Realpolitik : chiche ?

par phiconvers
mercredi 12 décembre 2007

Les autorités françaises se seraient converties à la realpolitik pour aller chercher la croissance jusqu’aux chiottes s’il le faut. Je ne vais pas refaire ici l’inventaire des complaisances internationales récentes et à venir. Au fait, bienvenue Mouammar...

La France - patrie des droits de l’homme, phare des nations, petite flamme des opprimés de par le monde, notre prieur (il serait mesquin de parler de président) n’a-t-il pas dit « l’idée que je me fais de notre pays, la France, c’est que, chaque fois que quelqu’un est injustement opprimé, ce quelqu’un-là devienne Français immédiatement » - reviendrait-elle à un pragmatisme qu’elle aurait oublié au gré de ses masturbations idéologiques aussi ridicules que vaines ?

Rien n’est moins sûr... Les longues harangues prétentieuses de nos dirigeants face à un monde prié de se pâmer devant tant de vertu devraient se poursuivre. Ce qui n’empêchera pas le président comme ses prédécesseurs de draguouiller des apprentis démocrates particulièrement bouchés. Et tant pis pour les esprits chagrins qui butent sur l’extrême subtilité de ce messianisme admirable.

La realpolitik m’est fort sympathique, pourvu qu’elle soit modeste et bien assumée. L’Etat n’est en effet pas une référence morale. Il a pour vocation d’appréhender puis de défendre les intérêts des citoyens qu’il sert. Donc, l’existence de relations mutuellement bénéfiques avec la Chine, l’Algérie ou même la Libye ne me pose pas de problèmes de principe, à quelques conditions près :

1/ Cessons vite nos leçons de vertu et laissons-les à nos voisins allemands par exemple, en espérant très fort que, pour leur part, ils renonceront au business avec tous les voyous qui peuplent la planète.

2/ Malgré l’appât du gain immédiat (rendu bien tentant par le rythme de la démocratie), soyons capables de réfléchir à une stratégie efficace dans le long terme.

3/ Appliquons notre nouvelle lucidité en France et en Europe.

Je m’explique. Que veulent dire 20 milliards d’euros de contrats avec la Chine ? Ne devrait-on pas plutôt parler de 20 milliards d’euros de chiffre d’affaires pour des entreprises multinationales ayant leur siège dans l’Ouest parisien pour la plupart ? L’Elysée aurait-il le pragmatisme (et l’honnêteté) de nous dire ce qui restera en France de ces 20 000 000 000 d’euros après les transferts de technologies, les compensations diverses et variées, notamment la délocalisation d’une chaîne d’assemblage de nos Airbus ? Seront-ce des ouvriers français grassement payés aux conditions de l’expatriation qui monteront les cheminées des réacteurs nucléaires vendus ? Et, dans dix ou vingt ans, qu’est-ce qui manquera à la Chine pour concurrencer Airbus ou Areva ? Aurait-on l’orgueil insensé de considérer que nous sommes structurellement plus ingénieux que les petits hommes jaunes ? C’est ainsi que l’on se rassure à bon compte en envisageant de conserver ad vitam aeternam une avance technologique d’une dizaine d’année sur ces foutues faces de prune tout juste bonnes à nous copier...

Moi, je crois que ces contrats illustrent un sauve qui peut généralisé, destiné à prolonger pour encore quelques années nos illusions. Il y a donc deux options commandées par la realpolitik, celle-là même que redécouvre miraculeusement le gourou du pouvoir d’achat.

La première est de nous jeter à corps perdu dans la mondialisation. Plus de frontières, un marché de 7 milliards de bipèdes (plus quelques centaines de millions d’unijambistes, mais il ne faut pas parler des choses tristes, d’autant que l’on pourra bientôt faire un diagnostic prénatal de ceux qui pourraient avoir la foutue idée de sauter sur une mine et les empêcher de naître). Wouah ! Quelques pré-requis quand même, que je vous laisse deviner si vous considérez qu’un ouvrier chinois gagne environ 150 euros par mois... Une tentation est nettement perceptible, consistant à importer une main-d’œuvre, la fameuse immigration choisie, qui serait capable de bosser à notre place à des tarifs internationalement concurrentiels. Y a-t-il quelqu’un ici pour penser que ces courageux combattants de la mondialisation accepteront de payer notre confort, nos 35 heures, nos retraites, nos allocs, nos services publics subventionnés ?

La deuxième, qui a ma préférence, consiste à nous rappeler que l’Union européenne est aujourd’hui la région du monde qui pratique les tarifs douaniers les plus bas au monde. En d’autres termes, nous considérons comme un grave péché tout ce que les gardiens du Temple jugent relever du protectionnisme. Et pourtant, je ne vois pas comment l’on peut imaginer conserver une industrie compétitive en Europe sans la protéger par une certaine dose de protectionnisme, que celui-ci passe par les taxes douanières ou par des commandes publiques inspirées de la préférence européenne et/ou nationale. Il y a là matière à des articles futurs. Il ne s’agit pas de nier la concurrence et de générer la médiocrité protégée, mais de comprendre que la concurrence sans conscience n’est que ruine de l’âme (et de l’Europe)...

Notre intérêt collectif à commercer avec le vaste monde est plus complexe qu’il n’y paraît. Il s’agit en effet de vendre plus que nous achetons, ce qui suppose de cultiver une compétitivité unique et indiscutable, de protéger cette compétitivité ainsi que les modes de vie que nous nous sommes choisis. Et les grands contrats de M. Sarkozy ne me paraissent pas résoudre cette équation complexe. Il s’agit plutôt d’une grande braderie des bijoux de famille.

Pour ce qui concerne la contribution de la France à l’assainissement progressif du monde, je crois qu’il faut s’en remettre à la responsabilité individuelle. C’est à vous et à moi qu’il revient, chaque jour, de réfléchir à la façon dont nous pourrons fermer nos yeux, au terme de notre vie, sans avoir à faire le terrible constat de notre insensibilité au malheur des autres. Pas à l’Etat. Vive l’initiative individuelle, l’audace, le courage et la prise de responsabilité. Et que cesse la morale bancale d’un Etat par essence amoral.

Et, pour conclure, il est dommage que la France, cinquième ou sixième puissance économique mondiale, se sente obligée de faire des risettes à Kadhafi, qui vient de légitimer une nouvelle fois le terrorisme après l’avoir pratiqué à l’encontre de nos ressortissants. C’est anticiper un peu trop vite sur notre déclin.


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