Réflexions sur le système de santé algérien

par GHEDIA Aziz
jeudi 27 juin 2013

Introduction /

Le moins qu’on puisse dire est que le système de santé algérien, tel qu’il est aujourd’hui, commence à montrer des signes évidents d’essoufflement. Dans l’imaginaire collectif, l’hôpital, quelle que soit sa dénomination, hospitalo-universitaire ou de santé publique, est devenu synonyme de mouroir. Lorsque, forcé, on s’y rend, la hantise de tout un chacun est de revenir chez soi, à sa famille et à ses amis, non « pas sur les pieds mais les pieds devant ». Cette dernière expression n’est point dictée par un pessimisme exagéré sur notre système de soin, caractérisé ces derniers temps par un mécontentement généralisé de tout le personnel y faisant partie, mais c’est celle que l’on entend souvent dans les salles d’attentes et les couloirs de nos infrastructures sanitaires. Mais cette image dévalorisante de l’hôpital (d’une façon générale) vu comme moribond, agonisant, par bon nombre d’algériennes et d’algériens exprime-t-elle vraiment la réalité ? Répondre par l’affirmative serait de l’ingratitude vis-à-vis d’un personnel tant médical que paramédical qui, malgré tout, essaie de répondre, par des moyens de diagnostic et thérapeutiques souvent limités, aux besoins de nombreux malades. En revanche, dire que tout va bien dans le meilleur des mondes serait considéré comme un mensonge grossier, une façon de cacher le soleil avec un tamis pour reprendre une expression typiquement algérienne. Certes, il y a beaucoup de carences, beaucoup d’insuffisances tant sur le plan humain qu’infrastructurel et matériel mais cet état de faits est possible d’être amélioré de façon substantielle pour peu qu’il y’ait une volonté politique de le faire. Voilà pourquoi il nous a paru nécessaire au sein de notre parti politique, JIL JADID, de revoir de fond en comble le fonctionnement de ce système, de répertorier ses failles et, in fine, de proposer une autre manière de gestion beaucoup plus efficace sur le plan médical et beaucoup plus rationnelle sur le plan économique. S’il est vrai que « la santé n’a pas de prix », il ne faut pas oublier non plus qu’elle a un coût.

 

Mais avant d’entrer dans les détails, définissons d’abord ce que l’on entend par « santé ».  

Selon l’OMS (organisation mondiale de la santé) « La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en l’absence de maladie ou d’infirmité ». Cette définition, émise en 1946, n’a jamais été modifiée. Jusqu’à l’heure actuelle, elle fait consensus et ce quel que soit le système de santé auquel on a affaire. Elle est à la fois simple et logique.

Mais peut-on, en se basant sur cette définition, dire que c’est le cas, en Algérie, de toute la population ? Loin s’en faut. Car, si au Nord du pays, les villes bénéficient d’une couverture sanitaire satisfaisante et sont même « hyper médicalisées » pour certaines d’entre-elles (cas de la wilaya de Bordj-Bou-Arreridj, par exemple), dans les grandes contrées du Sud il reste beaucoup à faire. Beaucoup de lacunes à combler. Les populations du Sud sont contraintes parfois de faire des centaines de Km pour une simple consultation. Ou alors, dans le meilleur des cas, elles sont prises en charge, localement, par des médecins « importés » de certains pays amis (les fameuses missions médicales) qui ignorent tout de la réalité socio-économique de ces populations. D’aucuns pourraient peut-être penser que c’est sciemment (donc avec une arrière pensée politique) que nous sommes entrain de brosser un tableau sombre de notre système de santé. Ou alors que nous sommes frappés d’une sorte de « daltonisme » consistant à ne pas pouvoir discerner non pas entre le rouge et le vert mais entre le noir et le blanc. Rien de tout cela. C’est en tant que médecins praticiens que nous essayons de porter un regard critique sur notre système de santé. Et c’est, encore, en tant que médecins directement concernés par les problèmes de santé qui se posent à nos concitoyens que nous voulons procéder à un travail d’évaluation le plus précis et le plus objectif possible de notre système de santé. Sans démagogie ni esprit partisan. Cela est d’autant plus vrai et nécessaire que ce travail va servir de document de base à notre parti politique, Jil Jadid, pour la confection de son programme politique. 

Par ailleurs, toujours selon l’OMS, « un système de santé englobe l’ensemble des organisations, des institutions et des ressources dont le but est d’améliorer la santé ».  

En Algérie, l'organisation du système national de santé repose, effectivement, sur un ensemble de structures administratives et techniques, établissements spécialisés et organes scientifiques et techniques. Selon des informations que nous avons pu trouver sur un site internet, ce système se présente comme suit :

- Administration centrale
- Structures spécialisées autonomes 5 Régions Sanitaires avec 5 CRS (Conseils Régionaux de la Santé) et 5 ORS (Observatoires Régionaux de la Santé)
- 48 DSP (Directions de la Santé et de la Population - Une direction par wilaya)
- 185 Secteurs Sanitaires 13 CHU (Centres Hospitalo-Universitaires)
- 31 EHS (Etablissements Hospitaliers spécialisés)
- SAMU-Algérie
- Comités Médicaux Nationaux
- Conseil de Déontologie Médicale (Conseil de l'ordre)
- Conseil National de l'Ethique en sciences de la santé
- Sociétés savantes
- Syndicats et associations professionnels.

Mais avant de voir en détail tous ces éléments, il nous paraît très utile de faire un petit rappel historique.

Historique /

Au lendemain de l’indépendance de l’Algérie, en 1962, on ne comptait que quelques médecins pour une population de plus de dix millions d’habitants. Les indicateurs sanitaires étaient au rouge. La malnutrition sévissait partout. La mortalité infantile était pratiquement de 180‰. Les maladies à transmission hydrique (choléra, fièvre typhoïde) et les maladies contagieuses telles la tuberculose pulmonaire sévissaient à l’état endémique et faisaient des ravages. Pour y faire face, les pouvoirs publics de l’époque avaient, malgré des ressources limitées, pris des décisions courageuses. La vaccination de tous les enfants, par exemple, avait été rendue obligatoire. Dans les écoles primaires, les cantines assuraient aux élèves une ration calorique suffisante leur permettant d’échapper à la malnutrition.

QUELQUES ANNEES APRES, soit en 1974, on instaura la gratuité des soins. D’autre part, afin de combler le déficit en nombre de médecins algériens, on démocratisa l’enseignement supérieur et on encouragea les bacheliers en « série scientifique » à opter pour des études médicales (médecine, chirurgie dentaire et pharmacie). On pourrait peut-être croire que cette politique visant la quantité se faisait au détriment de la qualité. Que non. C’est grâce à ces médecins, formés dans les années 70 et 80, que le système de santé algérien, malgré tout le mal qu’on pourra dire de lui, continue à fonctionner plus ou moins correctement et à prodiguer des soins parfois de haut niveau aux malades algériens. La raison en est simple. Elle découle du système éducatif dont avaient bénéficié ces médecins-là. Il n’était pas encore arabisé à 100 pour cent.

N.B / Une mention particulière doit être faite, ici, à propos du système éducatif tant décrié par tout le monde, enseignants comme enseignés et parents d’élèves. Nous pensons sérieusement qu’il aurait fallu garder « le butin de guerre » qu’est l’enseignement de la langue française, et ce, à tous les paliers de l’enseignement. Il y a actuellement comme une aberration entre le fait de claironner que l’Algérie est le deuxième pays francophone et la régression quasi générale des élèves algériens en matière de langue française. Il n’est pas exagéré de dire que l’arabisation, imposée dans les années 70, n’a pas été pensée sérieusement et nous sommes actuellement entrain de récolter les fruits amers de cette décision politique qui fait que les cohortes de diplômés formés par nos universités, ces dernières années, éprouvent de grandes difficultés à communiquer et à s’insérer dans le monde du travail, particulièrement en ce qui concerne le domaine de la santé où l’usage du français est encore répandu pour ne pas dire que c’est la langue de travail par excellence.

Fermons cette parenthèse et revenons aux problèmes de la santé. 

L’instauration du service civil obligatoire pour les médecins ayant terminé leur cursus universitaire aurait du permettre de réduire les inégalités régionales. Or, sur le terrain, il n’en est rien. Le problème c’est qu’une fois sur place, ceux-ci rencontrent des difficultés parfois insurmontables tels que la non disponibilité de logement, le salaire non motivant, surcharge de travail pour certaines spécialités (chirurgie et gynécologie-obstétrique, par exemple). Tout cela est décourageant et fait qu’à la fin du service civil la plupart des médecins, établis dans ces régions pour une longue période ou définitivement, optent pour l’installation à titre privé. Il est vrai que nous ne disposons pas de statistiques pouvant corroborer ces faits mais c’est une réalité que rapportent tous les médecins que nous connaissons et qui vivent à l’intérieur du pays. 

Dans l’esprit de certains responsables d’alors et de beaucoup de citoyens, il s’agissait-là d’« acquis révolutionnaires irréversibles ». Sauf que, depuis ce temps-là, beaucoup d’eau a coulé sous le pont et les acquis de la révolution sont tombés les uns après les autres, sous l’effet des injonctions du FMI d’abord (auquel nous avions eu recours au plus fort de la crise économique de 1986) et de l’économie de marché ensuite. 

La crise financière de 1986, due à la chute du prix du baril de pétrole, a eu un impact négatif sur toute l’économie algérienne ce qui a conduit les pouvoirs publics à se désengager de certains secteurs, notamment la santé, et à entrer, progressivement, dans une phase de libéralisation de l’économie. C’est ainsi que le secteur médical privé s’est vu renforcé par l’ouverture de cliniques privées sur pratiquement l’ensemble du territoire national, et ce, au détriment du secteur public comme nous le verrons plus loin. 

Par ailleurs, il faut dire que la décennie noire (1990- 2000) a encore compliquée les choses en poussant de nombreux médecins algériens à l’exil. Ainsi, rien qu’en France, le nombre de médecins algériens qui y exercent est estimé à plus de 8000. Pourtant, pour leur formation, l’Etat algérien a dû débourser des sommes faramineuses. « Pour preuve, ainsi que le rapporte l’agence Novopress, le cri d’alarme de l’ordre des médecins en Algérie qui assiste, impuissant, à l’exode de ses confrères vers l’étranger – et notamment la France, où « 6.000 médecins algériens, toutes spécialités confondues, exercent actuellement  ». Un flux dont la source n’est pas près de se tarir, car, chaque année, des centaines de médecins algériens viennent grossir les rangs de leurs compatriotes installés sur le sol français. Un constat d’autant plus préoccupant que, selon Mohamed Bekat Berkani, président du conseil national de l’Ordre des médecins en Algérie, «  les médecins auraient une utilité certaine pour le développement du système de santé en Algérie ».

 Qu’en est-il aujourd’hui ?  

Aujourd’hui, la situation sanitaire du pays est caractérisée par de grandes disparités régionales tant du point de vue des structures sanitaires que des ressources humaines. Alors que dans les années 1980, par exemple, plusieurs structures hospitalières modernes ont été réalisées et livrées « clés en main » par des sociétés étrangères, il est regrettable de constater qu’aujourd’hui aucune réalisation d’envergure en matière de santé n’est, à notre connaissance, inscrite dans le programme du gouvernement actuel. Et si aujourd’hui, le transfert du président de la République, en France, au Val de Grâce, pour une pathologie qualifiée par son médecin traitant de bénigne (AVC minime), soulève des commentaires indignés sur les réseaux sociaux algériens, c’est parce que, au lieu d’investir dans la réalisation d’une grande infrastructure de santé qui profitera à tout le monde, le choix du président s’est porté plutôt sur la construction d’une grande mosquée ! 

Après ce bref rappel historique, nous abordons maintenant la phase suivante, à savoir comment fonctionne actuellement ce système de santé. Pour cela, nous nous sommes, en partie, inspirés d’un travail effectué par des spécialistes algériens en collaboration avec le Centre de Prospective Economique Méditerranéen (IPEMED). Ce travail est récent (avril 2012). En fait, l’usage du mot « inspirés » dans ce contexte nous semble un peu fort puisque, hormis quelques tableaux de données statistiques que nous avons pris de ce travail, le reste, c’est-à-dire les commentaires et la conclusion à laquelle nous avons abouti, découlent de nos réflexions personnelles. 

Le premier paramètre à prendre en compte dans ce genre d’études est incontestablement la démographie de la population algérienne. Plus que l’éloquence, le tableau ci-dessous est très parlant quant à l’évolution de cette démographie : la population algérienne a augmenté de façon très importante en si peu de temps.

Evolution de la population (Millions)

 

 

1966

1977

1987

1998

2008

Population totale

 

12,096

16,064

22,881

29,272

34,745

 

Masculine

 

 

6,073

 

7,992

 

11,574

 

14,801

 

17,577

 

Féminine

 

 

6,023

 

8,072

 

11,308

 

14,171

 

17,168

 Source : Recensements

En fait, le dernier chiffre qu’on a pu trouver concernant cette démographie est de 2011. A cette date donc, la population algérienne était estimée à 36,8 millions d’habitants.

Evolution des naissances et des décès (Milliers).

 

Années

Naissances vivantes

Décès

Excédent naturel

 

1970

603

137

466

 

1980

761

143

618

 

1990

775

151

624

 

2000

600

166

434

 

2010

879

157

722

 

Source : office national des statistiques.

 

Ce tableau montre bien qu’entre 1970 et 2010, les naissances, en Algérie, ont presque doublé alors que le nombre de décès est pratiquement stable ce qui induit un excédent de population assez important. Ceci s’explique, d’une part par le nombre de mariage qui a augmenté (158 298 mariages en 1998 pour 331 190 en 2008) et d’autre part par une diminution de la mortalité infantile. Pourtant, l’âge du mariage a reculé comme le montre le tableau ci-après. En outre, l’utilisation des moyens contraceptifs est devenue tout à fait banale particulièrement chez les femmes qui travaillent. 

 

Evolution de l’âge moyen du premier mariage (années)

 

 

 

1966

1977

1987

1998

2002

2006

2008

 

Femmes

18,3

20,9

23,7

27,6

29,6

29,9

29,3

 

Hommes

23,8

25,3

27,7

31,3

33,0

33,5

33,0

 

Deux raisons principales expliquent ce recul de la date du mariage :

1- Les jeunes algériens ont de plus en plus de difficultés à trouver un emploi stable (chômage) même pour ceux qui ont fait des études universitaires. Par conséquent, l’idée de fonder un foyer et de faire face aux responsabilités qu’exige l’union sacrée du mariage semble les dissuader.

2- Le logement dont la crise est toujours aigue malgré les efforts des pouvoirs publics qui font des promesses (construction d’un million de logements) sans pouvoir les tenir, constitue aussi un obstacle majeur au mariage des jeunes algériens d’autant plus que ceux-ci aspirent de plus en plus à être indépendants de leur famille. 

 A suivre.

 


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