Réforme des aides sociales : une exigence budgétaire, sociétale et écologique ?

par Daniel MARTIN
lundi 18 juin 2018

On peut comprendre que certains de nos concitoyens acceptent mal que des avantages fiscaux, et pas des moindres avec la suppression de l’ISF, soient fait en faveur des contribuables les plus aisés. Mais peut-on pour autant ne pas envisager une réforme des aides sociales pour corriger certaines dérives budgétaires ou iniquités qu’elles génèrent ? 

 Dans un long discours prononcé lors du congrès de la Mutualité Française, le chef de l'Etat a rappelé qu'il ne voulait pas « dépenser toujours plus d'argent » pour la protection sociale et d’affirmer « « J'assume de changer complètement de méthode » et de rajouter « Nous avons créé un système qui s'est progressivement, pour ce qui est de l'État, déshumanisé, on a pensé que la réponse à l'exclusion et à la pauvreté, c'était de l'argent. » Pour le chef de l'État, il faut chercher les solutions ailleurs. Préalablement, dans une vidéo diffusée par son équipe de communication, Emmanuel MACRON déclarait que les aides sociales coûtent « un pognon dingue ». Rappelant que les prestations atteignaient en 2016 un total de 714 milliards d'euros, soit 32% du PIB. Un record mondial étouffant. En ajoutant les frais de gestion et les frais financiers, les dépenses de protection sociale s'élevaient à 759,5 milliards d'euros. Seuls quatre pays consacrent plus de 30% de leur PIB aux dépenses sociales : la Finlande, la Belgique, le Danemark et la France. La moyenne de l'OCDE se situe à environ 22% du PIB.

Reformer un système devenu une « véritable usine à gaz « source d’injustices et qui coûte cher

Selon le chef de l’Etat, seules les prestations familiales seraient concernées et non pas celles reversées en contrepartie de cotisations (allocations-chômage et pensions de retraite). Mais combien de personnes bénéficient des prestations versées par la CAF et quels sont les montants versés annuellement  ? Selon les données publiées le mois dernier par la Caisse d’allocations familiales, 12,66 millions de foyers ont bénéficié de prestations sociales versées par la CAF en 2017. Pour la métropole, ils sont 12,1 millions de foyers concernés (+0,9% par rapport à 2016) et dans les DOM ils sont 556 500 (+1,8% par rapport à 2016).

Au total, 4,9 millions de foyers ont touché des allocations familiales, 2,8 millions ont pu bénéficier des APL, 3 millions de l’allocation de rentrée scolaire tandis que 2, 1 millions de foyers ont reçu la prestation d’accueil du jeune enfant (PAJE). Si on ajoute les 1,1 million de l’allocation handicapé, les 2,7 millions de foyers de la prime d’activité, ou encore les 1,8 millions qui ont perçu le RSA, en 2017cela fait 18,4 millions de foyers qui ont perçu des prestations sociales pour un montant total de 72,9 milliards d’euros (en progression de 0,8% par rapport à 2016, en 2015 elles étaient de 70,2 milliards) soit en 2017 10% des dépenses de la protection sociale.

Un tiers. C'est la proportion considérable du produit intérieur brut français que l'État reverse aux citoyens sous forme d'aides sociales. Le président de la République n'a en ce sens pas tort de le rappeler et de poser le principe de réformer ce système devenu « une véritable usine à gaz » qui se traduit par un fort sentiment d’iniquité sociale. En plus d’un sentiment justifié d’iniquité il y a le principe des vases communiquant couteux pour l’Etat et en final les contribuables. Par exemple, lorsque les bailleurs publics augmentent les loyers, ils peuvent se retrancher derrière le fait quel les APL suivront, en rappelant qu’entre 1996 et 2016 les prestations d’APL ont presque triplé (+191% d’augmentation), alors que le nombre de bénéficiaires a légèrement baissé... En clair, lorsque les aides augmentent, les bailleurs font monter leur tarif. L'Insee a établi qu'il y avait bien une corrélation et le Ministre de la Cohésion des territoires Jacques MEZARD estime qu'une hausse de un euro des APL se traduit par une hausse de 78 centimes du loyer… Quand on sait que La France consacre annuellement plus de 40 milliards d'euros à la politique du logement, soit 2 % de sa richesse intérieure, dont 8,4 milliards à la seule APL, un niveau très supérieur à la plupart de ses voisins européens, on peut comprendre que l’Etat veuille stopper cette spirale de croissance continue des APL indexées sur la croissance du Prix des loyers.

Le quotient familial et les allocations familiales sont un autre exemple. En s’indexant sur la croissance démographique, ces dispositifs la favorise par ailleurs

Le quotient familial a été instauré le 31 décembre 1945 par le général de Gaulle, désireux de soutenir la démographie française après la saignée de la Deuxième Guerre mondiale. Le principe est simple : mettre en place un système de parts fiscales pour les foyers qui ont des enfants. Les parts sont calculées selon la situation de chacun (parent isolé ou non, nombre d'enfants) et permettent de faire diminuer l'impôt sur le revenu. Néanmoins, l'avantage fiscal, dont peut bénéficier un ménage grâce au quotient familial, reste plafonné et le plafond est toutefois régulièrement revu à la baisse.

Les allocations familiales sont plus anciennes encore puisqu'elles ont été généralisées en 1932 après avoir été mises en place dans certains secteurs d'activité dès 1916, du à l’initiative de quelques patrons d’entreprises issus du courant de pensée « chrétien social ». Formule qui s’est développée à partir des années 1920 pour aider les familles et encourager la natalité après l’hécatombe de la première guerre mondiale ( http://www.slate.fr/story/137699/emile-romanet-inventa-allocations-familiales ). Il s'agit, cette fois, de verser de l'argent aux familles ayant plus de deux enfants. Derrière cette mesure, il y a au départ l'idée de l'universalité de la politique familiale : ce coup de pouce financier est apporté à tous les ménages avec progéniture, indépendamment du niveau de revenu. Mais pendant le quinquennat de François HOLLANDE, le gouvernement VALLS est revenu sur cette universalité des allocations familiales. À partir du 1er janvier 2015, celles-ci ont été modulées en fonction des revenus. Les parents les plus aisés ont ainsi vu leur aide baisser.

Les allocations familiales sont aussi une source d’inégalité entre citoyens

Le versement des allocations familiales est ainsi source d’inégalité dans le rapport travail-salaire-revenus : A travail et salaire égal plus vous avez des enfants, plus élevé sera votre revenu selon que vous aurez un enfant, deux, trois ou plus… le rapport retraite-revenus est également source d’inégalité. Si vous avez eu 3 enfants ou plus, ou si vous avez élevé 3 enfants ou plus pendant au moins 9 années avant leur 16e anniversaire, votre pension de retraite du régime général est majorée de 10 % du montant brut de la pension et pour chaque enfant supplémentaire à partir du 4ème enfant, 5 % du montant brut de la pension s’ajoutent aux 10%. La majoration pour enfants est attribuée à tout bénéficiaire d'une pension servie par la Caisse nationale quelle que soit sa nature (pension normale, pension d'invalidité, pension de réversion) Les artisans et commerçants en bénéficient également.

Depuis le 1er Avril 2018, les familles avec deux enfants à charge peuvent percevoir une allocation familiale mensuelle égale à 131,16 euros. Pour les familles dont les ressources dépassent un certain plafond, ce montant est de 65,58 euros (montant intermédiaire) ou 32,79 euros (montant minimal). 
Avec trois enfants à charge, l'allocation familiale est portée à 299,20 euros. Son montant intermédiaire est de 149,60 euros et son montant minimal est de 74,80 euros. 
Avec 4 enfants à charge : 467,24 euros (montant intermédiaire : 233,62 euros ; montant minimal : 116,81 euros) et par enfant en en plus : 168,04 euros.

En plus du montant des allocations, on peut bénéficier d'une majoration de 65,58 euros si une famille comprend un enfant de plus de 14 ans. Cette majoration est applicable pour chaque enfant de 14 ans ou plus. Toutefois, pour les familles dont les ressources dépassent certains plafonds, cette majoration est de 32,79 euros ou 16,39 euros). A une exception près : la majoration n'est pas due si l'enfant de 14 ans ou plus est l'ainé d'une famille de deux enfants. 

 « Transition écologique » et prestations familiales qui favorisent une politique nataliste sont incompatibles

Des économies substantielles possibles et nécessaires

Il y a tout d’abord de fortes économies à réaliser sur les seuls coûts de gestion. La Fondation iFRAP est parvenue à l’évaluation suivante  : les coûts de gestion réels de la protection sociale représentent au moins 42 milliards d’euros, dont 6,9 milliards de frais financiers et au moins 4,1 milliards de frais liés aux prestations de l’État et des collectivités locales. http://www.ifrap.org/emploi-et-politiques-sociales/protection-sociale-faire-baisser-les-42-milliards-de-couts-de-gestion

 Un montant substantiel qui laisse envisager d’importantes pistes d’économies, insuffisamment exploitées, alors qu’elles sont souvent relayées dans des rapports parlementaires, rapports d’inspection ou de la Cour des comptes. Ces chantiers, auxquels aucun gouvernement n’a pour l’heure osé s’attaquer, ont déjà été lancés chez nos voisins anglais, allemands ou néerlandais, lesquels ont su réformer leur système de protection sociale afin d’en améliorer l’efficience. Aujourd’hui, la maîtrise des frais de gestion est indissociable d’une réforme en profondeur de » notre modèle social ». Toujours selon la Fondation iFRAP, il est possible d’économiser de 5 à 9,5 milliards d’euros sur les coûts de gestion à l'horizon 2025, une fois que toutes les réformes d'ampleur de la protection sociale auront été menées.

Il faut supprimer le quotient familial, une exception dans le monde

Ailleurs, dans le monde, quand il existe un dispositif fiscal en fonction des enfants, c’est une baisse forfaitaire d'impôt est accordée pour chaque enfant à charge. L'enfant d'un riche est censé coûter autant que celui d'un pauvre. Pas en France, où l'on considère que la politique familiale n'a pas pour but de réduire les inégalités de revenu, mais de limiter les « inégalités horizontales », autrement dit les écarts entre familles touchant un même revenu, mais ayant des enfants ou non. Ainsi en France, les allocations familiales, pour une grande part, ne dépendent pas du revenu, mais d’un mécanisme beaucoup plus injuste, qui aide davantage les familles riches que les familles pauvres ! La véritable injustice fiscale française, réside dans le système dit de « quotient familial » de l’impôt sur le revenu. Celui-ci réduit le montant de l’impôt à payer par les familles en fonction de leur nombre d’enfants et proportionnellement à leurs revenus. Les familles non imposables, la moitié des foyers, ne voient pas la couleur du quotient. En fait, jusque 1 500 euros de revenus mensuels, le quotient n’apporte aucun avantage, quel que soit le type de famille...

Cette redistribution à l’envers atténue le caractère déjà peu progressif du système fiscal français. Au total, la perte de recettes pour le budget de l’État est estimée entre 10 et 13 milliards par an. Certes, le gouvernement en a réduit légèrement la portée, le plafond a été raboté dans le cas général à 2 000 € par demi-part à partir des revenus de 2012. Dans un second temps, le plafond sera à nouveau baissé de 2000 € à 1500 € par demi-part. Au total, un peu moins d’un million de foyers fiscaux seront impactés par cette mesure et le gouvernement récupérera seulement 490 millions d'euros, dont une grande partie sera redistribuée aux « 1 000 premiers contributeurs à l'ISF » un comble ! La nouvelle disposition restant toujours aussi inéquitable jusqu'à la limite du nouveau plafond fixé. Selon une étude de la direction générale du Trésor, 11 % des ménages les plus aisés captent 46 % de l'avantage fiscal représenté par le quotient familial.

 Il faut également supprimer les allocations familiales et instaurer un système d’aide de soutien familial qui ne favorise pas la natalité.

Nous ne sommes plus, culturellement et socialement en 1932 ou 1945. En se référant aux enseignements de l’écologie science, on peut retenir qu’aucune espèce ne peut se développer indéfiniment au détriment des autres espèces, comme le fait l’homme, sans se mettre elle-même en danger…A cause de sa croissance démographique et de sa puissance économique, par son impact écologique qui fait que l’homme est aujourd’hui devenu une force géologique destructrice, dans son intérêt il faut cesser de favoriser des politiques natalistes telles que celles qui prévalent pour les aides familiales aujourd’hui en France.

Bien que cela puisse être nuancé, la démonstration est faite que les pays qui investissent le plus dans la politique familiale sont ceux dont le taux de fécondité des femmes est le plus élevé.

L'Irlande, le Royaume-Uni et le Luxembourg sont en tête des pays Européens qui investissent le plus pour la famille. L'Irlande et le Royaume-Uni dépensent tous deux 4,2% de leur PIB pour ce poste, et le Luxembourg 4%, selon l'OCDE. La France suit de près le trio de tête avec un investissement annuel de 3,98% du PIB. Le taux de fécondité irlandais est le plus élevé d'Europe, à égalité avec la France (2,01 enfant par femme en 2012 selon Eurostat). Le Royaume-Uni n'est pas mal placé non plus (1,92).

À l'inverse, l'Italie est l'un des pays qui dépense le moins pour sa politique familiale. La garde des jeunes enfants y a longtemps été l'affaire des mères et des grands parents. Ce n'est qu'en 2006 qu'un programme de création de places en crèche a été mis en place... Et il n'y a pas de miracle italien : les taux de fécondité des femmes italiennes figurent parmi les plus faibles d'Europe.

Principe d’une allocation forfaitaire unique versée au seul premier enfant

Apporter un soutien aux familles qui bénéficient des conditions d’octroi actuelles, quel que soit le nombre des enfants par une seule aide forfaitaire, tel devrait être l’objectif. Dès le premier enfant une allocation forfaitaire unique, par exemple de 500 euros pourrait être attribuée à chaque foyer, payable de façon fractionnée suivant l’âge jusqu’à 16ans (200 euros jusqu’à quatre ans 300 euros jusqu’à 12 ans et 500 euros au-delà). Entre la naissance et l’âge de 12 ans la différence entre la somme versée serait mise sur un livret d’épargne que l’enfant ne pourrait utiliser qu’à partir de 16ans. S’il y a plusieurs enfants, cette allocation unique serait maintenue jusqu’aux 16 ans du dernier enfant. Vu le nombre de bénéficiaires cela couterait environ 2,5 milliards d’euros, soit la moitié moins que le versement actuel des allocations. Il s’agit là d’une simple piste de réflexion pour un débat qui reste à mener.

Pour conclure

Il ne s’agit pas de remettre en cause les prestations sociales versées en contrepartie de cotisations et des prestations familiales ponctuelles de solidarité liées à un objet précis liées et modulable aux revenus, telle l’allocation handicapés, l’allocation rentrée des classes … Mais si l’on considère ces deux exemples par les suggestions formulées, les économies budgétaires réalisées de 2,5 milliards d’euros ou celles qui éviterait, comme le quotient familial, une perte pour le budget de l’État estimée entre 10 et 13 milliards par an. Cela serait inférieur aux dépenses totale des soins dentaires payées par l’Etat, les mutuelles et les patients en 2017 qui se son élevées en 2017 à 10,7 milliards d’euros. Si on y ajoute les économies budgétaires à réaliser sur les seuls coûts de gestion évalués de 5 à 9 milliards d’euros par la Fondation iFRAP, c’est à peu près équivalent aux dépenses totales pour frais d’optique en 2017 (Etat, mutuelles, patients) qui ont été de 6,1 milliards d’euros. 

Documents joints à cet article


Lire l'article complet, et les commentaires