Quelle réforme des retraites soutenable à l’ère de l’anthropocène ?

par André Martin
lundi 16 décembre 2019

Le système économique, financier, productiviste et de plus en plus inégalitaire qui s’accélère depuis le milieu du 20ème siècle n’est plus soutenable. Il a fait entrer l’humanité dans l’ère de l’anthropocène, comme le montrent les scientifiques du GIEC, de l’IPBES. Les prévisions du rapport Meadows qui tirait la sonnette d’alarme en 1972 se sont toutes confirmées. Alors même que ces prévisions ne prenaient pas en considération les incidences du changement climatique !

Sauf à nous désintéresser de l’état du monde que nous laisserons à nos enfants et petits-enfants, nous avons le devoir de nous informer. Des dizaines de conférences enregistrées le permettent, notamment celles de Jean-Marc Jancovici, de Gaël Giraud, d’Aurélien Barrau, de Pablo Servigne, de Jean Jouzel, de Cyril Dion...

Ceci nous impose, sans échappatoire possible, de changer intégralement et aussi vite que possible nos modes de consommation, de production, ainsi que l’échelle des revenus. Seule une réduction drastique des inégalités, des consommations excessives et donc des revenus permettra un système économique et social soutenable. La seule voie est celle de la sobriété heureuse parce que solidaire.

Nos systèmes de protection sociale aussi, doivent revenir à beaucoup plus de solidarité, après des décennies vers toujours plus d’individualisation. Or, la réforme Macron/Philippe c’est encore plus d’individualisation et moins de solidarité. Même si quelques touches très cosmétiques de solidarité sont mises en vitrine. Cette réforme aggraverait la crise écologique. Elle est en contradiction absolue avec les évidences écologiques.

Examinons les principaux aspects de la réforme et la pertinence des arguments du gouvernement.

« Pour les retraites il faut aller vers un système universel »

Quasiment tous les Français sont d’accord sur ce principe. En effet, la complexité du système est telle, hormis pour la Fonction Publique d’Etat, que moins d’un Français sur 100 comprend comment sera calculée sa retraite et quel sera son montant (retraite de base, plus les différentes retraites complémentaires). Les changements de profession beaucoup plus fréquents justifient également que l’on fasse converger les 42 régimes actuels.

Mais, hormis pour les régimes spéciaux, les conditions d’âge et d’annuités ont été uniformisées depuis longtemps. Pour avoir la retraite à taux plein, le nombre d’annuités nécessaires a été uniformisé par la loi Fillon du 21 août 2003. Avec, pour les salariés du privé et du public, passage de 40 ans de cotisation en 2008 à 41 ans en 2012 et à 42 ans en 2020. La condition d’âge a été repoussée, pour tous, de 60 à 62 ans par la réforme Sarkozy de 2010.

Il est intéressant de connaitre les professions et le nombre de salariés concernés par les régimes spéciaux ... dont beaucoup ne peuvent pas être pas qualifiées de privilégiées (les hospitaliers, les exploitants agricoles, ...). Certains régimes spéciaux concernant un nombre de salariés inférieur à 2 000 !

De la même façon que les conditions d’âge et d’annuités ont été uniformisées, le calcul du montant des pensions pourrait l’être également. Par exemple, à « 75% du salaire annuel moyen des 10 meilleures années ». Ces 2 chiffres, comme le niveau des cotisations, pouvant être renégociés tous les 5 ans par exemple, afin de piloter l’équilibre du système. Ce serait plus simple, plus transparent et surtout beaucoup plus solidaire que le système de retraite par points hyper inégalitaire que Macron/Philippe veulent nous imposer, poussés par les fonds de pension anglo-saxons.

Les règles actuelles d’acquisition des annuités seraient conservées. Par exemple, celles liées à la maternité. Elles doivent prendre en compte aussi la pénibilité et l’espérance de vie. Les professions reconnues comme sous payées (enseignants, infirmières, agriculteurs, ...) pourraient, pendant la période de rattrapage des salaires, bénéficier de bonifications de leurs annuités.

« Le nouveau système par points sera plus favorable pour ceux qui auront eu des carrières hachées, notamment les femmes »

Même un élève de 3ème comprend facilement qu’une retraite calculée sur la totalité de la carrière sera toujours plus défavorable que celle calculée sur les 25 ou les 10 meilleures années. Explications sur La réforme des retraites pénalisera encore plus les femmes

Voir aussi Qu’est-ce qu’une retraite juste ? de Thomas Piketty. Et il n’y a en fait aucune raison de considérer que le niveau « juste » des retraites doive refléter l’ensemble de la carrière salariale. de l’économiste Guillaume Duval.

« Aucune pension de retraite ne baissera ... Personne ne sera perdant ... »

C’est impossible, comme l’explique l’économiste Elie Cohen, pourtant proche du gouvernement, dans « Retraites : un triangle d’incompatibilité ».

« La valeur du point ne pourra pas baisser »

Cette vidéo de François Fillon de 2016 confirme qu’il s’agit d’un mensonge.

Il est facile de faire baisser les pensions tout en conservant la valeur du point. Il suffit d’appliquer un bonus/malus, avec l’instauration de l’âge pivot à 64 ans. Ou, comme cela a été fait dans ARRCO/AGIRC, en appliquant un coefficient de minoration à la valeur de service du point. Ou un coefficient de majoration pour le prix d’acquisition des points.

La réforme des retraites du "modèle suédois", vanté par Macron/Philippe, présente un bilan très mitigé, avec des gagnants mais aussi beaucoup de perdants.

« La valeur du point sera indexée sur les salaires, ce qui est plus favorable que l’indexation actuelle sur les prix »

Quel économiste sérieux peut prédire que dans 30 ans l’indexation sur les salaires sera plus favorable que l’indexation sur les prix ?

« Le système de retraites sera déficitaire de milliards à l’horizon 2025 »

D’abord on omet de dire qu’il y a ici et là de grosses réserves : 32 milliards sur le Fonds de Réserve des Retraites créé par Lionel Jospin. Et 116 milliards dans AGIRC/ARRCO. Et plein de milliards encore dans d’autres caisses de retraite.

Il s’agit d’un pseudo-déficit dont les causes sont multiples, notamment :

Par ailleurs, il ne faut pas oublier que dans les années 1950-1990, les CDI et les carrières longues prévalaient. Aujourd’hui, après les décennies de précarisation et d’uberisation de l’emploi, il est plus que temps, pour la protection sociale, de mettre à contribution le capital, via la taxation des dividendes, des transactions financières et des robots. Sans oublier qu’un autre partage du temps de travail permettrait une baisse du chômage, donc des cotisations supplémentaires.

« Pour les cadres à hauts salaires, ils auront la liberté, pour la partie de leur salaire supérieure à 10 000 euros, à des systèmes complémentaires par capitalisation, ... »

L’argent ne se stockant pas, les droits acquis en cotisant à des systèmes par capitalisation, sont seulement des droits de tirage sur le PIB, donc la production dans 40 ans. Dans l’ère de l’anthropocène, ni les économistes ni les banquiers ne peuvent prédire le niveau du PIB dans 30 ans. A l’ère de l’anthropocène, les systèmes par capitalisation sont plus que jamais un mirage.

Pour démêler le vrai du faux dans la communication gouvernementale, il est nécessaire de bien « Comprendre comment fonctionne notre système de retraites actuel - 82 diapos ».

Le système par points tel que proposé dans la réforme c’est la poursuite, pendant la retraite, des écarts de salaires insensés et incompatibles avec la sauvegarde de la planète. Il n’est de ce fait pas amendable, ... n’en déplaise aux dirigeants de la CFDT.

Alors, quelle réforme pour un système de retraite universel, plus simple, plus solidaire et donc plus soutenable ?

Il est tout à fait souhaitable de conserver une condition d’âge et une condition d’annuités. D’autant qu’elles ont déjà été uniformisées, sauf pour certains régimes spéciaux. Pour ceux-ci, une convergence progressive est nécessaire, dans le cadre d’un réexamen des bonifications d’annuités qui existent déjà pour de nombreuses professions, ou liées à la maternité. Les bonifications devant être réexaminées pour tenir compte de la pénibilité (dont travail de nuit, de WE, etc ...), de l’espérance de vie, etc ...

Pour le montant de la pension, différents modes de calcul plus solidaires, par tranche, mériteraient d’être étudiés. Par exemple, la pension pourrait être de « 75% du salaire moyen des 10 meilleures années » pour les salaires moyens jusqu’à 3 000 €. De « 70% du salaire moyen des 10 meilleures années » pour les salaires moyens entre 3 000 € et 6000 €, ... Jusqu’à « 50% du salaire moyen des 10 meilleures années » pour les salaires moyens de 8 000 à 10 000 €.

Il faut expliquer partout les énormes dangers de la réforme Macron/Philippe et s’y opposer par la mobilisation et la grève ... mais Si les directions syndicales n’appellent pas à la solidarité financière avec les grévistes, ça se terminera comme en 2010 et 2016


Lire l'article complet, et les commentaires