A lire…

Franck ABED


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