Rendre « Le Monde » aux journalistes et aux lecteurs

par Comptesrendus
jeudi 12 juillet 2007

Après avoir défrayé la chronique pendant des jours, la tempête qui sévit à l’intérieur du quotidien « Le Monde » ne fait plus l’objet d’aucun commentaire ni d’aucune enquête. Que se passe-t-il et quand un tel journal redeviendra-t-il ce qu’il doit être, un journal, rien qu’un journal mais tout un journal, pour paraphraser Sartre ?

Il y a... "quelques années" de cela, un jeune journaliste - votre serviteur - est présenté lors du Salon du livre à Paris, par un ami écrivain qu’il accompagne pour une séance de signature, à Alain Minc, voisin de table de cet auteur, présent lui-aussi pour un de ces ouvrages. Accueil chaleureux, redoublant de chaleur lorsqu’il lui est dit que son interlocuteur est autodidacte et n’est donc pas formé au CELSA, au CFJ, à Sciences-Pô ou à l’ENA. Une première rencontre de celles qui laissent un sentiment agréable. Quelques années plus tard, le même journaliste, un peu moins jeune, vient interviewer un matin ledit Minc à son domicile, à l’occasion de la sortie d’un nouvel ouvrage. Rendez-vous était pris à 8 heures, l’attente dure plus d’une heure, debout, dans le couloir, tandis qu’il termine une interview avec un autre confrère qui représente un journal sans aucune commune "mesure", L’Express. Les deux hommes surgissent soudain de la pièce où ils s’entretenaient, Alain Minc raccompagne chaleureusement son interviewer en le félicitant pour la grande qualité de ces questions, "c’était vraiment très agréable !" lance-t-il enthousiate. Il revient sur ses pas, passe devant le journaliste qui l’attend depuis assez longtemps pour rêver d’un café, lance un "oui ?" glacial : on lui rappelle la raison de sa présence. "Entrez", dit-il sans un regard, puis, devant une table assortie de confiseries succulentes et de café qu’il n’offre pas : "J’ai très peu de temps allons-y vite". La première question ne lui plaît guère, il le manifeste et répond brièvement. Cela arrive, dans ce métier, on sait tout de suite si l’on va passer un moment "très agréable" ou pas. Lorsque l’on vient pour un sujet sympathique, on le souhaite. Mais il y a audience et audience, lectorat et lectorat, et il semble que certains modèrent leurs efforts en fonction de cela. Minc ne se souvenait donc pas du journaliste qui, lui, ne reconnaissait plus le personnage. Fin de l’anecdote. Ce que sont les hommes en privé, toutefois, en dit long sur leur manière de gouverner.

Loin de là, voici Le Monde devenu le théâtre d’un affrontement emblématique entre le conseiller de l’ombre et une partie, importante, de la rédaction, emmenée par Jean-Michel Dumay ou, du moins, représentée par lui. Premier constat : l’on comprendrait que de tels échauffourées se produisent au sein d’une grande entreprise, par exemple chez Bolloré... Mais on comprend moins qu’elles puissent surgir dans un journal. Il faut vraiment que la nature des intérêts en jeu soit importante, pour que tout cela tourne à de la haute lutte politique. Depuis quelques jours, les commentaires sur cette affaire se sont littéralement taris, et c’est un peu étrange. Qui fait taire qui ? La férocité des propos d’Alain Minc vis-à-vis de la rédaction du Monde a de quoi faire frémir tous les confrères que nous sommes. Elle est, simplement, inacceptable. D’où vient qu’il faille mettre en jeu tant d’intérêts et les défendre ou les contester avec tant de vigueur, simplement pour faire vivre un quotidien ? C’est inquiétant. C’est un exemple qui doit alerter.

Bien sûr, on pourra toujours expliquer que dans le monde entier, plus aucun journal, ou presque, ne peut subsister du seul fruit du travail de ses journalistes. Les industriels sont, depuis longtemps, propriétaires de nombreux médias dont ils sont la passerelle obligée avec le pouvoir politique. Les dégâts collatéraux de cette situation sont tout simplement inévitables. Mais à l’heure où l’on tente de rebattre les cartes et notamment, où l’on doit nécessairement s’interroger sur le coût du travail, n’est-il pas temps pour un quotidien comme Le Monde de se tourner tout simplement vers ses lecteurs ; non pas des lecteurs-actionnaires, mais des lecteurs soucieux de qualité sans être naïfs au point de croire en l’indépendance garantie à tous coûts et chaque jour, afin de sortir ce journal de l’ornière terrible dans laquelle il tente de survivre depuis des années ?

Il ne fait tout de même aucun doute que Le Monde est le plus influent des quotidiens français, et qu’il le doit en grande partie à l’exigence que mettent ses journalistes dans l’exercice de leurs missions. Dès lors, on peut se demander d’où vient la raison pour laquelle il faut un grand capitaine d’industrie et non une personnalité aussi emblématique que ne le furent Beuve-Méry ou Fontaine pour en prendre les rennes et redevenir la caution nécessaire à l’équipage de ce beau journal. Que se passe-t-il . N’y a-t-il plus de ces grands journalistes emblématiques en France, de ceux dont on puisse lire le fruit du travail avec un vrai goût pour la lecture et l’information ?

Pour l’heure, silence radio. En coulisses, on continue à s’étriper. Mais la courbe des informations traitant du sujet est en chute libre. Alors oui, qui fait taire qui ?


Lire l'article complet, et les commentaires