Relance de la polémique sur la bivalence des professeurs

par Fuchinran
mercredi 4 juillet 2007

La bivalence n’est pas un projet, c’est une réalité de fait pour certains professeurs aujourd’hui. Pourtant, une vive polémique oppose les syndicats d’enseignants et le ministre de l’Education nationale à propos de la bivalence généralisée, pour pallier au manque d’enseignants dans certaines matières, la dévalorosation de beaucoup de disciplines et les graves problèmes de remplacements de professeurs. A quoi tiennent les oppositions sur la bivalence ?

Comme son prédecesseur, Xavier Darcos, ministre de l’Education, a fait savoir qu’il était favorable à la bivalence des professeurs. Ce qui peut être une évidence dans beaucoup de pays développés est impensable ou presque en France. Les syndicats quasiment dans leur ensemble s’opposent fermement à la bivalence imposée, estimant qu’elle entraînerait un nivellement par le bas des enseignements et qu’elle ne résoudrait pas les problèmes de remplacements, comme l’entendait déjà Gilles de Robien.

En réalité, la bivalence existe, mais à un très faible degré, dans la mesure où les professeurs qui la pratiquent ne sont pas payés en conséquence. Ils ne touchent pas plus de 150 à 200 € pour un supplément de travail évident. La bivalence est par conséquent mal vue aujourd’hui et l’on comprend pourquoi quand on observe comment sont formés les professeurs, dès leurs formations initiales en université (ne parlons même pas des concours). Pourtant, en dehors des traditionnels cursus universitaires qui permettent d’accéder au CAPES, les classes préparatoires pour l’ENS proposent une formation plurielle, extrêmement solide, avec un niveau équivalent pour toutes les matières, d’autant que chacune fait l’objet d’une épreuve pour intégrer l’école d’élite en question.

A l’université, les systèmes de pseudo spécialisation interviennent dès les premières années et expliquent en partie le fait que les étudiants n’arrivent souvent qu’avec une formation en majeure renforcée par deux ou trois options maximum et que les mineures soient à peine considérées, ce qui crée des rivalités malsaines entre les UFR/les disciplines. A l’exception des étudiants en histoire/géographie qui sont plus ou moins encouragés à étudier conjointement ces disciplines pour passer le CAPES dans l’une ou l’autre des matières, la grande majorité des étudiants n’ont en général qu’une matière dominante dans leur cursus et ne sont donc plus en mesure d’assurer des remplacements immédiats, ce qui ne serait pourtant pas impensable avec des enseignements plus adéquats, des formations aux concours plus pertinentes et cohérentes. Pis encore, des études prouvent que les enseignants (hors langues) ne seraient même pas bilingues ! Pourtant, cela devrait être élementaire dans les enseignements. Dans le cadre de remplacements ponctuels, faut-il avoir une maîtrise complète (si tant est que ce soit possible) d’une discipline pour effectuer un enseignement ? Personnellement, je ne le crois pas. La bivalence est-elle vraiment impossible ou cette notion est-elle mal vue grâce à une bonne dose de démagogie des syndicats et un manque de pédagogie des politiciens pour revaloriser cette idée ? Sans aller jusqu’aux méthodes britanniques, qui imposent à certains professeurs l’enseignement de trois à quatre matières avec le niveau bac, ne peut-on pas concevoir des enseignements avec plusieurs formations entièrement valorisées qui supposeraient aussi des épreuves aux concours et permettrait une évolution de carrière plus intéressante, financièrement et en termes de statut ?

 

Les opposants à la bivalence restent engoncés dans leurs certitudes d’être les meilleurs, malgré les nombreuses limites de notre système et des études qui confirment le niveau contestable de notre Education nationale par rapport aux autres pays dans le monde. Ils expliquent que l’enseignement de deux disciplines, impliquerait de passer plus de temps dans les préparations, d’autant que ces discplines seraient imposées, ce qui pour l’heure est absolument faux. Il me semble pourtant qu’actuellement, il existe des professeurs, qui naturellement enseignent la chimie en même temps que la physique, l’histoire, la géographie, l’éducation civique et souvent même l’économie dans les petits lycées, le français et le latin ou le grec, voire des options connexes telles que le théâtre. Pourquoi ce qui existe dans les faits dans plusieurs disciplines entraîne-t-il une telle levée de boucliers ?

 

Au Royaume-Uni, un enseignant recruté sur dossier et non sur concours avec certification peut enseigner jusqu’à quatre langues différentes sans diplôme certifié et avec l’obligation d’accomplir des tâches subalternes pour 40 à 48 heures de travail par semaine et un salaire deux à trois fois supérieur à celui des Français parfois. Certes, ce modèle serait totalement impensable chez nous, mais n’est-il pas possible de reconsidérer objectivement la bivalence ? En fait, la question de la bivalence bute sur les problèmes de formation et d’enfermement disciplinaire à l’université, puisque la bivalence serait naturelle, si les enseignants n’étaient pas condamnés à une spécialisation disciplinaire précoce. Où est donc l’autocritique des enseignants ? Quand cesseront-ils de se laisser envahir par des idéologies, sous prétexte qu’ils seraient directement sur le terrain et sauraient mieux que tout le monde ce qui est bon ? Pourquoi les modèles étrangers ne seraient-ils pas des sources d’enseignements pour envisager des évolutions qui profiteraient à tous et permettraient de revaloriser un métier ingrat ? Pourquoi seraient-ils incapables d’interagir avec d’autres enseignements, ce qui pourrait aussi rendre les apprentissages plus dynamiques, plus ouverts et peut-être plus pragmatiques ?

A l’heure où certains comme Luc Ferry ou Claude Allègre évoquent l’idée de restaurer une année propeudetique à l’université pour assurer une formation globale de qualité qui permette de mieux réfléchir aux disciplines vers lesquelles les étudiants ont envie de s’orienter en connaissance de cause, il importe de s’interroger sur les méthodes de formation des professeurs, avant même qu’ils choisissent le professorat par vocation ou plus souvent aujourd’hui par défaut - faute de débouchés dans leurs disciplines. Personnellement, je plaide pour une bivalence de tous les professeurs à moyen terme grâce à une réforme des enseignements universitaires et des concours, puisqu’il est déjà imposé dans les faits aux professeurs des disciplines mentionnées ci-dessus des apprentissages "naturels", qui ne choquent pas. Personne, me semble-t-il, n’a eu l’idée saugrenue d’obliger un professeur d’anglais à enseigner les mathématiques, si son cursus était littéraire. Pourquoi les professeurs se sentent-ils si souvent oppressés ? De plus, la bivalence est jusqu’à maintenant fondée sur le volontariat, à cause des limites des préparations des concours et des cursus de la plupart des enseignants qui malgré des compétences en tant qu’étudiants ont souvent dû se limiter dans leurs choix disciplinaires pour avoir la possibilité de préparer les concours qu’ils visaient. Il n’est donc pas possible après le DEUG dans la plupart des universités (en dehors de celles qui proposent des doubles cursus) d’étudier par exemple l’histoire sans faire de la géographie, si l’on prétend au professorat, alors qu’on pourrait très bien proposer une 3e mineure en langue ou dans une discipline connexe, qui assurerait des bases solides voire un bilinguisme. Pourquoi d’ailleurs parler de mineure et de majeure ? Y aurait-il toujours une prééminence d’une matière noble sur une matière secondaire qui serait réduite quasiment au rang d’option, avec tout le mépris que l’on peut ressentir souvent entre des discplines rivales et toujours associées, comme l’histoire et la géographie ?

La bivalence existe et si polémique il y a, c’est surtout du fait d’une trop forte prégnance du politique et de l’idéologique dans les raisonnements des enseignants, surtout quand ils sont syndiqués. Il est dommage qu’ils n’acceptent même pas d’ouvrir l’idée d’une bivalence souple, capable de s’inscrire dans une plus large autonomie des enseignements, un peu comme on y aspire avec la réforme de l’université.


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