Quiproquo sur TF1 : Laurence Ferrari interviewée par le président iranien ?

par Paul Villach
jeudi 10 juin 2010

TF1 a diffusé au cours de son « 20 heures » de lundi 7 juin 2010 des extraits d’une bien curieuse interview du président iranien Mahmoud Ahmadinejad, réalisée par sa présentatrice Laurence Ferrari. Quand on interroge son entourage, en effet, pour savoir ce qu’il en a retenu, faut-il être surpris de l’entendre surtout parler du voile que portait la journaliste française au cours de l’entretien ?

Le devoir d’information, dit Mme Ferrari !
 
Aussi en vient-on légitimement à s’interroger sur les raisons qui ont conduit TF1 à programmer dans son journal du soir, à une heure de grande audience, une telle interview. Sans doute l’Iran occupe-t-il le devant de l’actualité, mais cela ne date pas d’hier. Son régime islamiste, les intentions belliqueuses de son président envers Israël, sa volonté d’acquérir la bombe atomique, ses élections contestées, la répression sanglante de l’opposition, l’affaire Clotilde Reiss sont autant de sujets qui n’ont pas cessé d’alimenter l’actualité depuis des années.
 
À en croire Mme Ferrari, qui a tenu à répondre à ceux qui ont été surpris de la voir ainsi déguisée, son aller-retour à Téhéran aurait été seulement commandé par « le devoir d’information (qui) prime sur (ses) convictions personnelles  ». Pourquoi pas ? Mais dans ce cas, quelle information d’importance était-il si urgent de recueillir de la bouche de M. Ahmadinejad, y compris en passant sous les fourches caudines de la République islamiste qui impose de manière humiliante à une femme de se voiler la chevelure en présence d’un homme étranger, et a fortiori devant le président iranien et la foule des téléspectateurs ? Qu’a donc rapporté dans son sac à main Mme Ferrari de si inédit en jouant ainsi les porte-micros du président Ahmadinejad ?
 
La variété de « l’information donnée »
 
Elle pouvait bien vouloir lui poser toutes les questions de son choix, elle ne pouvait l’empêcher de répondre ce que bon lui semblait, dans le droit fil de ce qu’on nomme « l’information donnée  » qui est cette information peu fiable car livrée volontairement par l’émetteur dans la mesure où elle sert ses intérêts ou du moins ne leur nuit pas.
 
Ainsi a-t-on pu apprendre avec bonheur que la libération de la jeune universitaire Clotilde Reiss n’avait été qu’un geste humanitaire, accompli à la demande du président brésilien Lula da Silva. Qui en doute ? Le renvoi en Iran, dans les jours qui ont suivi cette libération, d’ Ali Vakili Rad, l’assassin de Chapour Bakhtiar, ex-premier ministre du chah d’Iran, n’est évidemment en rien une monnaie d’échange mais le fruit du hasard ! On a entendu également avec surprise M. Ahmadinejad estimer que la récente attaque par Israël de la mission navale humanitaire en faveur de Gaza était un acte « inhumain et abject  » qui devait être traduit devant un tribunal. On ne l’aurait pas cru de sa part ! Pouvait-il dire autre chose ?
 
Tout ce transport à grands frais de Mme Ferrari et de son équipe à Téhéran pour ne recueillir aucune information inédite pose donc problème. Un reporter mâle à tête découverte n’aurait-il pas pu aussi bien faire l’affaire pour rapporter pareilles banalités ?
 
Une hypothèse : des travaux pratiques sur l’islamisme
 
On est donc conduit à avancer une hypothèse puisque, à entendre les personnes qu’on interroge, l’information essentielle retirée de cette interview vient moins du président Iranien que de Mme Ferrari, comme si les rôles avaient été inversés : Laurence Ferrari était voilée et ça faisait bizarre et ridicule !
 
On découvre une fois de plus la pertinence du paradoxe de Mac-Luhan : « Le médium est le message  ». Selon une de ses interprétations, l’apparence de l’émetteur l’emporte sur ses paroles : la grâce d’une jolie fille rend sourd par exemple aux inepties qu’elle peut proférer. Peu importent ici les déclarations du président iranien qui n’a d’ailleurs rien annoncé de particulier, mais répété des ritournelles cent fois ressassées ! En revanche, il les a chantées devant une femme française voilée par obligation dans son pays alors qu’en France, elle apparaît sur les écrans tous les soirs de la semaine sans voile, tête découverte. Et les téléspectateurs n’ont eu d’yeux que pour ce spectacle insolite et odieux.
 
N’était-ce pas, en fait, la seule information qu’il s’agissait de transmettre aux 8 ou 9 millions de téléspectateurs ? Voyez l’horreur de ce régime qui asservit les femmes ! Car c’est une chose de voir des photos d’iraniennes voilées, c’en est une autre de découvrir avec stupeur ce que pourrait devenir un pays comme la France si la mythologie islamiste venait un jour à imposer sa loi : on verrait Mme Laurence Ferrari apparaître à l’écran la chevelure couverte. On est tenté de voir dans cette interview une forme de travaux pratiques préventifs, dans un contexte intérieur français où, faute d’un consensus républicain, le gouvernement a décidé d’interdire par une loi la burqa sur tout l’espace public. 
 
Est-il meilleure réponse à donner, en effet, aux arguments saugrenus de toutes sortes qu’inventent de prétendus défenseurs des droits de l’homme pour tolérer la burqa en France, Conseil d’État en tête ? Que dira-t-on le jour où l’on verra Mme Ferrari et ses consoeurs affublées de cet instrument d’asservissement féminin sur la tête avec tout le barda de croyances et de relations humaines archaïques qu’il symbolise ? 
 
Si l’hypothèse qu’on avance est la bonne, on comprend mieux dans ce cas l’explication donnée par Mme Ferrari : « Le port du foulard, a-t-elle dit (et non du voile ou de la burqa) est obligatoire en Iran, qui est une république islamique. (...) Le devoir d’information prime donc sur mes convictions personnelles  » (1). La pose sacrificielle est sans doute ici un peu emphatique mais exigée par le leurre du quiproquo de l’opération d’influence. On suppose, en effet, que la comédie à laquelle Mme Ferrari s’est prêtée, n’a pas été trop pénible si ce qu’elle nomme « le devoir d’information » sur le voile islamiste n’est pas étranger à ses « convictions personnelles ». Paul Villach
 
(1) Le Monde.fr, 8.06.2010.
 
 

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