Réforme des retraites Macron : le scandale de la réversion Delevoye

par Robert G
mercredi 20 novembre 2019

Une analyse chiffrée des privilèges conjugaux de retraite dans la réforme des retraites Macron/Delevoye.

Le passage à une retraite à points fait beaucoup parler. Certes il y a de quoi s’inquiéter car il est facile de se rendre compte que ce système entraînera une baisse des retraites comprise entre 15 et 20%.

Mais passée presqu'inaperçue, il existe une réforme bien plus sournoise dans cette réforme des retraites : la réforme de la réversion.

Son coût ? 36 milliards/an soit 11% des ressources du système. Cela signifie que pour financer ce poste de dépenses, on baisse de 11% la retraite de tout le monde. Ce n’est pas anodin, raison pour laquelle il est important de dépenser ces sommes à bon escient c'est-à-dire pour celles et ceux qui en ont le plus besoin.

Une mise au point pour resituer la question

La réversion présente la caractéristique de n’être accordée qu’aux veuves ayant été mariées. Elle est et continuera à être refusée à toutes celles et ceux qui ont perdu leur conjoint s’ils étaient pascés ou en concubinage. Par conséquent on peut dire qu’elle n’a rien à voir ni avec le travail (des bénéficiaires), ni avec un quelconque sacrifice de carrière, ni avec la parentalité sinon elle serait aussi accordée aux pacsés et concubins.

Pourtant il s'agit d'une prestation non contributive. Elle est obtenue sans sur cotisation : que l’on soit marié, pacsé, concubins ou célibataire, on paie les mêmes cotisations. Et elle ne correspond à aucun travail supplémentaire du bénéficiaire car elle n'est accordée que sous condition de statut. Un comble pour une réforme des retraites qui se veut universelle.

Selon la règlementation actuelle, elle consiste à attribuer un supplément de pension aux veuf/veuve en fonction de la pension du défunt. Les règles diffèrent un peu selon les régimes de retraite puisque certains imposent une condition de ressources alors que d’autres imposent une condition de non remariage.

La réforme de la réversion proposée par Delevoye ministre en charge de la réforme des retraites Macron

La réforme des retraites Macron impliquera aussi une réforme de la réversion. Une règle unique remplacera celles des régimes actuels :

Au stade des informations diffusées, il n'est pas prévu de tenir compte de la fortune personnelle du survivant. Par conséquent rien n'empêcherait d'attribuer une réversion à une veuve restée oisive (donc petit pension personnelle) parce qu'elle était millionnaire. Il n'y aurait pas non plus de condition de non remariage par conséquent, si rien d’autre n’était précisé, il deviendrait possible de se faire une retraite en empilant les mariages et en travaillant le moins possible.

Conséquence immédiate, pour deux veuves/veufs ayant exactement la même pension, l’une pourra être privée de réversion alors que l’autre en bénéficiera voire même en percevra une plus élevée par rapport au système actuel comme nous le verrons par la suite (aux dépens moraux et financiers des autres cotisants).

C’est un changement de logique puisque le seuil d’attribution de la réversion ne serait plus universel comme ce qui se pratique dans le système de base dit « retraite Sécu ». Il deviendrait différent pour chaque ménage.

Cette règle est simple, trop simple pour traiter équitablement toutes les situations. Cependant, la réversion étant plus un privilège, qu’un droit obtenu par le travail, rien n’oblige à ce qu’elle soit équitable si ce n'est les rapports de force. Mais à ce stade on peut déjà dire que la « réversion Delevoye » favorise les ménages les plus riches aux dépens des autres cependant qu’elle est payée par tout le monde à concurrence de 36 milliards par an ! Une paille quand on compare ce chiffre aux ridicules 6 ou 7 milliards de déficit dont le COR vient de nous rebattre les oreilles et qui semblent faire trembler le gouvernement.

En résumé, plus le ménage sera riche, plus le seuil sera élevé. Moins le ménage sera aisé, plus le seuil sera bas jusqu'à priver le survivant de réversion dans le futur système alors qu’il pourrait en bénéficier dans le système actuel.

Une étude chiffrée de la « réversion Delevoye »

Dans cette étude on suppose que la pension de retraite personnelle du survivant était égale à la pension moyenne des Français, soit approximativement 1500 Euros. Puis on calcule sa pension de veuf/veuve en appliquant la « règle Delevoye » et on la compare à la pension qu’il obtiendrait dans le système actuel des fonctionnaires. Rappel :

Pour ne pas surcharger le graphique on ne fait pas figurer la réversion des salariés du privé dont on énonce les caractéristiques. Elle est égale à :

Remarque :

Ne sautez pas au plafond et continuez de lire l'article jusqu'à la fin. Compte tenu des pourcentages en jeu, lorsque la « réversion sécu » (dont le taux est supérieur à celui des fonctionnaires) est écrêtée par la condition de revenus, la réversion AGIRC-ARRCO la relève grâce à son taux de 60% qui est supérieur à celui des fonctionnaires.

1- Le graphique ci-dessous représente la pension du survivant en fonction de la pension de retraite personnelle du défunt.

 

On voit clairement que la "règle Delevoye" favorise les ménages les plus riches. Rappelons également que plus le ménage est riche plus la succession est importante, ce qui représente déjà un avantage en franchise d’impôt.

A l’autre extrémité on observe une réduction structurelle de la réversion pour les ménages les moins aisés puisque la courbe rouge est en dessous de la courbe bleue clair sur la partie gauche du graphique.

A carrières identiques de survivants, plus le ménage était aisé, plus la « nouvelle » règle de réversion augmenterait l’écart de pension entre veufs, entre veufs et célibataires, entre veufs et pacsés ou concubins.

2- L’avantage de réversion exprimé en années de cotisations

Certains se sont indignés d'une augmentation de la durée de cotisation à 43 ans dans le système actuel. D'autres se sont indignés d'une augmentation de l'âge de la retraite. Le graphique ci-dessous montre l'avantage de réversion exprimé en années de cotisation de celui/celle qui en bénéficie. Il montre le nombre d'années supplémentaires pendant lesquelles un célibataire, pacsé ou concubin ayant perdu son/sa compagne aurait dû travailler pour obtenir la même pension que la veuve/veuf.

L’hypothèse de calcul rejoint le type d'hypothèse présenté dans le rapport Delevoye du mois de juillet : le survivant a eu une carrière plate, toujours au même salaire.

En l'absence de données définitives sur la valeur du point, on applique quand-même une méthode linéaire pour rester dans l’esprit de la réforme : toute la carrière est prise en compte. Pour cela on divise 1500 par 43 ans pour en déduire le montant de pension mensuelle obtenu pour chaque année de travail et l’on obtient 34,9 Euros.

Une carrière n'est jamais plate. Dans la vraie vie elle commencerait en dessous du salaire moyen de carrière, passerait en dessus puis peut-être en dessous. Cependant le graphique présenté donne une bonne idée du résultat.

On voit que :

Nnous irions vers un drôle de service public de la retraite pas du tout juste, pas du tout équitable, et pas du tout prévisible puisque la conjugalité influerait encore plus sur la retraite que la carrière elle-même. Cela reviendrait à mettre en place un système qui permettrait d’obtenir des suppléments de retraite équivalents à plus d'une carrière entière, uniquement en fonction d’un statut ! Aucun régime spécial actuel ne permet d’avoir de tels privilèges.

Finalement, la réversion serait un cheval de Troie dans le service public de la retraite que l’on nous prépare. Alors que l'on va demander aux autres de travailler jusqu'à 64 ans pour éviter une décote, certains pourront commencer à toucher des avantages de réversion correspondant à plus d'une carrière supplémentaire dès l'âge de 62 ans, sur lesquels ils pourront empiler leur propre retraite personnelle sans condition de revenus.

Pourtant, dans un monde où le travail féminin s’est largement développé et se développe de plus en plus. Dans une réforme des retraites pour le futur dont les pleins effets se feront sentir dans les années 2040-2050, rien ne justifie l’institutionnalisation d’un système de privilèges aussi inéquitable et coûteux pour la société.

Si l’on avance l’argument du sacrifice de carrière pour la bonne marche du ménage, alors le sacrifice ne devrait pas rapporter plus de droits que ce qu’aurait rapporté la carrière de celui qui s’est sacrifié et il faudrait étendre cette compensation à tous, sans condition de mariage.

Si l’on avance l’argument de la solidarité alors, si les conditions d’accès à la solidarité n'étaient pas les mêmes pour tous, mariés - pas mariés - célibataires, on laisserait perdurer un système de privilèges tout en l’amplifiant.

Par conséquent, en dehors de toute question de financement, la « règle Delevoye » devrait au moins être accompagnée d’un plafonnement de l’avantage de réversion et l'on ne devrait pas autoriser le cumul de réversions. C’est le minimum que l’on puisse faire pour atténuer l’indécence du système.

Cet avantage de réversion devrait être plafonné au montant moyen de la retraite des Français. C'est déjà pas mal. Ceux qui veulent plus que les autres c'est-à-dire les ménages les plus aisés, pourront se tourner vers des systèmes par capitalisation. Ils en auront les moyens.

A l’heure où l’on demande à tous de se serrer la ceinture et de travailler plus longtemps pour avoir moins, une réversion sans plafond est une insulte au travail.

 


Lire l'article complet, et les commentaires