Réponse à Monsieur Grua et son article sur les « trolls 2.0 »

par Guy Troisbord
vendredi 29 avril 2022

Cher Monsieur,

Vous avez bien voulu nous faire l'honneur d'un article sur des personnages que vous nommez "troll 2.0" et dont je comprends qu'ils ne partagent pas le même avis que vous sur la crise ukrainienne, mais ont le tort de le dire dans un langage, pour le moins irrespectueux, ce dont vous leur faites grief - à juste titre. Je comprends également que certains de vos contradicteurs semblent être de terribles cosaques opérant désormais dans des fermes à troll en Russie : les mêmes qui ont fait élire Trump en 2016, puis ont fomenté un coup d'Etat (raté) en 2021 dans ces mêmes USA. Les mêmes encore qui défendent un pouvoir disposant d'armes biologiques implacables. tellement implacables qu'elle sont capables d'attenter à la vie des opposants grâce à un poison extrêmement dangereux (même à des concentrations infinitésimales, d'après les services occidentaux) lequel réussi l'exploit de ne tuer aucun de ceux qui en sont la cible. Cette même Russie dont on exagère, volontairement, le potentiel militaire (elle a perdu son vaisseau amiral à cause d'un missile hors d'âge tiré depuis l'Ukraine) mais dont on craint, à juste titre, la puissance nucléaire.

Pourtant, il y a quelque chose que je ne comprends pas. Toute la presse de France (du moins celle qui y est autorisée et non censurée par l'UE) pense la même chose que vous : nous ne menons pas une guerre contre la Russie, mais nous menons une croisade pour délivrer la sainte Ukraine (comme au XIIème siècle) du péril rouge, et pour que le camp du Bien l'emporte sur celui du mal. Les nazis sont russes, alors que les ukrainiens peinturlurés de croix gammées sont des sortes de "faux nazis culturels" (c'est la faute de la haute administration soviétique qui était composée de juifs durant la grande famine, ce qui a créé ce ressentiment qui perdure), de vilains marmots chahuteurs mais pas violents pour deux sous et pas vraiment méchants (analyse véridique entendue sur un média de grande écoute).

Etes-vous une sorte de légat de la Papesse de l'UE qui a reçu pour mission d'évangéliser les derniers renégats d'Agoravox (qui ne sont qu'une poignée et dont le site ne compte que quelques milliers de visites par jour) ? Souhaitez-vous ne pas laisser les missionnaires de votre juste cause, ici présents, dépérir en leur apportant votre soutien, fort de vos précédentes missions ? On vous souhaite d'accomplir votre office et qu'il vous conduise au Paradis du libéralisme qui est de profiter au maximum, durant notre courte existence, des biens de consommation qui ne servent à rien mais qui vous donnent une apparence d'importance sociale (car l'au-delà ne saurait exister pour un vrai rationaliste n'est-ce pas ?).

Mais au fond, je m'interroge : cet espace de liberté que demeure Agoravox vous gênerait-il ? Et tel une Ursula Von der Leyen, vous souhaiteriez que l'on vous cache ce sein que vous ne sauriez voir ? C'est vrai que le troll, ça pue le français de comptoir : celui qui ne croit pas aux jémériades répétées à longueur de journée sur BFM (version populo) ou dans le Monde (version Bobo), voire dans Libé (version écolo-woke). Pour lui Macron n'est pas Jésus descendu sur Terre, mais plutôt un cavalier de l'Apocalyse qui s'attaque aux peu de priviléges qui lui restent et qui envoie la troupe contre ceux qui ne le reconnaissent pas pour le Messie. Bref, ce troll, c'est tout l'envers de votre monde (avec d'un côté les gentils et de l'autre les méchants qui sont bien identifiés et désignés, comme dans les films d'hollywood) et c'est forcément un méchant qui pue la vinasse et le fascisme, un cul terreux, un sans dent, un sous-citoyen dans la terminologie macronienne.

Peu importe d'ailleurs les raisons profondes qui ont conduit la Russie à attaquer l'Ukraine. L'OTAN, les USA, l'UE disent que c'est mal, alors c'est mal. Certes la Russie a juridiquement tort dans l'affaire ; tout comme les USA lorsqu'ils ont envahi l'Irak, l'Afghanistan, la Serbie et une bonne dizaine d'autres Etats sous des prétextes fallacieux (et parfois sous la présidence d'un prix Nobel de la paix, éh oui Ubu est roi dans notre monde), ou encore la France lorsqu'elle a décidé d'aller régler son compte à Khadifi, ou encore l'Arabie Saoudite qui jette actuellement des bombes françaises (cocorico !) sur le Yémen ; mais elle n'est pas la seule dans l'affaire. Et les ukrainiens, en préparant début 2022, une offensive sur le Dombass (si, si renseignez-vous et vous verrez que je dis vrai) pour régler définitivement leur compte à ces maudits russophones, après ne pas avoir respecté les accords de Minsk (vous me direz les russes non plus), ne sont pas des oies blanches. Quant à leur Président, mieux vaut s'en tenir à l'image d'Epinal et ne pas trop chercher, car on risquerait bien de trouver des motifs puissants de le tenir pour ce qu'il est : un comique troupier corrompu. Une sorte de Poutine ukrainien si vous voulez que j'égalise les choses (le côté comique en moins pour Poutine).

Mais vous avez raison, là n'est pas le problème, ce qui compte, c'est le troll : cette vision moderne du français moyen. Lui s'exprime par borborygmes et non dans un langage "châtié" en 140 caractères dans un média qui ne censure que ceux qui ne pensent pas comme on lui dit qu'il faut penser. "La liberté ne s'use plus si l'on s'en sert" suivant l'adage, mais elle a été remisée au garage et on a caché la clef qui permet de l'utiliser, ce qui évite qu'elle tombe dans de mauvaises mains et que n'importe qui ne la conduise (faudrait pas qu'elle ait un accident).

Comprenons-nous bien : je n'ai aucune espèce de tendresse pour Poutine, mais je comprends l'exaspération du peuple russe en face d'un occident qui ne souhaite que le rabaisser et transformer ce grand pays en lupanar géant (une sorte de Cuba d'avant la révolution), tout juste bon à livrer ses matières premières à prix discount, le tout dans une misère crasse qui favorise les "affaires". Et je vais encore vous choquer : j'ai plus d'empathie pour ce peuple fier qui veut croire en son histoire que pour les corrompus de Kiev qui conduisent l'Ukraine vers la dépradation véhiculée par cet Occident sans valeurs et qui ne croit plus qu'il est un civilisation. Si cela arrivait, ce serait un bien grand châtiment pour ce pays (en tant que missionnaire formé aux choses religieuses, c'est un langage que vous devriez comprendre).

Mais de tout cela, on se moque : quand on est dans une guerre de religion (fut-ce pour défendre la religion libérale "droit-de-l'hommiste"), on a raison et les autres tort. Point barre. C'est l'avantage de la morale sur le droit : quand on fait le "bien", peu importe de respecter les règles qu'on impose aux autres. On peut à loisir, "geler" les avoirs russes, tuer ses milliardaires à la sauvette (on les nomme "oligarques" pour bien faire comprendre que ce ne sont pas B. Arnault ou E. Musk), traiter les russes exilés en paria et les stigmatiser, ce ne sont que des avatars du Diable. Par contre, on accepte de payer leur gaz en rouble. L'argent n'a pas d'odeur paraît-il, et les roubles ne sont pas souillés de tâches de sang ukrainien à ce qu'il semble.

Maintenant, je vous pose une simple question, ainsi qu'à ceux qui soutiennent le régime ukrainien : qu'est-on allé faire dans ce guêpier ? Qu'est-ce qui nécessite que nous allions nous mettre en guerre avec la Russie ?

Nous n'avons aucun intérêt stratégique majeur qui nécessite que nous prenions le risque d'une guerre totale (y compris nucléaire) avec la Russie. Car si Poutine est aussi malade qu'on le dit : c'est ce qui nous pend au nez. Nous aurons l'air malin, si la Russie venait à nous bombarder à force de s'exaspérer de nos "sanctions" (qui semblent aussi efficace qu'une piqûre d'araignée sur un ours), ou à bombarder l'un de nos alliés qui aurait eu la mauvaise idée d'envoyer des servants et des soldats en plus de ses armes lourdes (au hasard la Grande-Bretagne). A cause du mécanisme des alliances, nous serions pris dans la spirale de la guerre de la même manière que nos aïeux un siècle plus tôt. Et je crains qu'alors tous les français qui sont actuellement prêts à mourir jusqu'au dernier ukrainiens, ne trouvent finalement que c'est très cynique de la part des américains d'être prêts à mourir jusqu'au dernier français, tout en pleurant nos morts à coup des mêmes larmes de crocodiles que celles avec lesquelles nous pleurons les Ukrainiens aujourd'hui... Vous me direz : cela nous permettra de tester notre foi en l'Espérance libérale ; mais connaissant la force d'âme de ces valeureux chevaliers du temple libéral, je prédis davantage un Azincourt qu'un Bouvines... 

En tout cas, cette crise a un mérite : elle a totalement détruit le mythe selon lequel : "l'Europe c'est la paix", car grâce à Ursula, nous pouvons désormais dire "l'Europe, c'est la guerre". N'oublions jamais que le guerre c'est la décision prises par des vieilles personnes d'aller faire mourir des jeunes personnes. Personnellement, même d'âge mûr, je ne vois pas l'utilité que des jeunes meurent pour une cause aussi absurde que la guerre en Ukraine. Ce n'est pas du cynisme mais du réalisme, ou alors il faut intervenir partout : à commencer par l'Arabie Saoudite qui a tué des centaines de milliers de civils yéménites. Heureusement, il vous restera toujours l'arme de la moraline pour vous justifier ; laquelle est à la morale ce que la casuistique est à la vérité.

Je ne soutiens pas la Russie, mais si nous faisions de la géostratégie et que nous avions une politique extérieure sérieuse, au lieu de réciter des poncif éculés et mal à propos, nous n'aurions jamais mis, ne serait-ce qu'un orteil, dans cette crise. Finalement, si c'est cela que voulait dire votre "troll", même de manière injurieuse, il aurait raison et vous tort. Désolé de vous le dire.

Quant aux "trolls" de manière générales, sachez qu'il en existe de tous les bords, sous tous les drapeaux (certains arborent fièrement ici un drapeau ukrainien comme si ça en faisait des sortes de héros) et sous tous les pseudos, avant on appelait cela des imbéciles et on ne les écoutait pas ; mais désormais, et je vous rejoins, il faut se les coltiner à longueur de temps, et c'est usant. C'est la menue monnaie de laiton avec laquelle chacun d'entre eux vous paie le prix d'avoir rédigé un article ; et elle vous encombre d'autant les poches que vous êtes habile à ordonner vos idées et eux leur bêtise.

 


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