Réconcilier l’électeur et le politique
par romain
lundi 19 février 2007
A l’issue du scrutin des présidentielles, une minorité va accéder au pouvoir et, derrière son président, va gouverner au nom de tous. En quoi la manière dont le futur pouvoir prendra en compte la diversité des forces politiques est-elle un élément clé de la campagne ? Face à la cohésion apparente de la droite présidentielle, l’appel du centre à dépasser certains clivages accessoires rencontre actuellement un écho favorable, notamment auprès d’un électorat de gauche modéré. En effet, explique ce point de vue, la méthode politique centriste, qui accorde une place centrale à la concorde nationale, serait la mieux à même de provoquer un renouveau démocratique durable.
Réconcilier les Français et la classe politique à l’occasion de l’élection présidentielle : le plus important de nos rendez-vous politiques. Il se pourrait que cet enjeu soit déterminant pour l’issue de la campagne. A cet égard, la première erreur serait de minimiser l’importance du diagnostic : le système a beau fonctionner, le malaise démocratique est profond. La seconde erreur serait de ne pas voir les circonstances favorables qui se profilent, attendues par les Français depuis plusieurs élections pour accomplir un nouveau tour de force dont ils ont le secret, reprendre la main face au pouvoir.
A chaque élection, le peuple prononce un verdict pour résoudre le problème politique majeur auquel il fait face, indiquant au pouvoir la marche à suivre. Dans le cas de l’élection présidentielle, qui s’inscrit dans une série, ce verdict est la synthèse d’une problématique orientée vers le passé, qu’il s’agit de juger, et d’une autre tournée vers le futur, qu’il s’agit de prescrire. D’une part, le peuple répond au pouvoir : ce dernier a-t-il exercé de façon satisfaisante le mandat qu’on lui avait accordé pour résoudre le problème énoncé par la précédente élection ? D’autre part, le peuple confie au pouvoir son mandat : tenant compte de la réponse à la première question, il formule un nouveau problème principal à résoudre, et il nomme la personne chargée de se faire l’écho de ce problème collectif pour que des solutions politiques lui soient apportées. A la présidentielle, il ne s’agit en somme que d’élire le meilleur traducteur de la voix du peuple et son plus fidèle serviteur. Qui parle le mieux en son nom pendant la campagne, parvenant le mieux à énoncer son problème politique majeur ? Et sera-t-il le mieux placé pour aider à sa résolution ?
Il a fallu attendre l’issue du premier tour de l’élection présidentielle de 2002 pour que la traduction de la question politique du jour s’impose brutalement à tous, simple comme bonjour, annulant toutes les autres : que devrait-il se passer si un candidat non démocrate se retrouvait au second tour de l’élection présidentielle ? Elire le candidat démocrate, a interprété le Président élu, pour faire ensuite ce qui est bon pour le pays. Faux, s’apprête à trancher cinq années plus tard le peuple qui, majoritairement, ne votera pas pour le camp du président sortant.
L’électeur et le politique ont des moyens de se comprendre, mais ils ne parlent pas exactement la même langue. La tentation du pouvoir, celle de l’homme politique, est humaine, vraiment très humaine, c’est celle qui consiste à vouloir imposer son interprétation contre la réalité, à vouloir faire coïncider lorsqu’ils divergent son intérêt propre et la volonté des électeurs, plurielle par définition, et toujours un peu confuse. Reformulons la question déjà posée en 2002 à laquelle le pouvoir en place n’a pas su répondre, qui reste aujourd’hui fondamentale et d’actualité.
Le rappel à l’ordre démocratique
Second tour des élections présidentielles, nous sommes en 2002, le peuple se recentre sur ses fondamentaux, plébiscitant le candidat de droite qui est alors opposé au candidat d’extrême droite. Après quoi, forte d’une majorité insensée aux législatives, injure à la représentativité nationale, la droite a gouverné, et sans démériter parfois. Son drame actuel est le suivant : elle a été elle-même incapable d’associer à sa gouvernance la majorité des Français - loin s’en faut - qui l’avait portée massivement au pouvoir, ni même de s’ouvrir au centre. Elle a fait ce qu’elle pensait bon pour le pays mais a puisé toute ses solutions dans son seul camp, impuissante à se hisser à la hauteur du geste de ses électeurs. Ce faisant, elle s’est bien naïvement sacrifiée pour les prochaines échéances présidentielles, celles de 2007. Car après avoir caricaturé à souhait des oppositions humiliées auxquelles elle n’a pas donné voix au chapitre avec sincérité, elle encourt des reproches impossibles à lever dans une démocratie mûre : suffisance, complaisance, repli sur soi. Le plébiscite qui était à la base de son accession au pouvoir a révélé le profond contresens de ce type de gouvernance.
C’est la donnée incontournable de la campagne : parce qu’il faut redonner du sens à notre régime démocratique, et donc croire pour notre élection la plus importante en une cohérence minimale entre le vote et la politique qui en découlera, les Français ne doivent pas voter pour la droite. Cette dernière hérite nécessairement du bilan du dernier mandat exercé en solitaire. Elle ne mérite pas de palme supplémentaire pour avoir mésusé de trop nombreux pouvoirs. Quoi qu’elle dise ou espère, du rassemblement, elle n’a que la posture. Son talent, ses appuis auprès des puissants, son avance hypothétique n’y changeront rien à l’heure des urnes : parce qu’ils ne le doivent pas, les Français ne voteront pas pour elle. Le rappel à l’ordre démocratique, irrépressible, ne souffrira aucune ambiguïté. La question du jour - y en a-t-il de plus urgente ? - est donc la suivante : jusqu’à quel point le pouvoir de la minorité qui accède au pouvoir peut-il être imposé à la majorité ?
La gauche alambiquée
Les Français devront choisir, donc, ailleurs que dans la droite actuellement au pouvoir, la personne la plus à même de panser la blessure démocratique révélée lors de la précédente présidentielle. On commence à le comprendre, en 2002, au second tour, il ne s’agissait pas d’une question de débutant mais d’une question exigeante, la plus exigeante de toute en démocratie, celle de la bonne utilisation par le pouvoir du pouvoir qui lui est confié. La ligne blanche a été franchie : il ne suffit plus d’imposer l’assentiment à l’intérieur de son camp ni de créer des rancœurs persistantes au-delà. La destination du pouvoir n’est pas de servir les seuls intérêts de la minorité qui l’exerce au nom de tous. Aussi saura-t-on bientôt si nous sommes prêts collectivement à répondre à cette problématique avec des moyens qui reflètent une plus grande maturité politique qu’auparavant.
La gauche, avec des atouts, de la pluralité, n’est pas idéalement placée pour y répondre. Elle est aujourd’hui, pour beaucoup, informe, illisible, incohérente. Au pouvoir, elle restera divisée en alignant à son tour des décisions prises dans son seul camp. Elle souffrira de demeurer pour le meilleur et pour le pire le double négatif de la droite : la moindre apparition de l’un des camps fait se hérisser l’autre camp, sans compromission possible. Néanmoins, si les Français tiennent à respecter la bipolarité surannée de la vie politique française, ils pourront se prononcer pour cette solution conservatrice à la grande question de l’élection, en élisant la gauche au pouvoir. Elle incarnera alors une alternance de principe, sanctionnant la droite. On peut même présumer que cette gauche-là saura faire preuve de dignité politique. Cependant, si les Français sont résolus à imposer un tournant à la vie politique française telle qu’elle est appliquée et vécue depuis trop longtemps, ils reprendront la main face au pouvoir, à travers une option plus hardie. Ils savent le faire, l’Europe en sait quelque chose.
La voie du centre
On peut l’espérer, il ne s’agit pas pour cette élection à l’enjeu si particulier de voter à gauche parce qu’on ne doit pas voter à droite, mais de voter, s’il existe, pour le camp qui dira ceci : on va se donner les moyens de gouverner en associant le maximum de forces, y compris des forces que beaucoup s’échinent à penser comme antagonistes ou contradictoires. Pourquoi cela marcherait-il, que se rejoignent sur l’essentiel des hommes et femmes de bonne volonté, d’horizons différents mais formant une majorité, appuyée par un vote légitime ? Parce que le désir de se rassembler est plus fort aujourd’hui que le désir de s’opposer. Parce que certains convaincront une majorité que rassembler dans son seul camp uniquement ne peut pas et ne doit pas suffire en 2007.
Ce camp existe. Pourquoi, pour une fois, ne pas voter pour le centre ? Bayrou est-il la personnalité politique la mieux placée pour conclure ce pacte pour un renouveau démocratique et républicain avec les Français ? La rencontre idoine des électeurs avec Bayrou, un mouvement populaire avec cet homme, peut-elle avoir lieu ? A chacun de vérifier en conscience d’ici à l’élection s’il symbolise la réponse à la question posée par l’élection. Les moyens de s’informer, anciens et modernes, ne manqueront pas pour se faire une idée juste. Si le mouvement vers la réconciliation des Français avec le politique se révèle la lame de fond que peu de monde avait vu venir, Bayrou, qui a su le premier et mieux que les autres nommer le malaise démocratique actuel, ne ratera pas ce rendez-vous avec l’histoire. Auquel cas la situation politique sera absolument inédite et riche de promesses. Car en votant demain pour la volonté de concorde, ce sont la dignité du politique et la volonté de mieux vivre ensemble qui pourraient après-demain reprendre un ascendant sur les contraintes économiques et les dérives du pouvoir.
L’hypothèse Bayrou au second tour
Bayrou au second tour, qu’est-ce que ça changerait ?
Déjà, cela revient à dire Bayrou président... Car opposé à la candidate de gauche, il sera préféré par l’électorat de droite, et opposé au candidat de droite, il sera préféré par l’électorat de gauche. Fort de ses fondamentaux, il sera inattaquable au centre par le camp qui lui sera opposé, et bénéficiera également d’un effet repoussoir dirigé contre son rival, homme de droite ou femme de gauche. Faites le test dans votre entourage : si nous avions un second tour de l’élection présidentielle réunissant, au lieu des deux, les trois candidats les plus forts du premier scrutin, de troisième Bayrou finirait premier à l’issue de l’élection.
Un centriste au second tour, cela ferait une différence considérable avec la situation où l’on a un extrémiste de droite au second tour. Dans ce dernier cas, le candidat démocrate réunit une majorité écrasante avant tout née du rejet de l’extrême, et peut n’en faire qu’à sa tête une fois en place. A l’opposé, si Bayrou est au second tour, il sera tenu d’emblée et sans ambiguïté de réunir des démocrates des deux camps, prêts à faire des concessions, déterminés à partager l’essentiel, s’il veut battre le camp des démocrates préférant l’isolement dans leur seul camp. Elu, il serait alors idéalement placé pour réaliser après l’élection cette politique de concorde dont nous avons toujours soif, qu’imposait le dernier suffrage et que la droite a été incapable de mener.
Et il faut bien peser les conséquences de ce scénario contraire : Bayrou, qui ne passe pas le premier tour, arrive troisième. Bon troisième, mais troisième. Bien. Second tour. Un président est élu qui aurait été battu s’il avait été confronté au troisième. Sera-ce un résultat démocratique optimal ? Oui, si l’on se contente du climat politique de ces dernières années.
A l’inverse, quel symbole pour la démocratie ce serait que cette victoire du centre ! De voir par l’exemple que le mésusage du pouvoir sera sanctionné par le peuple, quoi que fassent les puissants pour masquer les insuffisances dont ils seront tenus pour responsables, de voir également que la minorité qui accèdera au pouvoir sera celle qui apporte les gages les plus crédibles pour rassembler au-delà de son seul camp. Le voilà le supplément d’âme que les électeurs peuvent offrir à la République, l’introduction d’une obligation de résultat enjointe à nos présidents sur un point fondamental, le contrat de concorde maximale passé avec les Français au moment de l’élection. Voter pour Bayrou en 2007 pourra enfin rendre explicite pour tous et pour l’avenir cette règle implicite du vote dans une démocratie moderne.
Le contrat de concorde
Il n’y a pas d’autre moyen pour rendre à la majorité future sa légitimité que de la voir s’ouvrir à des mouvements divers, plus représentatifs de la pluralité sociale, ce que saura faire Bayrou. Il composera une équipe de gouvernement prometteuse, réunissant des personnalités des deux bords ayant une stature et une compétence indiscutables, bien au-delà des membres de son parti. Ce dernier était hier minoritaire et dans une situation bancale, catalogué à droite, incapable de réunir, ni à droite ni -encore moins- à gauche. Demain, le centre rénové, fort de son mandat populaire et renouvelé en profondeur grâce aux législatives qui suivront la présidentielle, recueillera les fruits de son indépendance actuelle. Il invitera à demeure les talents, de droite et de gauche, de gauche et de droite, prêts à faire le saut en faveur de ce projet de nouvelle concorde nationale. Et puis les élections législatives transformeront cette caisse enregistreuse de validation automatique à la botte du pouvoir qu’est devenue l’Assemblée nationale en un lieu plus représentatif de la diversité française, plus à son écoute, où se créeront à nouveau des synthèses audacieuses.
En outre, plus tard, ce centre-là pourrait devenir un nouveau centre gauche, de nouvelle génération, irréductible à l’actuel. En tout cas dans l’hypothèse où ce serait la droite actuelle qui gagnerait contre la gauche ses galons d’opposition principale à l’équipe en place. Car à la droite du centre désormais au pouvoir, l’opposition des sarkozistes actuels, solidaire par KO technique, même groggy, restera la plus nombreuse et la plus cohérente, et l’extrême droite n’aura pas été diluée tant que les causes qui la nourrissent n’auront pas été attaquées de front, notamment la question sociale des inégalités qui montent, scandaleuses, et la question du trouble identitaire, délicate. On en viendra fatalement à penser que le pays est gouverné au « centre gauche », à ceci près que les positions des conservateurs modérés, l’ancienne UDF oblige, et c’est souhaitable, ne seront pas écartées, au même titre que celles des rénovateurs. Dans cette hypothèse, la droite actuelle, héritière du chiraquisme, pour l’instant soudée par la poigne de Sarkozy, sera incapable de briguer la position du centre droit à court terme. Pour revenir sur le devant de la scène elle devra passer par les affres par lesquelles passe la gauche actuelle, il est donc possible qu’on ne la revoie pas de sitôt, et pas avant qu’elle n’ait fait une mue honorable. Chacun jugera alors s’il veut donner crédit au « j’ai changé » des girouettes... Est-ce à dire que ce contrat de concorde maximale passé entre l’électeur et le politique fera jurisprudence pour les prochaines élections ? Que les successeurs de ce gouvernement précurseur de la manière nouvelle d’assumer le pouvoir politique auront passé l’arme au centre s’ils veulent accéder au pouvoir ? Si oui, on s’en félicitera si l’on est démocrate. Car des changements, même radicaux, sont possibles, mais pas sans l’assentiment de la majorité, pas sans la médiation du centre. La démocratie demain sera médiatrice et vive si elle ne veut rester terne et déceptive.
On n’en est pas encore là ! Pour l’instant, on va assister à la montée en puissance de Bayrou, et donc, détails et séquences de campagne, au ralliement des uns, issus de la droite actuelle mais surtout de gauche, et à la défection des autres, qui préfèreront se rallier à la droite sarkoziste plutôt que de tendre la main à des démocrates de gauche ; après quoi on verra les uns et les autres douter raisonnablement, changer d’avis pour certains, confirmer leur choix pour d’autres, et tous se demander ce qui se passe d’inédit, si la question est bien posée, et ce sera le vote, souverain...