Réforme de France Télévisions : une télévision moins regardée et injustement financée

par Pascal Perez
lundi 8 décembre 2008

Le projet sur l’avenir de la télévision publique ne prend en compte ni le déclin de la télévision ni le potentiel culturel et fiscal des nouveaux médias numériques. La taxe sur les opérateurs de téléphone risque de réduire les investissements dans l’extension des réseaux, notamment haut débit. En conclusion, la télévision publique sera moins regardée et sera injustement financée.
La loi sur l’audiovisuel vise à réformer le groupe France Télévisions. Les points sensibles tiennent principalement à la nomination de son président par le Président de la République et à la création de nouvelles taxes pour compenser la suppression de la publicité sur les chaînes publiques.
 
En dépit des nombreuses auditions de la « Commission pour la nouvelle télévision publique », le projet de loi feint d’ignorer le déclin de la télévision. L’audience file de plus en plus vers les médias numériques alternatifs, consommés en temps réel ou différé. La publicité suit l’audience.
 
A quoi sert une télévision publique ? A maintenir par des programmes orientés une pensée française alternative au soft power anglo-saxon ? A contrôler l’opinion publique avec des rédactions à la botte ? A donner une image positive de la France au reste du monde ?
 
Les objectifs poursuivis ne sont pas explicites. Le projet nait de la promesse du président Sarkozy de janvier 2008 : faire cesser la dictature de l’audimat sur France Télévisions en supprimant la publicité.
 
Le rôle des nouveaux médias dans une politique audiovisuelle est ignoré. Les 15 -25 ans passent 15 h sur internet et 12 heures devant la télé par semaine. Si elle n’est pas accessible sur internet, l’offre audiovisuelle publique ne touchera qu’une audience en déclin et vieillissante, comme celle du journal La Croix. Quelle est l’offre audiovisuelle publique adaptée à internet ? Sûrement pas, le podcast des programmes conçus pour la télévision. Sur cette question, il n’y a pas un mot dans le projet de loi, ni une idée dans les débats à l’Assemblée Nationale.
 
Internet est sous-estimé par les élus et par l’Etat français. Internet est perçu comme un espace infréquentable pour la chose publique. Internet est un outil de piratage familial toléré, un continent commercial parallèle, un média politique pendant les campagnes électorales, un territoire difficile à contrôler.
 
Il est significatif que la loi audiovisuelle s’attache à trouver un financement de substitution en taxant les chaînes de télévision et non les publicités sur internet. Or internet capte déjà 14 % des investissements publicitaires. Dans l’imaginaire politique, la publicité sur internet passerait par l’étranger et ne serait pas taxable. En fait, les principaux annonceurs et leurs régies sont bien français et ont pignon sur rue. On n’imagine pas les trois opérateurs de téléphonie mobile et la SNCF commander la publicité sur internet de l’étranger pour toucher les français. Google est saisissable, avenue de l’Opéra.
 
Les pouvoirs publics s’échinent à freiner les implantations commerciales et l’ouverture des commerces le dimanche. Mais combien d’équivalents en mètres carrés représente l’offre commerciale accessible 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 sur internet ? Le commerce sur internet échappe à la réglementation de l’urbanisme commercial et en plus il bénéficie d’un avantage fiscal. Le commerçant sur internet minimise ses taxes locales foncières, immobilières et sociales notamment en localisant à l’étranger son centre d’appel, son serveur et sa logistique.
 
La capacité des états policiers à filtrer les contenus sur la toile montre bien qu’internet est techniquement accessible quand il existe une volonté de contrôle ou d’influence publique. Pourquoi ne pas financer la création audiovisuelle par une taxe sur le téléchargement de films ou sur les revenus du commerce électronique ?
 
Les politiques publiques sur internet restent à inventer. Le projet de loi sur l’audiovisuel trouve donc son financement, hors internet , via une taxe sur le chiffre d’affaires des opérateurs de téléphone.
 
Une telle taxe sur la téléphonie relève le plus souvent de pays inégalitaires caractérisés par une évasion fiscale forte ou par une bureaucratie étouffante. La Turquie a instauré une taxe de reconstruction après le tremblement de terre. En fait, Bouygues et SFR ne sont pas mécontents de payer une taxe fixe de l’ordre de 40 millions chacun en contrepartie d’un marché de 400 millions d’euros de recettes publicitaires télévisées. Le groupe France Télécom dont le président est nommé par l’exécutif n’a pas formulé d’opposition à cette nouvelle taxe.
 
Pour les opérateurs alternatifs fixes, Free pour le grand public et COLT pour les entreprises, la taxe viendra en premier lieu freiner les extensions de réseau en fibre optique. Comme France Télécom pourra ralentir vu que ses concurrents ralentiront, la taxe va affaiblir, et non relancer, la croissance des investissements. L’astre du secteur équipementier, Alcatel-Lucent, parait désorganisé ou trop faible pour soulever une simple protestation.
 
Le débat parlementaire à l’Assemblée Nationale donne-t’il lieu à un débat de fond ? Même pas. L’opposition socialiste s’économise une réflexion sur l’audiovisuel public à l’heure d’internet, sujet bien mal maîtrisé par la majorité. Seul un député du Nouveau Centre, Dionis du Séjour, dénonce les impasses de la réforme proposée.

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