Quelques étymologies (2/2)
par ricoxy
samedi 5 avril 2025
Bien que les titres nobiliaires ne soient plus d'usage actuellement, ils sont connus de tous et sont encore employés, surtout dans certains pays étrangers. De toute façon, ils ont marqué des siècles avant la Révolution française, qui les a abolis – théoriquement. Nous allons continuer de les examiner.
Comte
Le comte était d'abord un compagnon. Mot issu du latin comes, comitis, venant de cum ire : marcher avec, et donc compagnon (1). Le comte était une personne attachée au service de quelqu'un (magistrat, personne haut placée…), puis habilitée à le représenter. Le mot va ensuite désigner des hautes fonctions militaires et de hautes dignités. Le comte était à la tête d'un comté. Le fromage comté doit son nom, lui, à la Franche-Comté. Ce n'est pas le roi des fromages, mais c'est un noble fromage.
(1) le mot compagnon est formé de cum (avec) + panis (pain) : c'est celui avec qui on mange le (même) pain. Cf. le mot copain, anciennement compaing, qui était le nominatif de compagnon.
Au-dessous du comte se trouve le vicomte (vice comte) qui peut prendre sa place.
Féminins : comtesse. vicomtesse.
Baron
L'étymologie est incertaine. On trouve en ancien français ber, baron : homme fort, vaillant, noble. Mais on trouve dans le dictionnaire latin de Gaffiot le mot baro, baronis qui signifiait lourdaud, balourd. On évoque aussi une racine germanique baro : porteur (cf. anglais to bear : porter), donc homme fort, homme puissant, puis noble.
Féminin : baronne.
Les Anglais on créé le titre de baronnet, qui est au-dessus du chevalier ; le baronnet a le droit d'être appelé Sir. Sir vient du français sire (seigneur), venant lui-même du latin senior : plus âgé, aîné.
Un fils de Donald Trump (le président moitié maquignon, moitié père Ubu) se prénomme Baron ; mais on ne s'adresse pas à lui en disant Sir. En fait Baron est une déformation d'Aaron, un prénom d'origine hébraïque, dont l'étymologie est douteuse, peut-être l'hébreu ’arôn : dont le nom est grand, haut placé, ou arche (d’alliance).
Lord
Faisons un tour chez "nos amis" Anglois. En Angleterre, les grands nobles sont appelés lords, féminin ladies. Le très sérieux dictionnaire de Meriam Webster donne de lord la définition suivante : quelqu'un qui détient pouvoir et autorité sur les autres (2) ; quant à son étymologie, tenez-vous bien, ce dictionnaire indique : (Mot du) moyen anglais loverd : lord, venant du vieil anglais hlaford : loaf keeper, gardien du pain ou garde-pain (3). L'étymologie est confirmée par Etymonline. Le vieux mot anglais hlaf (pain) serait en relation avec le mot russe хлеб (khleb) : pain.
(2) one having power and authority over others
(3) Middle English loverd : lord, from Old English hlāford, from hlāf : loaf + weard : keeper.
Pour lady, ce même dictionnaire Meriam Webster définit le mot ainsi : une femme avec droits de propriété ou autorité, spécialement en tant que personne féodale supérieure (4). Quant à l'étymologie, accrochez-vous : (mot du) moyen anglais, venant du vieil anglais hlǣfdige, de hlāf : pain + -dige (proche de dǣge : pétrir) : qui pétrit le pain (5). Le lecteur peut vérifier sur le Meriam Webster ou sur Etymonline (6), ça ne mange pas de pain. Alors, le premier lord et la première lady, c'était un couple de boulangers ? D'après les renseignements – sous toutes réserves – qu'a pu se procurer l'auteur, ce couple aurait habité Londres (London), "Baker street", la fameuse Baker street (rue du Boulanger) où vécut par la suite le célèbre Sherlock Holmès, immortalisé par Conan Doyle.
(4) a woman having proprietary rights or authority especially as a feudal superior.
(5) Middle English, from Old English hlǣfdige, from hlāf : bread + -dige (akin to dǣge kneader of bread).
(6) "one who kneads bread" : quelqu'un qui pétrit le pain
King
Le dictionnaire Meriam Webster indique comme étymologie : (mot du) Moyen anglais, venant du Vieil anglais cyning ; apparenté à l'ancien haut allemand kuning : roi. Vieil anglais cynn (qui voulait dire famille, race) (7). Allemand actuel König : roi, néerlandais koning : roi, suédois konung : roi, etc. En russe, cela a donné князь (kniaz) : prince, avec passage du 'g' à 'z'. Prince russe célèbre : Potemkine, l'amant de Catherine II.
(7) Middle English, from Old English cyning ; akin to Old High German kuning : king. Old English cynn.
Féminin : queen. Contrairement à ce qu'on pourrait penser, ce n'est pas une femme qui couine ; la racine est le vieil anglais cwen : femme, mot apparenté au grec ancien γυνὴ (gynê) : femme. Vieille racine indo-européenne *gwen : femme ; ce mot n'a rien à voir avec le mot breton gwen, qu'on retrouve dans le prénom Gwendoline par exemple, et qui veut dire blanc ou pur.
King est la transcription E.F.E.O. (École Française d'Extrême-Orient) des livres classiques de la littérature chinoise : le Yi King (le Livre des Mutations), le Tao Te King (le Livre de la Voie et de la Vertu), etc.
Tsar
Tsar (цар en bulgare, царь en russe, où le signe ь indique la "mouillure" du r) est un titre que portèrent les souverains bulgares. Le titre de tsar fut en effet d'abord porté par le roi Siméon de Bulgarie en 919 — en Russie, ce titre fut porté à partir de 1547, sous le règne d'Ivan le Redoutable ou le Terrible [ Иван Грозный : Ivan Groznyï — Ivan étant la lecture russe du prénom Jean ]). Tsar est l'altération de Cæsar : César, l'empereur romain (d'anciennes graphies notent czar). Cf. en allemand Kaiser.
Remarque : tsar n'est pas l'anagramme de star (étoile en anglais).
Féminin : tsarine ; mais en russe et en bulgare : tsaritsa (царица).
Quant au fameux titre Tsar de toutes les Russies, il s'agit d'une erreur de traduction ; dans le titre de Всероссийский Царь (Vsiérossiïkiï tsar, tsar de toute LA Russie), le mot все (vsié, ici en composition, signifiant tout ou toute au singulier) avait été compris comme un pluriel. Mais cela donne une note poétique au titre.
Boyard
Les aristocrates russes étaient appelés боярин (boyarin), en français boyards. Boyarin dérive de бой (boï) : combat. Les boyards étaient des combattants, des chefs militaires. Boyard est devenu par la suite un titre de noblesse.
Pour le serf, en russe on disait krepostnoï (крепостной), mot qui vient de крепость (krepost : forteresse), de крепкий (krepkii : ferme, solide) car les paysans russes étaient fermement attachés à la terre, sous l'autorité de leur seigneur, et ils ne pouvaient rien faire sans leur permission.
Esclave se dit rab (раб) en russe, mot qui vient d'une racine slave qui a donné en russe moderne le verbe работать (rabotat) : travailler. Tout le monde connaît le mot "robot", du tchèque robota : travail, corvée. qui dérive de cette racine. Quant au mot français esclave, en ancien français esclavon, il vient de l'altération du mot slave. Des peuples slaves, en effet, étaient en grand nombre réduits en esclavage dans les Balkans par les Germains durant le Moyen Âge. De là vint la correspondance : Slave = esclave.
Anecdote : beaucoup de gens se séparent en disant Ciao ! Ce mot est l'altération du mot italien schiavo, qui veut dire esclave, Se séparer en disant Ciao !, c'est, littéralement, dire : je suis votre serviteur, je suis votre esclave.
Les étymologies de beaucoup de titres nobiliaires indiquent en général quelqu'un de fort, de puissant, quelqu'un qui commande – un chef d'armée surtout. Ce n'est pas étonnant, car la notion de pouvoir est étroitement liée à la force (et aussi, on le verra, à l'emprise religieuse).
Il y a bien d'autres étymologies à étudier… par exemple celles de fonctions de la République, ou des prélats religieux ; mais ce sera pour une prochaine fois – si vous le voulez bien !