Racisme sans frontière...

par VICTOR Ayoli
vendredi 30 décembre 2016

Le e-magasine « Tunisie Numérique » relate un fait divers sanglant qui donne une image désolante de ce pourtant si sympathique et si courageux pays, la Tunisie.

« Le 24 décembre 2016, trois congolais (un jeune homme et deux jeunes femmes) se sont faits agressé au niveau du Passage à l’arme blanche par un tunisien. Le jeune homme a pu s’en sortir avec quelques blessures au bras droit grâce à sa veste qui l’a protégé. Les deux jeunes femmes ont été bien moins chanceuses puisque l’une est actuellement en réanimation tandis que l’autre, gravement blessé au couteau au niveau du cou et du visage, est entrée dans le coma. » …/… (suite de l'article ici

Cette agression est largement commenté par l'excellent magazine africain « Jeune Afrique » qui publie des témoignages édifiants sur le racisme subi par les Noirs au Maghreb. Qu'on en juge :

Paul Laurent Nyobe Lipot, 24 ans, étudiant camerounais à Sfax :

« Étudiant en génie pétrolier dans une école d’ingénieurs à Sfax, je suis également vice-président de l’association des étudiants et stagiaire camerounais en Tunisie (AESCT) et je souffre malheureusement régulièrement d’actes, d’agressions et de paroles racistes à cause de ma couleur de peau. Ceux-ci peuvent aller de l’injure publique (« guira-guira » en référence au singe, « kahlouch » qui signifie « noir » au sens péjoratif, et j’en passe) à l’humiliation (pincement du nez pour signifier qu’on sent mauvais, moqueries gratuites, refus de s’asseoir à côté « du noir », des chauffeurs de taxis qui ne veulent pas faire monter de noirs, etc.)

Un matin, alors que j’allais en cours, des jeunes sur une moto se sont mis à m’insulter. Habitué à ces mots, je n’ai pas daigné répondre aux provocations. Ils sont alors revenus vers moi et m’ont lancé des œufs pourris. Je n’ai pas eu la force d’aller en cours ce jour-là… Et ce racisme se fait aussi parfois ressentir dans le domaine de la santé. Un jour par exemple, j’ai dû conduire une jeune étudiante camerounaise dans un centre spécialisé pour interrompre une grossesse non désirée – l’interruption volontaire de grossesse est légale en Tunisie depuis 1973. Les médecins ont refusé de lui prescrire des pilules abortives pour la simple raison qu’elle n’était pas, je cite, « arabe ».

Tout cela nous donne l’impression d’être des sous-hommes en Tunisie. Il est affligeant d’entendre les Tunisiens parler de l’Afrique comme si la Tunisie était un pays non-africain, ou de percevoir encore l’Afrique subsaharienne comme une zone de pauvreté dans laquelle les habitants n’ont aucun pouvoir d’achat. Loin de moi l’idée d’accabler tous les Tunisiens, et je garde aussi de bons souvenirs de l’hospitalité avec laquelle j’ai été accueilli, je suis fier d’apprendre auprès de ce peuple révolutionnaire.

Aujourd’hui, la Tunisie a le courage de prendre le problème au sérieux et la société civile agit pour tenter de faciliter notre intégration. La récente réaction du gouvernement est à louer, car il a enfin décidé de rompre avec la pratique du mutisme. Mais beaucoup reste encore à faire… »

Imen Guenich, 21 ans, étudiante tunisienne à Tunis :

« Ma couleur de peau n’a jamais représenté un handicap pour moi, mon quotidien ressemble à celui de toutes les jeunes Tunisiennes de mon âge. On me prend par contre souvent pour une étrangère. Plus petite, je subissais les moqueries de mes camarades de classe sur ma couleur de peau. Je sentais bien que j’étais différente et je trouvais cela injuste. Je reçois aussi parfois des réflexions et des surnoms désagréables dans la rue.

Mais avec le temps, je m’y suis habituée et j’ai même appris à en rire. Cela m’a poussé à constamment m’interroger : pourquoi le Tunisien a-t-il une image unidimensionnelle de la Tunisie ? Pourquoi, avec mes cheveux frisés et ma peau ébène, je ne peux représenter la beauté tunisienne ou arabe ? La lutte contre la discrimination raciale est principalement une lutte contre des mentalités individuelles et collective (société civile, médias, État). L’État doit d’ailleurs intervenir en premier lieu au niveau de l’éducation, car je me souviens d’ « Amadou », l’unique personnage noir des manuels scolaires désigné comme un « Africain »… comme si la Tunisie faisait partie de l’Union européenne !

La Tunisie doit pénaliser la discrimination raciale car aujourd’hui encore, au nom du racisme, des personnes agressent, volent, braquent, insultent, humilient et ségrèguent des personnes compétentes qui ont du mal à pratiquer certains métiers comme animateur télé ou hôtesse par exemple. »

On peut lire l'intégralité de l'article ici :

Au fait, en France, la personnalité préférée des Français, c'est Omar Sy et avant lui ça a longtemps été Yannick Noah.

 

Illustration : Merci à Titouan Lamazou

 

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