RAISON contre INTELLIGENCE

par Jacques-Robert SIMON
samedi 23 mai 2020

La Raison permet de démontrer que Dieu n’existe pas, elle permet aussi de démontrer qu’il existe, elle permet d’être de droite, d’être de gauche, d’être chaste, d’être pornographe, d’être courtois, d’être brutal… L’intelligence ne le peut pas.

 La Raison et l’Intelligence, bien que souvent confondues, représentent pourtant deux façons antagonistes d’utiliser un même réseau de neurones.

 Un raisonnement cartésien consiste à trouver quelles causes découlent de quels effets à l’aide de principes logiques. Les démonstrations mathématiques fournissent un tel exemple. Un raisonnement part d’axiomes (présupposés ou propositions non démontrées) pour aboutir à une conclusion considérée comme vraie.

 À titre d’exemple :

 Si a est plus grand que b alors a/b est supérieur à 1

 Les programmes (algorithmes) qui permettent d’utiliser les ordinateurs suivent le même cheminement : à chaque étape (ou ligne) l’ordre donné ne peut pas être ambigu, ne peut pas laisser place à une quelconque interprétation. En langage Fortran, un ordre est ainsi donné :

 IF (a < 5) GOTO 8 : si a est plus petit que 4, aller à l’adresse 8

 Le transistor d’un ordinateur ne connaît que le vrai ou le faux, le zéro ou le un et banni les nuances et les peut-être. La Raison humaine est censée faire de même. 

 Hors les mathématiques, dans la Nature, les choses ne sont pas si simples : tout dépend de presque tout et trouver les relations d’une seule cause à un seul effet est hors de portée. Tous les aspects possibles du réel ne peuvent pas être tenus en compte lors du déroulement d’un raisonnement. La Raison se réfugie alors dans un cadre intellectuel, une idéologie, une croyance, les dogmes d’une secte et elle se détermine à chaque étape en fonction de la véracité ou de la fausseté d’une proposition en fonction de ce que prescrit le cadre adopté. En d’autres termes, on utilise la Raison pour prouver rationnellement ce que l’on postulait comme vrai dès le départ. Les raisonnements permettent de justifier l’idéologie qu’on a adoptée, rarement d’en changer. L'art de la discussion montre que des logiques parfaitement rigoureuses peuvent coexister dans un même réel et que seul le talent des orateurs permet de les différencier, la vérité n’a rien à y faire. La Raison trouve une pleine application pour faire des machines, des barrages, des cellules solaires, des poudres à laver mais elle n’est que la manifestation de tentatives de domination pour ce qui concerne les débats entre humains.

  L’Intelligence (animale ou artificielle) a peu à faire avec la Raison.

 Il est possible de découper assez arbitrairement le cerveau en différentes zones. Le cerveau reptilien, le plus ancien, contrôle les comportements instinctifs et régule les besoins primitifs (manger, boire, copuler). Le système limbique est lié aux motivation développées avec la vie sociale. Ces ‘deux cerveaux’ interagissent avec le néocortex qui traite les informations. 

 L’intelligence d’un cerveau réside dans le nombre, la nature, la force des liens entre neurones. Le patrimoine génétique fournit une partie du schéma d’organisation du cerveau, mais ce n’est pas la seule source. Le poids du cerveau de l’enfant triple entre la naissance et l’âge de cinq ans et les 9/10ème des circuits du néocortex sont élaborés après la naissance. L’inné et l’acquis sont donc intimement imbriqués et démêler leurs contributions respectives est difficile voire impossible. À la naissance, le bébé ne peut que pleurer ou crier. Vers un an, il différencie des sonorités comme beau et pot, vers 2 ans il peut utiliser de l’ordre de 300 mots, à 3 ans il commence à faire des phrases complètes. À chaque étape, l’enfant s’entraîne en observant, imitant, échangeant avec ses parents. Ensuite, la parole va devenir un art oratoire, un moyen de séduction, une arme de conquête. Lorsque le cerveau apprend les neurones se transforment, leurs connections s’affinent et se multiplient, des réseaux s’organisent, se réorganisent. La méthode n’a rien de rationnelle elle est pour l’essentiel empirique, basée sur l’observation, l’expérimentation, la raison n’intervenant que pour relier des ilots d’informations pour en faire des connaissances.

 Un réseau de neurones artificiel peut être utilisé pour, par exemple, apprendre à un logiciel d’ordinateur à reconnaître des objets ou des animaux. Un grand nombre d’objets d’une même catégorie est alors présenté au réseau de neurones. L’ordinateur reconnaît (ou pas) un nouvel objet en le comparant aux images précédentes. La méthode est entièrement empirique même si beaucoup de mathématiques sont impliquées pour écrire les programmes adaptés.

 Les Hommes sont intelligents avant que d’être mus par la Raison. Mais alors pourquoi la Raison évince-t-elle presque toujours l’Intelligence ?

 Un savoir empirique ne se communique pas ou mal : il n’y a pas de règles fortes et intangibles que l’on peut transmettre aisément par les livres ou la parole. Pour l’acquérir il faut imiter le maître et devenir apprenti. Le savoir empirique peut être riche, novateur, créatif mais il est difficile de l’épandre largement sur de larges territoires, quasi-impossible à utiliser pour unir de larges populations. La Raison peut elle faire tout cela, car ses racines sont dans la domination.

 La Raison ne sert pas (ou presque jamais) à chercher la vérité, elle sert à fédérer les énergies d’une plus ou moins grande multitude afin de la rendre plus forte, plus visible que les autres, elle sert à imposer ses vérités pourtant forcément fausses. Les idéaux en « –isme », dérivés de toutes les raisons possibles, fleurissent dans tous les domaine : en politique, en économie, en littérature, en peinture et même en philosophie : idéalisme, positivisme, stoïcisme, structuralisme, matérialisme, existentialisme, scepticisme, cynisme, pragmatisme, humanisme, féminisme, utilitarisme…

 Les tenants d’un –isme combattent férocement les fanatiques des autres –ismes avec cette rage que peuvent avoir ceux qui sont convaincus d’avoir raison. Les gens intelligents, conscients de la complexité du réel, doutent. Ils observent, s’évertuent à comprendre et plus ils réfléchissent plus les faibles certitudes qu’ils pensaient avoir se dissolvent. N’avoir que des doutes à offrir à ceux qui s’approchent de vous peut vous valoir quelque estime personnelle mais certainement pas la puissance, la force d’un groupe de zélateurs. Et la plupart des gens préfèrent haïr la vérité en groupe que la chercher seuls. Le sage restera donc solitaire le plus souvent, même admiré il n’aura aucune prise sur la réalité.

 Les lois consacreront une des raisons possibles, les insignifiances du quotidien seront formalisées et l’Intelligence sera tuée !

 


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