Qui a peur des conflits d’intérêts ?

par Marcel MONIN
mardi 5 avril 2022

 

Qui a peur des conflits d’intérêts ?

 

 Imaginons qu’un procureur ou qu’un juge d’instruction recherchent les infractions fiscales possiblement commises par une société, et indiquent à cette société ce qu’il faut faire pour ne pas se faire prendre.

Imaginons que des membres du Conseil d’Etat aillent rédiger des décisions pour des ministres et demandent à leurs collègues demeurés au Palais Royal de rejeter les recours dirigés contre les décisions en question.

Imaginons qu’un dirigeant d’une société dise à un candidat à la quête d’un poste pourvu par l’élection  : « Si tu fais ce qui m’intéresse, … je te fais ta campagne électorale » ; et / ou : « … quand tu quitteras tes fonctions je te donnerai une enveloppe ».

 

On dirait à l’imaginatif : « Ca ne va pas la tête ! Ce n’est pas possible ! ». « Il y a des lois sur la moralisation de la vie politique ! ». « Le code pénal prévoit des sanctions ! ». « Des contrôles existent ! ». « Il y a quand même des commissions de déontologie ! ». « Et pour le personnel politique, on a créé la Haute autorité pour la transparence de la vie politique ! Sans compter le rôle dévolu au Conseil constitutionnel ! »

 

Pas possible ? En réalité, c’est d’autant plus possible … que ça se fait ! (1)

Et à grande échelle. Alors les textes …. !!! Alors les contrôles … !!! 

 

Mais cela se fait d’une manière aussi astucieuse que simple : les situations d’où sortent les conflits d’intérêts (avec les incriminations pénales potentiellement attachées à ces comportements) se réalisent en deux temps.

Quand on touche ou que l’on bénéficie d’un avantage en nature (aide, clientèle, …), on n’est pas encore en fonctions. Ou on ne l’est plus (1).

De leur côté, les intéressés « saucissonnent » en général le processus. Exemples : « - rien n’empêchait des salariés d’une société de m’aider dans ma campagne électorale ; - quand, dans mes fonctions, j’ai décidé….j’ai fait contracter avec telle firme...., je l’ai fait en toute indépendance et dans l’intérêt général ; - quand je suis sorti de mes fonctions, rien ne m’interdisait de recevoir une rémunération ou un avantage dans une activité légale » Etc… (2).

Et voilà !

De leur côté, de nombreux médias donnent un coup de main, en tournant en ridicule les journalistes d’investigation qui mettent à jour les « scandales » qui pourraient impliquer les politiques que les propriétaires desdits médias soutiennent.

Et voilà !

 

Tout cela « marche » parce que les juges n’ont pas franchi le pas consistant à traiter ces conflits d’intérêts « à réalisation successive » comme les autres conflits d’intérêts.

Mais la situation est devenue telle qu’il se pourrait bien que les juges, ne craignant plus pour leur carrière, ne redoutant plus de subir l’opprobre de leurs collègues, réagissent. Comme cela se passe d’ailleurs généralement quand les puissants … ne le sont plus.

 

Attendons.

 

Marcel-M. MONIN

m. de conf. hon. des universités.

 

 

(1) En reprenant les paramètres décrits dans le premier paragraphe, chacun peut « s’amuser » à mettre des noms sur les situations décrites.

Remarque : On ose utiliser le terme de « corruption » quand ces mêmes mécanismes sont observés dans des pays tiers. Mais pas en France.

(2) on notera les propos du président de la République en exercice qui déclare en substance que ceux ne sont pas contents n’ont qu’à porter plainte contre lui. Les juristes apprécient l’astuce (qui pourrait cependant avoir un effet boomerang) : Dans la rédaction actuelle de l’article 67 de la constitution, une plainte serait en effet inopérante dans l’immédiat (*) . Mais attention cependant : les fonctions de président de la République ne sont pas éternelles (**) … !

(*) « Il / le président de la République/ ne peut, durant son mandat et devant aucune juridiction ou autorité administrative française, être requis de témoigner non plus que faire l'objet d'une action, d'un acte d'information, d'instruction ou de poursuite. Tout délai de prescription ou de forclusion est suspendu » ( art. 67 al 2).

(**) « Les instances et procédures auxquelles il est ainsi fait obstacle peuvent être reprises ou engagées contre lui à l'expiration d'un délai d'un mois suivant la cessation des fonctions » (art. 67 al. 3).


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