Renault-Nissan : Carlos Ghosn, soupçonné de fraude fiscale, a été arrêté au Japon

par Martin de Wallon
lundi 19 novembre 2018

Dans un communiqué, Nissan indique que « sur la base du rapport d'un lanceur d'alerte, Nissan a mené une investigation interne, depuis plusieurs mois, relative à des mauvaises pratiques impliquant Carlos Ghosn » et que, selon cette enquête, l'emblématique patron aurait dissimulé une partie de ses revenus au fisc japonais.

Ces annonces viennent confirmer des informations du quotidien japonais Asahi Shimbun, qui a indiqué plus tôt dans la matinée que le PDG de Renault était interrogé, ce lundi matin, par le parquet de Tokyo pour violation présumée de la réglementation japonaise sur les instruments financiers et les changes. A la suite de cet interrogatoire, il a été placé en détention. Selon le quotidien Asahi Shimbun, le patron de l’alliance Renault-Nissan-Mitsubishi est soupçonné d’avoir minoré une partie de sa rémunération, issue de l’achat et de la vente d’actions. La somme pourrait concerner plusieurs centaines de millions de yens (centaines de milliers d’euros). Le chef d’entreprise a accepté de collaborer avec la justice, assure l’Asahi Shimbun. L'agence de presse japonaise Jiji affirme quant à elle que le président de Nissan aurait sous-évalué de cinq milliards de yens (38,9 millions d'euros) sa rémunération, qui s'élevait à près de 10 milliards : cette pratique aurait commencé en 2011 et a duré plus de cinq ans.

À la tête du groupe au losange depuis 2005, Carlos Ghosn a conquis la confiance des actionnaires par la force des résultats obtenus tant au sein du constructeur français que de Nissan, son partenaire japonais. Il a été le principal artisan du sauvetage du constructeur japonais, qui était au bord de la faillite. Entouré d’une petite équipe de cadres venus de Renault, il a restructuré la société et l’a progressivement rapprochée opérationnellement de la marque au losange au sein d’une alliance industrielle. Après ce sauvetage, M. Ghosn est devenu une véritable idole au Japon, au point de devenir un personnage de manga. L'Alliance Renault-Nissan, élargie en 2016 à Mitsubishi, est devenue numéro un mondial des ventes l'an dernier avec 10,6 millions d'automobiles écoulées. Sous l'impulsion de Carlos Ghosn, le groupe aux finances désormais solides a été le premier à investir massivement dans la voiture électrique, dont il est leader mondial. Le géant industriel franco-japonais regroupe dix marques (dont Dacia, Lada, Samsung Motors, Alpine, Infiniti, Datsun...). Il compte 470.000 salariés et 122 usines sur tous les continents.

Longtemps, il a été l’un des patrons les mieux payés de l’archipel japonais, avec une rémunération – incorporant un salaire fixe, variable et des stock-options – supérieure à 9 millions d’euros par an. En 2017, cependant, sa rémunération a baissé, quand il a abandonné sa fonction de directeur général chez Nissan. Il a touché l’équivalent de 5,6 millions d’euros pour son travail chez le constructeur japonais, selon le cabinet Proxinvest. Au titre de PDG de Renault, il obtient en revanche, pour l’exercice 2017, 7,4 millions d’euros.

Depuis plusieurs années, la rémunération du patron suscite de nombreuses polémiques en France, l’Etat – qui détient toujours 15 % de Renault – refusant systématiquement de voter en faveur de la rémunération de M. Ghosn lors des assemblées générales. En 2016, les actionnaires avaient même voté contre lors de l’AG, un vote que le conseil d’administration n’avait pas suivi.

Dans la matinée, les investisseurs ont vivement réagi à cette annonce. En Allemagne, le titre Nissan a dévissé de 11,3 % dans les minutes qui ont suivi les premières informations, encore parcellaires. A la Bourse de Paris, l’action Renault a chuté de 12%. La valeur boursière du constructeur français a perdu plus de 1 milliard d’euros, pour revenir à 17,9 milliards d’euros, son plus bas niveau depuis janvier 2005. En six mois, la capitalisation du groupe tricolore a diminué d’un tiers. L'affaire va forcément avoir des conséquences sur l'avenir de l'alliance entre Renault et Nissan, associés depuis plusieurs années avec succès. Le constructeur japonais a indiqué que le directeur général, Hiroto Saikawa, va demander au conseil de Nissan de le déchoir de ses fonctions d'administrateur et de président. La nouvelle pourrait-elle accélérer la succession de M. Ghosn à la tête de Renault. Depuis février, le groupe français était entré dans une période de transition. Un numéro deux chez Renault avait été désigné pour la première fois depuis 2013, en la personne de Thierry Bolloré, nommé directeur général adjoint. L'Élysée a confirmé qu'une « procédure est en cours » au Japon, et le président Emmanuel Macron a déclaré qu'il était « trop tôt pour se prononcer sur la réalité des faits » et que « l' Etat sera extrêmement vigilant quant à la stabilité de l'alliance et au groupe Renault ».


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