Qui est vraiment Patrick Jardin ?

par Nicolas Kirkitadze
mercredi 3 octobre 2018

Le plus terrible fléau qui puisse frapper des parents est la mort de leur enfant. Outre la déchirure qu'un père ou une mère ressent à la mort de cet être qui lui était le plus cher au monde, la mort d'un enfant avant ses parents apparaît aussi comme une entorse à l'ordre naturel : les parents sont censés partir avant les enfants et non leur survivre. A l'affliction et à l'incompréhension s'ajoute dès lors un sentiment de culpabilité chez le parent qui se figure presque comme un imposteur. Tous les hellénistes se rappelleront avec émoi la souffrance du roi Priam pleurant, serrée contre lui, la dépouille de son fils Hector terrassé par Achille aux pieds rapides. Une souffrance similaire assaille aujourd'hui un retraité sexagénaire français nommé Patrick Jardin dont la fille, Nathalie, âgée de 31 ans, a trouvé la mort lors de l'attentat du Bataclan où elle travaillait comme éclairagiste.

Ce monsieur, terrassé par la douleur, dit n'avoir plus qu'un seul but dans la vie : rendre justice à sa fille défunte. Aujourd'hui, il fait néanmoins polémique suite à certaines prises de position politiques. Deux jeunes femmes journalistes au Monde, Élise Vincent et Lucie Soullier, ont produit le 28 septembre dernier une enquête intitulée Après le Bataclan, un père sur le chemin de la haine. Un titre qui, dans notre société judéo-chrétienne sacralisant la souffrance, peut légitimement heurter la conscience de certains lecteurs.

Mais la seule question qui devrait nous animer après la lecture d'un article journalistique est : "ce que j'ai lu est-il vrai ou faux ?". Tout le reste n'est que fioritures. Or, entre les détracteurs de Patrick Jardin et ses adulateurs, personne ne prend la peine de se poser cette simple question. Nous allons tenter d'y apporter une réponse à travers cet article qui ne se basera que sur les faits et sur mon propre témoignage, ayant eu l'occasion de connaître ce monsieur bien avant que le destin ne lui ravisse sa fille.

L'article du Monde a fait grand bruit auprès du gotha de la natiosphère : RT France, SputnikNews, TV Libertés, Résistance Républicaine et Causeur (parmi des dizaines d'autres "médias") ont tenu à exprimer leurs critiques sur cet article qui leur semble une insulte à un père "dont le combat se situe dans une perspective de reconstruction et de vérité", dixit Pascal Célérier dans les colonnes de Boulevard Voltaire, tandis que l'avocat Régis de Castelnau se moque sur Causeur des "belles âmes" comme Antoine Leiris, ce jeune homme qui avait perdu sa femme au Bataclan et qui a par la suite écrit un livre émouvant intitulé Vous n'aurez pas ma haine. Nos consoeurs du Monde ont, quant à elles, essuyé nombre de commentaires sexistes et d'injures sans que ni Patrick Jardin, ni Bastié, ni Cluzel, ni d'Ornellas, ni aucune autre figure de la droite ne s'en émeuve. D'après une source de confiance, une plainte serait même envisagée contre les deux jeunes femmes.

Parmi les centaines de justiciers virtuels qui déversent leur bile sur ces femmes, combien ont réellement lu leur article ? On est en droit de se poser la question dans un pays où, d'après les statistiques, entre un tiers et la moitié des internautes ne lisent que les titres des articles avant de commenter. D'autre part, la lecture intégrale dudit article était réservée aux abonnés du Monde. Or, il serait étonnant qu'un électorat qui agonit ce journal et le qualifie d' "immonde" y soit abonné. Mais, cet article, que dit-il de si horrible pour que le ban et l'arrière-ban de la droite veuillent lyncher les auteures ?

Ne pouvant en reproduire la totalité par souci de droit d'auteur, voici le premier paragraphe dudit article : "Il est l’anti-Antoine Leiris. L’inverse de l’ancien journaliste qui ne cesse de crier que nul n’aura sa haine depuis la mort de sa femme, au Bataclan, le 13 novembre 2015. A 65 ans, Patrick Jardin partage la même douleur depuis qu’il a perdu sa fille de 31 ans, le même soir, dans le même attentat. Mais lui conserve sa colère de père. Il la revendique et la brandit, "incapable de pardon" au point qu’il assure avoir écrit à Antoine Leiris, auteur d’une longue lettre ouverte aux terroristes, Vous n’aurez pas ma haine, publiée ensuite chez Fayard. A ceux qui veulent bien prendre le temps de l’écouter, Patrick Jardin répète l’exact contraire : "Moi, j'ai la haine".

"Accusé, levez-vous !", c'est avec cette formule sardonique que Vera Mikhailichenko commente l'article de nos consoeurs du Monde. Une manière de dire que Patrick Jardin serait passé sur le grill d'un "tribunal médiatique", qu'il serait "accusé" de quelque chose. Un vocable persécutionnaire fort répandu à droite où nommer équivaut déjà à offenser : ainsi, dire qu'un homme ayant admis "haïr" les islamistes a la haine, c'est vécu comme une horrible stigmatisation. Non, personne ne fait de procès à M. Jardin : il est parfaitement libre de haïr les islamistes et on ne peut certainement pas le lui reprocher. Les journalistes n'ont fait que répéter ce que lui-même a publiquement déclaré. Rappelons qu'à l'instar des islamistes qui se disent "simplement musulmans", les nationalistes rejettent l'appellation d'extrême-droite pour se dire "simplement patriotes" : une rhétorique euphémique dont toutes les idéologies totalitaires sont coutumières.

Nulle insulte ou indécence envers M. Jardin dans l'article des Mmes. Vincent et Soullier. Elles ne font que rappeler les faits. Or, nul ne peut contester que Patrick Jardin s'est rendu le 23 septembre dernier au Cirque d'Hiver pour intervenir au VIème congrès du parti Debout La France ; qu'il était, deux jours avant, au congrès du parti dextrogyre SIEL et avec des responsables de la Ligue du Midi. Nul ne peut contester qu'il a publiquement admis sa "haine" des islamistes : on ne peut le lui reprocher, mais le fait est là. Nul ne peut contester qu'il a bel et bien écrit une cinglante lettre au journaliste Antoine Leiris qui avait déclaré "pardonner" aux islamistes qui avaient tué sa femme. Nul ne peut contester qu'il est intervenu à plusieurs reprises sur des médias clairement orientés à droite comme Résistance Républicaine, TV Libertés et qu'il entretient des relations avec des personnalités telles que Jean-Yves Le Gallou et Renaud Camus. Nul ne peut contester qu'il a été l'une des figures phares des manifestations ayant conduit le rappeur Médine à annuler son concert au Bataclan. De fait, toutes les affirmations des deux journalistes sont sourcées et vérifiables sur internet. Chacun aura son avis : certains désapprouveront cet homme, d'autres le comprendront voire l'applaudiront. Mais intimer à des journalistes de taire des faits sous prétexte que cela heurterait les petites consciences de quelques uns, n'est-ce pas justement agir comme les "belles âmes" que l'on moque ?

Certains reprochent à mes consoeurs d'en avoir trop dit dans leur article. Je leur reprocherais plutôt de n'en avoir pas dit assez, et de ne pas avoir suffisamment enquêté avant d'écrire leur article qui semble indiquer que Patrick Jardin est un citoyen lambda propulsé dans les rangs de l'extrême-droite par la mort de sa fille – argument qui est aussi celui de tous les médias et partis à côté desquels il s'est affiché : on l'y présente volontiers comme un homme apolitique poussé par la douleur sur le chemin de la justice – un Thomas Graven français, en somme. Or, cette affirmation est bien éloignée de la vérité.

Lorsqu'en mars 2015 je me présentai comme candidat FN aux élections départementales, ce monsieur était déjà actif sur les réseaux sociaux qu'il inondait avec des contenus typiques d'un sympathisant nationaliste : caricatures, articles de sites douteux, protestations contre la politique migratoire et la montée des incivilités – des contenus dont je partageais alors les valeurs, ce qui m'a amené à nouer un contact virtuel avec ce monsieur qui m'avait alors qualifié de "jeune bien informé" (dans le vocable de l'extrême-droite, cela signifie "un jeune candide bien endoctriné par notre propagande"). Il avait fréquemment commenté mes articles sur Riposte Laïque et Boulevard Voltaire, me reprochant néanmoins une trop grande modération dans mes opinions d'alors. Prémonition fatale, il avait déclaré à l'automne 2015 dans un commentaire sur facebook : "Ces raclures de merde viennent tuer nos enfants dans notre propre pays et ce gouvernement de salopards vendus laisse faire"… Le terme "raclures de merde" désignait-il les musulmans ou les islamistes ? Il déclare aujourd'hui n'avoir "rien contre les Musulmans", mais un tour sur son profil facebook suffit à voir que ces sujets l'obsédaient bien avant la mort de sa fille. Dans un statut posté le 11 novembre 2015 (soit deux jours avant le soir fatidique) il se lamente que la France ait gagné la Première Guerre mondiale "si c'était pour en arriver là" (sous-entendu : à une situation pire que l'invasion allemande).

Le décès de sa fille au Bataclan l'a évidemment dévasté et semble avoir contribué à radicaliser encore plus ses opinions politiques. Après une absence de plusieurs mois, il est reparu sur les réseaux sociaux peu après l'arrestation de Salah Abdeslam, dont le silence lui a semblé insupportable au point d'appeler les autorités françaises à recourir à la torture pour le faire parler.

C'est par la suite qu'il est devenu une figure de la natiosphère qui a fait de ce père meurtri un symbole d'une France "dont on assassine les enfants", pour reprendre la rhétorique de Jean-Yves Le Gallou qui l'a interviewé à plusieurs reprises. On l'a ainsi vu reprendre des rumeurs inventées par RT France selon lesquelles des victimes auraient été égorgées au Bataclan ou la rumeur qui affirme qu'une brigade de gendarmes serait intervenue pour exfiltrer un otage (ami proche de Manuel Valls) et laissé les islamistes achever les autres otages. Des rumeurs qui ne se basent sur rien, si ce n'est sur les déclarations de journalistes orientés. Aucun rescapé n'a confirmé de telles allégations mensongères.

Il prétend avoir contacté tous les partis mais n'avoir été écouté que par les mouvements de droite et d'ultra-droite, ce qui justifie selon lui ses apparitions à des meetings de partis tels que DLF et SIEL. Pourtant, il avait déjà fait parler de lui en refusant d'assister à l'hommage rendu par le président Hollande aux victimes des attaques, et en refusant la médaile des victimes de terrorisme que lui décernait l'Élysée. Il avait également rejeté la faute des attentats sur le gouvernement et sa politique migratoire et fustigé "les salopards bobos qui mettent des bougies et font des marches blanches". Enfin, il dit n'avoir été écouté par aucun "média mainstream", ce qui expliquerait sa présence sur les médias "alternatifs". Il a pourtant été interviewé par des médias tels que l'Express, France Inter et même France 2.

La colère de ce père meurtri peut-elle lui être reprochée ? Il ne nous appartient pas de juger. Peut-elle être comprise ? Assurément. Peut-on la nommer "haine" au risque de provoquer l'ire de TV Libertés qui s'étrangle que des journalistes du Monde aient pu utiliser ce mot ? Là encore, la question reste entière. Si l'on se base sur ses propres propos, Patrick Jardin a lui-même évoqué à plusieurs reprises sa "haine" publiquement, allant jusqu'à déclarer le 4 juin dernier : "J'aurais du mettre mon poing dans la figure de Valls".

Les propos de Patrick Jardin ne choquent pas autant que la campagne massive lancée par la natiosphère contre deux femmes qui ont simplement fait leur travail de journalistes en enquêtant. Cette hystérisation du débat public est révélateur du profond clivage : si ce monsieur était de gauche, ceux qui le soutiennent seraient les premiers à l'agonir, comme ils l'ont fait pour Antoine Leiris qui a osé pardonner aux assassins de son épouse. Ce qui en a fait un guignol, une chiffe-molle aux yeux de la fachosphère. "Cet homme est un lâche", tempêtait ainsi la réalisatrice catholique Cheyenne Carron, désireuse de remettre en marche la loi du talion, laquelle soutient aujourd'hui Patrick Jardin et qualifie d' "immonde" l'article de nos consœurs.

Antoine Leiris et Patrick Jardin. Ces deux hommes incarnent des attitudes et des valeurs opposées, ce qui en fait les victimes les plus médiatiques. Pourtant, 128 autres familles ont été endeuillées par ces attaques meurtrières. Quelle est leur point de vue ? L'association Life For Paris, fondée par des proches de victimes, avait refusé de participer à la manifestation anti-Médine organisée par Patrick Jardin, refusant "toute récupération politique". Pourquoi les médias ne leur tendent-ils pas le microphone ? Sans doute sont-ils bien trop simples, des citoyens qui n'ont ni la magnanimité de Leiris ni l'obstination de Jardin, simplement désireux que justice soit faite aux êtres qui leur étaient chers, loin de toute idéologie politique.


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