Réflexions barbares sur la question des retraites

par Sylvain Etiret
lundi 31 mars 2008

Restons simples !

On nous bombarde de solutions radicales ou palliatives pour régler les difficultés présentes et, pire, à venir, de notre couverture retraite. Dans ce contexte, et pour tenter une approche pragmatique éloignée des préjugés dogmatiques, un petit retour au bon sens ne serait-il pas bienvenu ? Bien sûr, cette réflexion n’est pas le fruit d’un spécialiste du sujet. Mais après tout, dans la mesure où on tente de nous en expliquer les tenants, les aboutissants, les solutions envisageables, on suppose bien que ce débat nous concerne et doit être accessible à notre compréhension, voire à nos suggestions d’assujettis sociaux citoyens.

Ainsi qu’en est-il ?

Notre système de retraite est basé sur le choix, dit système de répartition, de la solidarité entre les générations, les actifs finançant à un instant donné les pensions des retraités.

Le montant disponible à répartir entre les retraités est donc fonction, à un instant donné, du nombre de retraités, du nombre d’actifs cotisants, et du montant que chaque actif affecte à la caisse commune.

Examinons ceci point par point.

Le nombre de retraités dépend lui-même d’une part de l’espérance de vie et d’autre part de l’âge de départ en retraite, ainsi que de la proportion de ceux quittant la vie active et sollicitant le versement de pensions de retraite - proportion généralement estimée à 100% - ou éligibles à ce versement. A noter que cette décomposition s’appuie sur le choix implicite d’une définition de la retraite comme allant de la cessation d’activité à la fin de la vie. Le choix d’une définition plus explicite, incluant un âge de cessation de retraite ou une durée maximale de service des pensions, ajouterait un facteur nouveau avec la fixation de cet âge ou de cette durée pour la fin de la retraite.

Le nombre des personnes actives dépend naturellement de la définition du statut d’actif, donc de la définition du travail, ainsi que de la définition du statut de personne.

Le montant que chaque actif affecte à la caisse commune des retraites dépend de l’assiette de ses biens sur laquelle ce prélèvement est effectué ainsi que du taux de prélèvement qui y est appliqué.

Le problème actuel qui nous est présenté tient dans le déséquilibre du système antérieur produit par l’augmentation de l’espérance de vie, elle-même responsable d’une augmentation du nombre des retraités donc des pensions à verser, au regard d’une évolution non parallèle et insuffisante du total des ressources affectées au service de ces pensions.

Dans ce contexte, en bonne arithmétique et sans laisser le raisonnement se voir entraver par quelque tabou que l’urgence de la situation ne paraît plus permettre, examinons de quelles façons pourrait être modulé chacun des paramètres en jeu pour rétablir l’équilibre entre les ressources et les dépenses, les premières devant être augmentées et/ou les secondes devant être réduites.

D’abord la réduction des dépenses. Elle ne peut à l’évidence être atteinte que par la réduction du nombre de retraités ou par la réduction du montant des pensions qui leur sont attribuées. Examinons chacune de ces deux options :

- La réduction du nombre de retraités peut elle-même passer par quatre voies : la réduction de l’espérance de vie, l’augmentation de l’âge de départ en retraite, l’incitation au renoncement à la perception des pensions après cessation d’activité, ou la réduction de l’éligibilité à la perception des pensions. La réduction de l’espérance de vie peut découler de multiples facteurs aisément ajustables : réduction de la couverture des soins, développement d’une éthique du non-soin solidaire, développement de l’auto-médication et de toute pratique à risque, légalisation d’une euthanasie de fin de vie d’autant qu’on sait le coût social par ailleurs prohibitif des dernières années de vie, facilitation des conditions du suicide (encore que sur ce point, le risque serait une incitation des personnes en situation de cotiser à cette pratique, incitation qui serait alors éminemment contre-productive). L’augmentation de l’âge de départ en retraite est le paramètre évident habituellement évoqué, sur lequel il est donc inutile de revenir ici. L’incitation au renoncement à la perception des pensions est de fait le levier le plus délicat à manier, si ce n’est par le développement d’une pratique, éventuellement appuyée sur un socle religieux revivifié, de la frugalité, du monachisme, de l’ascétisme, des vocations d’ermites ; la réflexion reste sur ce point cependant ouverte. Le dernier facteur, visant à la réduction de l’éligibilité à la perception des pensions, s’obtient simplement en augmentant la durée de cotisation nécessaire à l’éligibilité à la retraite. Dans le cadre d’une définition que nous avons appelée explicite de la retraite incluant un âge de fin de service des pensions, ou une durée maximale de service des pensions, s’ajouterait la possibilité de réduire cet âge ou cette durée maximale.

- Le montant des pensions peut, quant à lui, être diminué par une révision à la baisse du système de calcul du taux de remplacement du revenu d’activité en revenu de pension : à titre d’exemples par réduction du taux de remplacement, par calcul sur la moyenne des revenus sur l’ensemble de la carrière ou sur la base du revenu dans la profession en début de carrière, par une dégressivité du taux avec l’avancée en âge tenant compte de la diminution des besoins avec l’âge (réduction des besoins liés à la mobilité, diminution physiologique de l’appétit...), par la limitation du système de pension de réversion après veuvage aux seuls conjoints survivants n’ayant constitué aucun droit propre à la retraite, par la suppression du système de la pension de réversion au bénéfice de la création d’une obligation pour tout conjoint de se constituer des droits à retraite propres, éventuellement par la création d’un salaire intrafamilial entre le membre du couple percevant des revenus et celui qui en dépend durant la vie active du couple. Le montant des pensions peut aussi être diminué par sa dévalorisation simple : une dévaluation de la monnaie, ou une inflation suffisante, permettent une diminution de la valeur de la pension sans qu’il soit nécessaire de rogner son montant brut. Enfin, le recadrage de la notion d’assurance retraite sur sa nature assurancielle et en particulier sur le fait qu’elle puisse désormais viser à assurer un montant plancher de revenu de remplacement, éventuellement soumis à condition de ressources, serait également de nature à en réduire le coût.

Ensuite l’augmentation des ressources. Elle ne peut, encore à l’évidence, que venir de l’augmentation du nombre des personnes actives ou de celle du montant que chaque actif affecte au financement des retraites. Examinons encore chacune de ces deux options :

- L’augmentation du nombre de personnes actives peut bien entendu passer par une réduction du chômage. Un autre levier classique est le recul de l’âge de la retraite, qui augmente autant le nombre de personnes classées parmi les actifs qu’il réduit le nombre des retraités. Mais elle peut également résulter de l’extension de la notion de personne et/ou de celle de personne active, donc de la notion de travail. Ainsi, une personne peut être physique mais également morale, et la prise en compte des personnes morales dans la population cotisante permettrait d’aller dans le sens recherché. De même que l’intégration de la population d’enfants en âge scolaire dont les résultats de leur travail scolaire (et le mot travail n’est pas ici innocent, témoignant bien de la nature « active » de l’activité qui les occupe - on pourrait à ce propos réfléchir à la nature de ce travail obligatoire et non rémunéré de manière codifiée qui leur est imposé) sont l’occasion d’une certaine gratification, d’enfants percevant un argent dit de poche en rétribution de taches domestiques... Les retraités eux-mêmes ne peuvent être récusés de la notion de personne ni de celle d’ « actives » comme en témoigne leur participation à diverses « activités » (clubs de 3e âge, garde des petits-enfants...) et, du fait qu’ils perçoivent une prestation retraite, sont reconnus financièrement dans ces activités par la société. La contribution des retraités aux cotisations retraites serait d’ailleurs pleinement justifiée en cohérence avec la proposition évoquée plus haut d’une limitation de l’âge maximal de fin de retraite après lequel d’éventuelles prestations viendraient en règlement de droits afférents à un système d’assurance « post-retraite » souscrit durant la période de retraite. Une extension plus large encore à la population hors frontières produisant des biens importés sur le territoire national serait de même pleinement justifiée dans la mesure où la non-production de ces biens sur le territoire est un manque à gagner dans l’activité économique du pays et serait soumis à cotisations retraites s’ils étaient produits localement : une part du montant de ces importations justifierait donc de droits transfrontaliers affectables au service des retraites.

- L’augmentation du montant que chaque actif affecte au financement des retraites s’assoit sur la hausse du taux des cotisations retraites et/ou sur l’élargissement de l’assiette sur laquelle ces cotisations sont prélevées. La hausse du taux est un levier trop classique pour qu’il soit nécessaire de s’y appesantir. L’élargissement de l’assiette peut concerner l’ensemble des revenus. Il est également possible de l’étendre au capital dans la mesure où la simple justice sociale se contenterait de s’adapter à la règle naturelle et à l’évidence d’observation qu’un capital persistant à la date du décès n’a plus vocation à subvenir aux besoins réduits subitement à zéro de son propriétaire et que donc cet excédent, s’il avait pu être mieux réparti avant ce terme, aurait pu alimenter la caisse commune des ressources sociales. Enfin, la hausse du montant affecté au financement des retraites peut provenir d’un accroissement de la valeur des revenus des cotisants à quantité de travail donnée, par exemple par l’évolution de la population des actifs vers des activités plus rémunératrices (hausse des salaires à qualification constante, augmentation de la qualification, orientation de l’activité économique vers des secteurs à forte valeur ajoutée).

Malgré son apparence un peu rébarbative et quelque peu technique, cette réflexion met ainsi en évidence divers aspects ordinairement négligés qui mériteraient débat et approfondissement. La principale limite de cet examen de la situation est bien entendu son caractère purement qualitatif. Une analyse quantitative et chiffrée des effets des différents ajustements évoqués permettrait sans doute une précision accrue dans la compréhension des mécanismes en cause et dans le choix des solutions les plus rentables. Ce serait là la place des experts de nous éclairer sur ce tableau chiffré de la situation.

Pour peu que l’on s’astreigne à une approche à la fois systématique et décomplexée, le problème du financement des retraites recèle ainsi des possibilités d’action bien plus nombreuses que ne le laisse supposer le discours ambiant, lequel se centre uniquement sur les trois seules variables de l’âge de la retraite, du nombre d’années de cotisation, et du montant des cotisations. Certaines sont immédiatement applicables au prix d’une négociation sociale minimum. D’autres engagent des « valeurs » dont le retournement dans la société nécessiterait probablement un travail de conviction à plus long terme. C’est pourtant toute la grandeur et la noblesse de la politique que de présenter à la société les choix qu’elle doit affronter et de la guider vers les voies permettant de les surmonter.


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