Rallye raide

par LM
lundi 16 janvier 2006

Janvier, mois des rois mages, des fèves, et des chemises beiges pour Gérard Holtz et ses amis, Dakar oblige. L’édition 2006 ne déçoit pas : déjà trois morts.

Cette année, la Dakar fêtait un anniversaire : les vingt ans de la mort de Thierry Sabine, un des fondateurs de l’épreuve, et de Daniel Balavoine, chanteur humanitaire, tous deux tués dans un crash d’hélicoptère, quelque part près des dunes. Et cette année, comme à peu près toutes les années, le Dakar, pas encore fini, a connu son lot de drames.

Drame « sportif » d’un côté, avec la mort d’un concurrent, un motard, et drame « social » de l’autre, avec la mort de deux enfants, fauchés par des bolides. Le Dakar est un rallye parsemé de cadavres. Oh, bien sûr, d’autres rallyes, sur route ceux-ci, connaissent des drames, des spectateurs fauchés, des pilotes tués, mais ces rallyes-là, comment dire, n’ont pas ce doux parfum d’escroquerie propre au Dakar. Car cette course n’a jamais fait l’unanimité.

Trop irrespectueuse de l’environnement, avec les déchets laissés par la caravane des suiveurs, avec les carcasses des véhicules accidentés laissées en proie au sable, trop irrespectueuse des populations visitées, aussi, qui ne profitent en rien de la maigre exposition médiatique consécutive au passage du cirque publicitaire. Balavoine avait eu l’idée de joindre le sportif à l’humanitaire, d’apporter de l’aide à des populations placées pour une fois sous les projecteurs. C’étaient des pompes à eau, à l’époque.

Aujourd’hui, qu’est-ce que le Dakar apporte à l’Afrique ? Quelques reportages mielleux, commentés par un Patrick Montel déguisé en Gérard Holtz, ou le contraire, et puis c’est tout. Est-ce qu’une épreuve sportive est censée permettre de venir en aide à des peuples mal lotis ? Non, en théorie. En pratique, et vu l’époque actuelle, quand on utilise un terrain de jeu tel que l’Afrique, on se doit peut-être de mettre les formes, d’accompagner le déroulé publicitaire d’un peu de tact, d’un peu d’intelligence, d’un peu d’humanité. Au lieu de cela, on assiste chaque année au même bilan, à la même absence de retenue, à la même indifférence affichée, sauf pour les paysages.

De toute façon, sportivement, que vaut le Dakar ? Moins qu’une victoire dans le championnat du monde des rallyes. Pas grand-chose, en fait, si ce n’est pour certaines marques l’assurance de vendre quelques 4X4 supplémentaires, qui viendront rugir d’un feu rouge l’autre, entre deux embouteillages, dans nos cités sans dunes. Non, sportivement, le Dakar ne vaut pas grand-chose.

Certes, il faut beaucoup de volonté, parfois de courage, un peu de talent pour venir à bout des dunes, des trous, des cailloux et de je ne sais quel mirage. Mais si Johnny peut le faire, après tout... Médiatiquement, le Dakar ne vaut pas grand chose non plus. Audiences minables pour France Télévisions, présentateurs égarés dans des Timberland d’un autre temps et des déguisements indignes d’une pub pour Camel... Il faut les voir, nos Tintin du service public, chevauchant fièrement quelques troncs d’arbre bien tombés, ou bien au pied d’un bimoteur rêvant d’Indiana Jones, ou encore le cheveu artificiel agité par un terrible vent du désert comme on n’en trouve que dans le désert des programmes de France 2. Il faut les entendre, ces Bob Morane d’opérette, nous raconter comme on murmure des contes ancestraux, comment Luc Alphand a passé la nuit, le pauvre, à réparer son véhicule en piteux état.

Le plus emblématique des ces journalistes « envoyés spéciaux » est bien sûr Gérard Holtz, indéboulonnable inventeur d’ « événements » de « belles images » et « d’instants d’émotion ». On se demande presque si le Dakar n’a pas été maintenu juste pour donner du boulot aux journalistes sportifs de la chaîne, qui sans ça, devraient attendre le dimanche et Stade 2 pour montrer leurs nouvelles chemises Ralph Lauren. A carreaux. Non, vraiment, à quoi sert le Dakar ? Cette course vit-elle encore ? Même les stars n’y vont plus. Elle ne rapporte plus rien en bénéfice d’image.

Et puis, quelles images, de toute façon ? Des prises de vue, toujours les mêmes, de voitures lancées à toute blinde dans des étendues désertiques, sans doute magnifiques, sans doute magiques à pied, mais qui ne sont que nuages de poussière dans le sillage d’une voiture. Même Paris a préféré se désolidariser de la course, qui n’est plus que Dakar.

Dakar, course sombre comme la mort, qui a déjà tué deux gosses intrigués sans doute par ces fous du volant couverts de marques inconnues pour eux, des marques de cigarettes, de concessionnaires automobiles, de pétroliers, de compagnies d’assurances. De l’hébreu, sans doute, pour ces gamins. De toute façon, peu importe, ils sont morts. Avalés par ces colons qui ne font que passer, vite, pressés de ne pas perdre de temps, de ne pas « chuter » au classement général. Ah, le classement général, avec ses écarts d’une heure, deux heures, trois jours...

Non, le Dakar ne sert à rien. C’est une course égoïste, inutile et vulgaire. C’est comme une Coupe du Monde de foot en Corée, ou des Jeux Olympiques à Pékin. C’est le sport, avec ses prétendues « valeurs », qui navigue en eaux troubles, qui passe l’éponge sur l’essentiel pour se focaliser sur un superflu douteux. C’est des morts, et ceux qui dansent dessus... Et ce sera pareil l’an prochain, entre deux frangipanes, les Holtz Boys redeviendront beiges.


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