Réforme territoriale : le grand gâchis

par Rage
mardi 3 juin 2014

François Hollande a tranché : la réforme territoriale souhaitée suite aux débâcles électorales portera sur la réduction du nombre de Régions métropolitaines de 22 à 14 Régions. Toutefois, derrière cette vitrine, c'est toute la logique et le fond même de la réforme qui reste à préciser.

En effet, sous couvert de réduction des dépenses, sur le fond, tout reste à faire car en réalité cette réforme constitue un nouveau renoncement face aux intérêts locaux et démontre plus largement un manque de vision majeur sur l'organisation du pays.

La France aurait besoin d'une réforme efficace, de fond, alliant efficacité de l'action publique locale, modes de scrutins lisibles et ressources (impôts) affectés clairs, le tout avec une structuration de l'Etat et des organismes publics adaptés. Au lieu de cela, la France à 14 Régions sera écartelée entre des nains à 2 départements, la persistance de 4 échelons locaux, et une organisation à géométrie variable par territoire : autrement dit, un foutoir sans nom, et donc coûteux.

 

Explications.

 

  1. Une réforme territoriale : pour quoi faire ?

 

La question peut sembler simpliste. Pourtant, elle est déterminante.

Engagée depuis 1982 la « décentralisation » est une mécanique inachevée, incomplète et donc coûteuse. En effet, la création des Régions aurait dû s'accompagner de la suppression des départements, de même que l'intercommunalité de 1999 aurait dû tendre à la diminution voire à la suppression des communes.

L'objectif aurait dû être clairement précisé : viser une organisation territoriale adaptée aux bassins de vie et d'emplois, efficace et moins coûteuse.

Au lieu de cela, la France dispose de plus de collectivités locales que toute l'Europe réunies (36 000 communes...) et surtout de 4 échelons locaux. En créant les Régions et les « EPCI », il fallait supprimer les départements et les communes.

Cela n'ayant été fait, les échelons créés ont généré de nouveaux exécutifs, de nouveaux élus qui eux mêmes ont souhaiter disposer de moyens, d'équipes et de services. Cela aurait pu se faire à effectif constant... mais au lieu de cela les effectifs de la fonction publique territoriale (FPT) n'ont cessé de croître.

Pire, en 2004, l'acte II de décentralisation, acte qui devait lui aussi « simplifier », devait initialement transférer des compétences de l'Etat vers les Régions : les routes, le social et les agents des établissements dits « TOS ». Avec la défaite aux régionales de 2004, le gouvernement de droite a alors fait le choix – terrible- de transférer ces compétences très largement aux départements et peu aux régions. Ceci a alors généré 2 travers supplémentaires au mille-feuille :

L'acte II s'est traduit par délestage humain et financier de l'Etat sur les collectivités, avec à la clé des surcoûts de mise en œuvre, mais également de suivi concret (RH) et une double tutelle pour les agents des lycées/collèges (complexité).

Pour ne rien arranger, en 2008 puis 2010, les réformes d'affectation des impôts locaux (ressources) puis le gel des dotations ont conduit les régions à ne plus avoir aucune marge de manœuvre budgétaire, passant d'un budget de dotation à 50% à un budget de dotations à 95% : en clair, dépendant des choix de l'Etat.

En 2010, la réflexion « Balladur » avait abouti à une loi qui visait à créer le conseiller territorial, qui aurait alors siéger aux 2 assemblées CG/CR, usine à gaz qui aurait néanmoins eu le mérite de démontrer aux élus qu'ils faisaient la même chose de part et d'autres. Le tout avec la suppression de la clause générale de compétences.... rétablie par la gauche en 2013 avec la loi sur les métropoles... et re-supprimée par la même gauche en 2014 qui devait initialement proposer un acte III de décentralisation, acte ayant lui même été coupé en 3 parties...

On notera également au passage que la loi sur les métropoles (MAPAM) de décembre 2013 qui visait elle aussi à « simplifier », génère des subtilités étonnantes avec, par exemple, le cas du Grand Lyon qui va de fait « manger » les compétences du CG du Rhône sur son territoire : quelle sera alors l'utilité et la légitimité d'un conseiller général du Rhône élu sur le territoire du Grand Lyon, territoire où il n'aura aucune compétence ?

Cette chronologie simplifiée démontre que l'organisation territoriale est, depuis au moins 30 ans, un sujet de fond qui n'a pas été traité. Ce sujet est déterminant, puisqu'il est à la source de la compétitivité organisationnelle de la France. Aujourd'hui, c'est un facteur de défaillance qui coûte cher en PIB et en croissance au pays.

Une réforme territoriale se devrait donc, avant toute chose, de définir les objectifs. Et pour être clairs, ceux-ci devraient englober d'un seul tenant :

 

Vous comprendrez bien que la priorité ne soit clairement pas à jouer au petit jeu des découpages de Régions...

 

II . Réorganiser les Régions n'est et n'était pas la priorité

 

Les dépenses publiques s'organisent schématiquement comme suit :

PIB FR : 2000 G€

Dépenses publiques : 1100G€

Parmi ces dépenses publiques, 3 versants :

Parmi ces 250 G€, les 22 Régions métropolitaines pèsent 25G€, soit 10% du total, les CG 25% et les EPCI/communes le reste, soit 65% des dépenses-budgets.

Si l'on retire l'Ile de France, les Régions ne pèsent donc que moins de 10% des dépenses des CT, et à peine 2% des dépenses publiques.

Il est donc rapide de comprendre que la priorité n'est pas là. Mais chez Hollande, trancher à côté du sujet est une spécialité maison.

Partons alors du principe que l'on fusionne les Régions, passant donc de 22 à 14 (reste les 4 régions d'Outre-Mer qui là aussi portent à interrogation). Si l'on poursuit la logique, on pourrait espérer au mieux la division au mieux par 2 des dépenses. Or, cela ne fonctionne pas comme cela, puisque les compétences elles mêmes demeurent, et donc les dépenses.

 

Mais alors que peut-on espérer gagner ?

A ce stade, le projet de loi ne dit rien de clair, et tout est encore flou. Idéalement on pourrait toutefois espérer les pistes suivants :

- Moins d'élus, avec l'objectif secondaire pour les régions fusionnées de ne pas avoir sur le siège restant plus d'élus qu'avant, faute de quoi il faudra agrandir les assemblées... donc les bâtiments.

- Moins d'agents, sauf que les TOS pesant 2/3 des effectifs, eux resteront. On va donc jouer sur le 1/3 restant. Faut-il encore voir sur qui cela va jouer, car en dehors des fonctions supports (RH/budget/direction générale), tout reste à faire.

- Mutualisation des budgets, mais là aussi, 2 ou 3 budgets nains, ne feront pas de gros budgets, surtout si on reste dans un système à 95% de dotations d'Etat...

- Mutualisation de compétences... faut-il encore que le volet de mutualisation avec les compétences des départements aillent au bout, avec là clairement de gros gains (transports, économie, collèges/lycées, environnement)... mais aussi la grosse incertitude qui conduira les élus des CG à défendre leur pré-carré et à ne rien lâcher.

 

Vous l'aurez compris, derrière la façade, les gains espérés sont loin d'être évidents.

Dans les faits, non seulement il n'y aura pas de gains, mais des surcoûts, dans l'immédiat, mais aussi sur le temps long. Explications :

Vu que la suppression des exécutifs départementaux, et donc des départements, n'a pas été actée, chose qui ne pouvait se faire qu'en début de mandat présidentielle (cf révision de la constitution), vu que F.Hollande agit toujours à contre-temps, et donc trop tard, la méthode consistant à contourner le problème vise aujourd'hui à vider les départements des compétences, puis l'espère t'il, à supprimer les CG en 2020, nous sommes donc dans un processus « complexe », générateur de merdier.

Et le merdier, ça coûte cher.

Dans les faits, les Régions fusionnées vont devoir rationaliser leurs fonctions supports, le tout en intégrant de nouvelles compétences : vu les personnels en place, je vois mal des élus sabordés leurs collaborateurs : on va donc sabrer des agents de terrain et du contractuel. Certes.

Ensuite, il faudra identifier « qui aura le siège », c'est à dire vider les immeubles d'un côté et pousser les murs de l'autre, le tout avec des coûts de mobilité à la clé, sans parler du coût humain au passage (ce serait une première historique de forcer à des mobilités géographiques pour des agents de la FPT... en sachant qu'ils ne dépendent pas du même employeur comme des agents de l'Etat...).

Il faudra par ailleurs :

 

Il ne s'agit pas là de conservatisme, mais de pragmatisme.

Avec la suppression des exécutifs des CG, on ventilait les compétences (donc les gens) tantôt aux Régions, tantôt aux agglomérations, le tout avec des antennes géographiques, et on pouvait s'épargner :

50 élus x 100 CG x 10K€ de coûts/mois (indemnités, frais, locaux) = 600M€/an

1DGS et 5DGA x 100 CG x 10K€/mois (rémunérations, frais etc...) = 72M€/an

100 cabinets à hauteur de 20 personnes à eux mêmes 5K€/mois = 120M€/an

A cela on ajoute les secrétariats et l'intendance : gain immédiat 1G€/an

 

Sur le fond, la mutualisation de compétences peut aussi générer rapidement plusieurs centaines de millions d'économies :

 

En cherchant bien, on peut là, et précisément là, rationaliser quelques milliards/an. Toutefois, on touche vite les limites de l'exercice car le gisement n'est pas là : il est sur les communes/intercos où on peut, sur la même logique de suppression d'élus/intendances, rapidement gagner 10 à 15G€/an.

En résumé simplifié, on a d'une part l'hypothèse incertaine de gains, voire des surcoûts, de l'autre la certitude de faire des économies... au prix de la suppression d'élus, donc de copains.

Et l'enjeu est là, précisément là.

 

 

  1. Supprimer des élus et des copains : la tétanie à la Française

 

Simplifier et réaliser des économies en France ne peut passer QUE par la suppression de postes d'élus et plus largement par une réforme, pensée, de fond sur l'organisation de la sphère publique Française.

Pourquoi ? Parce que c'est précisément là que les dérapages – pour ne pas dire plus – existent. Parce que c'est précisément là que les autres pays Européens ont commencé le ménage, y compris l'Italie. Parce qu'avec moins d'élus, mais mieux d'élus, la France peut dégager rapidement 20G€/an d'économies directes, et au moins autant par l'optimisation des politiques publiques avec 1 seul donneur d'ordre, 1 seul échelon référent, 1 seul échelon compétent et la suppression des financements croisés et autres contrats entre élus dont le commun des mortels se fiche.

Au lieu de cela, on nous propose un découpage à 14 Régions. Sans même rentrer dans les questions de pertinences géographiques et autres bassin de vie (on appréciera des régions à 2 départements et d'autres à 13, le tout avec des centralités bancales et les tractations de dessous de table inévitables pour répondre à tel ou tel baron local prévoyant les élections à venir), on aurait pû – et on peut encore – d'ores et déjà :

 

On se rend compte que là aussi il faudrait là aussi supprimer des postes de copains, pour des gains cumulés de plusieurs milliards par an. Avec ou sans réforme des régions, cette évolution est déjà possible : pourquoi ne pas la faire ?

Par ailleurs l'Etat lui même peut encore faire le ménage dans ses doublons et autres comités théodules, qu'il s'agisse des sous-préfectures et autres agences pour un oui ou pour un non. Une fois encore, il s'agit d'oser la suppression, notamment de postes d'amis et autres remerciés pour bons et loyaux services.

Alors oui, quand je vois une réformette qui va tétaniser les élus, les services et les programmes sur les prochaines années, le tout dans un joyeux foutoir qui tournera mécaniquement au rapport de force entre gros et petits, entre élus puissants et petits élus, quand je vois tout ce que l'on peut faire et que l'on vient de gâcher par une réforme à côté de la plaque, je m'interroge.

 

 

  1. Conclusion

 

Je m'interroge sur la capacité intellectuelle et technique des décideurs (droite ou gauche) à PENSER une réforme sur le fond, à chercher à définir en premier lieu un objectif, puis ensuite une méthode de travail et enfin à proposer une disposition rationnelle globale (ils font l'inverse puisqu'ils n'ont jamais bossé, donc toujours dans l'urgence et sans préparation).

Depuis plus de 30 ans, les dépenses n'ont cessé de s’accroître, les prélèvements également, le tout pour quel service rendu ? Et surtout avec quelle efficacité ? J'ai plutôt eu l'impression d'une dérive sans fin profitant au recasage et à la rémunération de collaborateurs politiques. En ce sens, cette réforme ne fera que contribuer à poursuivre notre inefficacité organisationnelle le tout avec des fragilités notables non élucidées à date comme les modes de scrutins, les équilibres représentatifs, les tailles budgétaires et plus largement la capacité à des élus de piloter des « machins » ou les distances dépassent parfois les 500km.

Sans la suppression des CG et sans réforme concrète visant à réduire et fusionner les communes dans les intercommunalités, sans association de cette vision à une réforme de la fiscalité locale, on se trompe de cible, donc on rate une occasion historique de réformer le pays.

Pourquoi ? Parce qu'il s'agit bien là d'un critère de compétitivité, et donc, de responsabilité comme l'aime à le rappeler le Président. Avec moins de complexité, l'action publique serait plus lisible et efficace, moins coûteuse, et permettrait alors de dégager des marges pour les entreprises. Cette logique là, tangente au pacte de Responsabilité de 50G€ aurait au moins le mérite de la crédibilité et de la faisabilité (on fait des économies et ENSUITE on distribue dans une mécanique vertueuse au lieu de faire l'inverse sans garanties).

Pour toutes ces raisons, et parce que cela fait trop longtemps que cela dure, je ne peux considérer cette réforme – encore à préciser sur le fond il est vrai (mais je ne fais guerre d'illusions) – que comme un gâchis historique, ne changeant rien au problème (avec 2017, je vois mal les CG disparaître en 2020...) tout en générant encore de l'incertitude (agents), de l’inefficacité, et du bordel.

Car, entre nous, une Région qui va du Cantal à la Savoie, ou de la Charente-Maritime au Loiret, cela correspond à quoi dans la vie du quotidien, voire dans l'histoire du pays ? Enfin, il s'agit d'un suicide politique de haut vol, mais ça, c'est encore un autre sujet....


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