Repenser le digital : idées simples pour un monde (presque) fou

par Politic Angel
mardi 10 juillet 2018

Le numérique étend son emprise et apporte sans cesse son lot de bienfaits au consommateur. Mais personne n’est juste un consommateur. Mais nous, humains des pays riches ou moins « avancés », avons mille autres visages, nos visages sociaux, que le digital peut parfois mettre à mal, plus ou moins gravement. Exemple extrême de cette dualité : les fameuses plates-formes, les « ancêtres » comme Amazon ou Ebay, les plus jeunes comme Instagram ou Uber. Leur pouvoir sociétal est immense, leur liberté sociale quasi totale… À l’aube d’un possible retour du monde précaire des journaliers, le digital, presque paradoxalement, est un levier magnifique pour réconcilier le consommateur avec ses visages sacrifiés.

DigiCorps, consommateurs…. Et nous

Digitalisation, parcours numérique des clients, expérience multi canal… Ces mots sont aujourd’hui dans les têtes des comités de direction, toutes entreprises, tous secteurs et, à divers degrés, tous pays confondus.

Le numérique déferle sur l’économie, s’invitant jusque dans les secteurs les moins « naturellement » technologiques, comme la restauration (Deliveroo et ses livraisons à domicile pour tous les restaurants), l’enseignement (avec la vague des MOOC) ou le bricolage.

Aujourd’hui il faut devenir une DigiCorp, une compagnie hybride entre métiers de fond et praticien numérique, avec le défi clé de trouver le bon dosage, la bonne vitesse, et la bonne organisation dans cette route vers l’hybridation.

Symboles tant commentés de ce numérique triomphant : les plates-formes, ces acteurs qui bousculent des secteurs complets en y imposant une nouvelle règle du jeu. Une règle à base de réseau immense d’acteurs/ offreurs indépendants fédérés par un coeur numérique qui, lui, recrute les fournisseurs, centralise les offres, les présente aux clients, gère les transactions, et évalue la livraison des produits ou services.

Les exemples avérés de telles plate formes sont aujourd’hui nombreux : Ebay, un des pionniers, avec ses millions de particuliers ou (semi-)professionnels fournisseurs d’occasions de tout ; Le Bon Coin, impressionnant succès hexagonal en train de devenir vendeur généraliste ; Amazon qui, outre ses produits propres, héberge les offres de milliers de e-commerçants indépendants, dont certains en ont fait leur principal gagne-pain ; Uber bien sûr, venu bousculer le secteur parfois trop protégé du transport local ; AirBnB, agitateur en hôtellerie, casse-tête pour les maires des villes où il suscite un engouement qui peut questionner la raison d’être historique de la vile, « permettre à ses habitants d’y vivre (et travailler) ». Mais aussi des pléiades d’acteurs plus petits qui ont choisi ce modèle d’organisateur d’une place de marché, comme YoupiJob ou Stootie dans les services de bricolage par exemple.

En règle générale, ces innovations numériques, plates-formes ou non, apportent sans conteste des bénéfices de service aux consommateurs. Plus d’offres et parfois des offres qui n’existaient pas du tout, plus de canaux d’accès à ces offres, et parfois une baisse des prix à qualité égale, le client (le citoyens-consommateurs qui peut payer) s’y retrouve.

Dans une vision économique, celle notamment de l’Europe de Bruxelles, où il faut avant tout casser les monopoles, stimuler les marchés sans barrières, où l’innovation est par nature bénéfique, et où le juge de paix est le consommateur, cela est pain béni.

Mais il y a d’autres composantes économiques et sociétales que la seule satisfaction du client à ces forces numériques, et notamment celles qui touchent au second visage économique du citoyen : celui de fournisseur/ contributeur des DigiCorps. Par ce lien, le citoyen/ travailleur reçoit un revenu, et parfois le revenu qui lui permet de vivre au jour le jour. Sur cet aspect il faut distinguer plusieurs dimensions :

 

Relation DigiCorps-fournisseur : un risque de prolétarisation, régulable simplement

Et dans cet espace des situations de fournisseurs, il y a une zone à risque particulier au plan social et humain : celui des indépendants, particuliers ou professionnels solitaires, délivrant un service chronophage, dont le revenu de survivance dépend de ces DigiCorps. C’est le cas de nombre des chauffeurs Uber, de prestataires de service à domicile O2 ou les livreurs de Deliveroo. Pour ces populations le risque est simple : celui de se trouver dans un marché prolétarisé sans limites, avec une dynamique ressemblant à celui des journaliers d’hier (où les responsables d’usines venaient chercher sur la place publique la main d’oeuvre manquante du jour, à des prix dont ils avaient le contrôle exclusif), avec des prix pressés à la baisse par l’existence permanente de fournisseurs « désespérés » en quête d’activité à tout prix.

Or ce risque majeur est bien réel ; les déclarations et travaux d’Uber sur les voitures autonomes montrent clairement que ses relations avec les chauffeurs sont fondamentalement un pur équilibre d’intérêts personnels, opportuniste, sans une once d’esprit de partenariat. Mais il peut être préempté par quelques mesures simples, que des pouvoirs réglementaires locaux peuvent mettre en place, même face à des DigiCorps mondialisées :

 

Décideurs, à l’action ; le temps « digital » presse.

Ne nous y trompons pas. Chance ou malédiction, le numérique et les possibilités qu’il offre sont là pour durer, et transformer nos sociétés. Ils remettent en cause des équilibres tranquilles, des pratiques d’autres temps, et doivent inspirer de nouveaux modèles de liens sociaux. Ces modèles ont d’ailleurs sans doute des bénéfices aussi à être portés dans des endroits a priori abrités. Après tout, pourquoi la transparence des revenus ne serait elle pas pratiquée par l’Etat et les acteurs sociaux sur les régimes de retraite actuels ? Plutôt que des incantations et des a priori, on saurait si les cheminots, les fonctionnaires, les intermittents du spectacle, ont vraiment ou non un statut privilégié. On pourrait expliquer, de manière factuelle, la façon de viser de nouveaux équilibres, les raisons des efforts demandés à certains plus qu’à d’autres…

On le voit, la vague numérique est un vrai tsunami, porteur d’immenses chances et d’horribles catastrophes potentielles. Messieurs les décideurs, vous qui avez voulu le pouvoir de façonner nos vies, ne tardez pas à saisir la chance, qui s’offre à vous, de le faire intelligemment dans ce domaine. Le monde digital est fait pour les agiles et, comme le savent les champions de ce numérique triomphant, le gagnant prend tout.

 

F. Lainée

Fondateur des Politic Angels


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