Répression syndicale et politique à Hong-Kong (avril 2021) : la condamnation de Lee Cheuk Yan marque une évolution dramatique

par remiaufrere
lundi 26 avril 2021

 

La condamnation de Lee Cheuk Yan marque une évolution dramatique mais peu surprenante (18 mois de prison ferme)...

 

Depuis 1984, vous avez beaucoup parcouru l'Asie pour des voyages personnels et professionnels. Vous vous êtes rendu à Hong-Kong à huit reprises entre 1995 et 2010. Vous avez connu la souveraineté britannique et le retour du territoire à la "mère patrie" selon l'expression de la République Populaire. Depuis plusieurs années, le pouvoir de Pékin accroit sa répression sur les citoyens de Hong-Kong et les activistes syndicaux et politiques qui défendent la liberté d'expression.

Lee Cheuk-yan, secrétaire général du syndicat HKCTU vient d'être condamné et incarcéré pour 18 mois pour avoir organisé des manifestations pacifiques visant à défendre la démocratie sur ce territoire chinois...

Rémi AUFRERE-PRIVEL(*)

D'abord, il faut savoir qui est Lee. J'ai eu l'occasion de le rencontrer plusieurs fois à compter de 1996. Ma première rencontre fut une réunion avec Chris PATTEN, dernier gouverneur britannique du territoire sur la situation des droits syndicaux et humains à Hong-Kong dans le cadre de la rétrocession l'année suivante. Il faut comprendre qui est Lee, et qui sont ces militants syndicalistes et activistes associatifs et politiques qui se battent depuis la fin des années 70 pour introduire plus de démocratie à Hong-Kong.

Lee Cheuk-yan (chrétien assumé) est né dans le Guangdong en 1957. Sa famille émigre en 1959 à Hong-Kong parce que les conditions de vie dans la province du nord de Pékin sont particulièrement difficiles(1). En cette fin des années 50, il est encore possible de s'installer à Hong-Kong. A l'âge de 21 ans (en 1978), il s'engagera activement dans les premières actions militantes pro-démocratie et syndicales libres. 

A compter de 1982, l'avenir du territoire, qui doit être rétrocédé à la Chine Populaire, est posé. En juillet 1984, le gouvernement de Hong-Kong effectue une consultation sur la démocratisation qui sera un échec par le nombre infinitésimal de citoyens répondants (364). Ce résultat expliquera en partie l'absence d'enthousiasme de la Grande-Bretagne sur ce sujet essentiel, sans oublier la recherche d'un équilibre politiquement correct avec la Chine de Deng Xiaoping.

Sur la base de la déclaration commune sino-britannique du 19 décembre 1984 (2), l'Assemblée Nationale Populaire Chinoise adopté le 4 avril 1990 la loi fondamentale de la région administrative spéciale de Hong-Kong qui affirme un principe "un pays, deux système". Ce texte est essentiel car il engage la R.P. de Chine a appliqué intégralement des dispositions du droit international (non appliqué totalement en Chine Populaire) comme la liberté individuelle, libertés syndicales, égalité devant la loi, liberté de la presse, droit à la propriété, sans oublier les dispositions du pacte international relatif aux droits civils et politiques, le pacte international relatif aux droits économiques sociaux et culturels et les conventions fondamentales de l'O.I.T. (3).

L'un des combats majeurs des militants pro-démocratie du territoire est d'obtenir du gouverneur britannique le suffrage universel direct pour tous les élus du LEGCO (Conseil Législatif de Hong-Kong qui est le "parlement"). Chris PATTEN, dernier gouverneur britannique de Hong-Kong, bien que convaincu de ce juste combat, ne sera pas mandaté pour obtenir une représentation parlementaire avec un scrutin universel pour désigner tous les élus.

Le 4 juin 1989, le massacre de Tien-an-men sera un profond traumatisme pour une large majorité des Hongkongais (fait inédit : un million de manifestants défileront dans le centre du territoire). Et parmi les nombreux actes individuels, citons celui de Xiu Jatun, Directeur du bureau de Hong-Kong de l'Agence de presse officielle Chine Nouvelle qui soutiendra le mouvement démocratique de Pékin et partira en exil aux Etats-Unis en février 1990.

Lee Cheuk-yan, Elisabeth Tang (son épouse), Carol Ng (présidente du HKCTU actuel), Lau Chin-shek sans oublier Han Dong Fang seront avec d'autres activistes démocrates comme Martin Lee au premier plan du combat démocratique. Mon ami Han Dong Fang possède un parcours empreint d'un courage remarquable. En effet, il sera à l'origine de la création du premier syndicat ouvrier libre de Pékin (fin mai 1989) pendant ce printemps de mai-juin 1989. Après une période très dure d'emprisonnement, il sera autorisé à gagner Hong-Kong. Il créera le China Labour Bulletin avec une organisation disposant de nombreux correspondants clandestins dans toutes les provinces chinoises avec l'objectif de défendre les droits des travailleurs et connaitre la réalité de la vie économique et sociale en Chine Populaire.

J'ai aussi débattu avec Margaret Ng, universitaire, journaliste et ancienne élue qui est aujourd'hui avec Martin Lee, également menacé avec une peine sous sursis.

Quels furent vos échanges avec le HKCTU durant ces années 90 ?

Nous discutions beaucoup et avec passion lors de mes venues à Hong-Kong mais aussi lors des réunions de la CISL Asie du sud-est (aujourd'hui CIS) à Singapour et ailleurs ainsi qu'avec tous les syndicalistes étrangers et experts internationaux comme le bureau de représentation de l'AFL-CIO à Bangkok et de l'OIT. Des échanges nécessaires et très instructifs pour moi et le secrétariat confédéral de FO (Marc Blondel et Jacques Pé). Cela permettait d'avoir une analyse fine de la situation. C'est grâce à ce réseau de militants syndicaux et des droits humains que je fis une visite d'étude clandestine dans la zone économique spéciale Zhuhai dans des usines textiles dont je garde un souvenir mémorable.

Les syndicats HKCTU et HKTUC avec les nombreuses associations citoyennes et le parti démocrate furent, et sont encore, des organisations solides et très combatives. Elles ont participées et conçues avec d'autres, notamment des jeunes activistes (comme Joshua Wong), des rassemblements et manifestations qui ont eu un retentissement très important depuis la rétrocession. Il faut rappeler l'affaire de l'enlèvement de plusieurs libraires et éditeurs de Hong-Kong qui avaient la mauvaise idée de diffuser des ouvrages libres et critiques de la politique de Pékin.

Quelles sont les raisons de cette condamnation à 18 mois de prison ferme pour Lee et les autres attaques judiciaires contre Margaret Ng et Martin Lee ?

Hong-Kong connait une situation très tendue surtout depuis 2003 (loi anti-subversion) puis en 2014 (révolte des parapluies). Le principal motif de colère est la possibilité pour les autorités de la péninsule de condamner pour des raisons de liberté d'expression en tout genre des hongkongais avec la possibilité de les incarcérer en Chine Populaire. Pour Lee, comme pour tous les défenseurs des libertés civiles et politiques, les manœuvres du pouvoir chinois sont extrêmement graves. A terme, ce pourrait être, par exemple, la remise en cause du syndicalisme libre et indépendant (convention 87 de l'OIT par exemple), l'interdiction de la commémoration de la répression du 4 juin 1989, et la suppression de toute expression "dissonante" publique voire privée.

Ces dernières années, les violences policières ont pris une ampleur inégalée à Hong-Kong. La dirigeante du territoire Carrie Lam a sans doute été menacée par Pékin si elle n'utilisait pas la force brutale avec la menace d'une intervention de l'armée populaire. Lee et ses camarades ont dénoncés deux faits graves les 21 juillet et 31 aout 2020 après la fin des manifestations où triades et police n'ont pas hésités à frapper durement bien au-delà des manifestants dans des stations de métro (affaire de Yuen Long notamment). Cela remet en cause la confiance d'un grand nombre de citoyens dans leur police.

Lee Cheuk-yan a été arrêté à deux reprises le 18 février et le 26 avril 2020. Avec tous les autres démocrates, il sait qu'il peut être durement sanctionné et le récent jugement avec 18 mois de prison ferme le concernant montre qu'il est réaliste et combatif. Rappelons que 10200 personnes avaient été arrêtés en 2019 pour faits de manifestations.

L'homme de médias milliardaire et activiste démocrate, Jimmy Lai (72 ans) a été condamné également à 14 mois fermes. Martin Lee (82 ans), vétéran du Parti Démocrate surnommé le "père de la Démocratie" est condamné à 11 mois avec sursis et Margaret Ng 12 mois. Le jeune militant Leung Kwok-hung (baptisé "long hair" par les médias et les hong-kongais) a connu une peine dure avec 18 mois fermes.

Les motifs des condamnations sont très divers et sortent d'une littérature d'espionnage et de guerre froide : "conspiration avec des forces étrangères", "sédition", "terrorisme", sécession". Mais nous ne sommes pas dans un mauvais film de guerre.

Parmi les justifications d'une telle répression, c'est la nécessité de mettre au pas de Pékin Hong-Kong pour être en position de menacer "Taiwan" (R.O.C.). Cette phase aigue de répression montre l'absolutisme de Xi Jinping. Rappelons à nouveau qu'il concentre sur lui-même encore plus de pouvoirs politiques personnels que ... le grand timonier Mao.

IL faut aussi indiquer que malgré la grande stratégie de propagande déployée par Xi Jinping pour montrer sa capacité de leader dans la lutte contre la pandémie mondiale du COVID 19, des voix se sont élevées en Chine continentale critiquant sa politique. Les réseaux sociaux chinois contrôlés (4) par le P.C.C. ont déployés d'immenses efforts de propagande pour expliquer la puissance et l'intelligence du dirigeant chinois face à la crise du COVID 19. Tout est fait pour éviter de mettre en cause la responsabilité de la République Populaire dans l'origine de la pandémie. Cette excès de propagande montre que cette situation demeure critique pour le pouvoir.

Hong-Kong permet de détourner l'attention d'une opinion publique chinoise certes toujours obsédée par l'enrichissement personnel et familial mais aussi un peu plus par son bien-être physique... et moral. Vu le niveau de corruption généralisé et l'absence de toute éthique dans le respect des contrats écrits, certains citoyens croient avec moins de vigueur dans la vitalité de "l'économie socialiste de marché". Avec le génocide des ouighours et la stratégie conquérante dans les archipels des Spratleys et des Paracels, l'installation de bases militaires éloignées (comme à Djibouti) et l'achat de nombreuses terres rares en Afrique, Hong-Kong est un des moyens supplémentaires pour rappeler au monde entier que la Chine Populaire veut devenir la première puissance mondiale. Tout cela en imposant ses règles qui sont celles d'un pouvoir dictatorial qui n'entend pas souffrir des débats politiques et sociaux contraires à sa stabilité.

Pour la Chine populaire, Hong-Kong présente moins d'intérêt économique et financier que par le passé. Mais une fin rapide de cette place boursière mondiale serait un handicap pour Pékin. La confiance de certains milieux économiques envers Xi Jinping par rapport à Hong-Kong est émoussée. Mais que pèse Kowloon et les "nouveaux territoires" face à l'énorme marché intérieur chinois ? Trop peu sans doute...

C'est également cela que dénonce Lee Cheuk-Yan et beaucoup d'autres. Il a exprimé sa déception devant l'attitude des milieux d'affaires.

Selon Lee, "la libre entreprise ne devrait pas permettre au Parti communiste de dicter ce qui se passe à l’intérieur des entreprises". Et il s'attend à voir arriver des "secrétaires privés du Parti Communiste dans chaque entreprise" comme en Chine Populaire.

Quelles sont les perspectives pour Hong-Kong ?

Ce qui parait extraordinaire (et émouvant), c'est la mobilisation des hongkongais et notamment des plus jeunes d'entre eux. Ce sont celles et ceux qui n'ont pas connu, ni les travaux de la déclaration fondamentale de 1984, ni les propositions progressistes de Hu Yaobang en 1986 puis la boucherie de Tian-an-men (juin 1989) sans oublier la rétrocession de 1997 voire les premières menaces directes en 2003 et 2007 contre la loi fondamentale de Hong-Kong et son principe "un pays, deux systèmes". Une loi fondamentale que Pékin n'entend plus respecter depuis longtemps.

Il existe différents scénarios pour Hong-Kong. Il est difficile de prédire l'avenir. Et Lee Cheuk-yan est réaliste et combatif par ses propos (octobre 2019) :

"D’une certaine façon, c’est bien que tout cela arrive maintenant. Le choc entre les deux systèmes, entre les deux valeurs, il est là depuis toujours. Dans le passé, c’était la loi anti-subversion [2003], puis il y a eu le mouvement des parapluies en 2014.

Fondamentalement, nous sommes enlisés dans un système inique, sans avenir politique… il est donc bon que tout cela explose avant 2047. S’il n’y avait pas de résistance aujourd’hui, imaginez ce qui pourrait advenir en 2047 – quand nous disposerons d’encore moins de marge de négociation à cause de toute la Loi fondamentale. Nous résistons aujourd’hui dans l’espoir que les choses iront mieux en 2047. Il est très urgent que nous luttions maintenant pour sauvegarder l’avenir de Hong Kong, notre système et nos valeurs."

Hong-Kong et Taiwan sont les preuves que des chinois peuvent vivre et faire appliquer des principes démocratiques universels. Cela est insupportable pour le dirigeant autocrate qu'est Xi Jinping. Pour Pékin, c'est un enjeu essentiel de politique intérieur. Proclamer son nationalisme est un élément de grande cohésion en Chine. C'est une marque supplémentaire d'une volonté politique forte que d'affronter plusieurs pays adversaires en Mer de Chine. Il s'agit aussi de conquérir des territoires assurant (par le contrôle de matières premières) la place hégémonique mondiale. Le "pays du milieu" veut retrouver sa place : celle du centre du monde.

La répression à Hong-Kong matérialisée par la condamnation de Lee Cheuk-yan sera le reflet de notre volonté ou de notre faiblesse. Il faut repenser nos rapports avec la Chine de Xi Jinping. Il ne croit qu'au rapport de force exprimé et engagé avec la plus grande dureté. Eviter un conflit armé, même de "faible intensité", sera déjà un premier défi. Conditionner nos échanges économiques et financiers aux libertés et conventions universelles fondamentales avec leur application réelle serait une étape essentielle pour une nouvelle organisation du monde avec les impératifs du développement durable.

Au niveau du monde syndical, il faudra en finir avec la volonté de certains responsables et syndicats occidentaux et asiatiques (affiliés à la CIS souvent anciens de la FSM) de vouloir engager un partenariat officiel avec le syndicat officiel de la République Populaire de Chine. L'absence de clarification serait un exemple de cynisme.

Car le combat démocratique n'est pas perdu. Il faut poursuivre notre soutien indéfectible. Et l'inscrire dans le réel par des actes au-delà des communiqués et autres nécessaires déclarations de solidarité.

Les grandes démocraties doivent être à la hauteur des principes et valeurs qu'elles prétendent défendre.

"Stand tall" ("gardons la tête haute") a déclaré Jimmy Lai. Soutenons ce combat parce qu'il est le nôtre !

 

(*)Rémi AUFRERE-PRIVEL est cadre à la Direction du Groupe SNCF (RSE/ Lien social et Territoires). Il a exercé des responsabilités politiques et syndicales notamment assistant confédéral FO Asie auprès de J.Pé et Marc Blondel (1993-1999), auditeur puis conseiller technique O.I.T délégation travailleurs France (1997-1998), membre de la délégation française A.G. ONU New-York (sept.1997). Actuellement, membre du bureau de la FGTE-CFDT.

(1) Le "Grand bond en avant" (1958-1960) est une politique décidée par le gouvernement de la République populaire de Chine (Mao), en janvier 1958. Elle provoque dès fin 1958 une famine qui durera jusqu'en 1962.

(2) https://researchbriefings.files.parliament.uk/documents/CBP-8616/CBP-8616.pdf

A noter que la déclaration n'est plus accessible sur le site internet du gouvernement de la Région de Hong-Kong.

(3) Les huit conventions fondamentales sont les suivantes :

Convention (n° 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948 

Convention (n° 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949 

Convention (n° 29) sur le travail forcé, 1930  (ainsi que son protocole de 2014 )

Convention (n° 105) sur l'abolition du travail forcé, 1957 

Convention (n° 138) sur l'âge minimum, 1973 

Convention (n° 182) sur les pires formes de travail des enfants, 1999 

Convention (n° 100) sur l'égalité de rémunération, 1951 

Convention (n° 111) concernant la discrimination (emploi et profession), 1958 

(4) De nombreux accès à des sites internet et applications non-chinois sont strictement impossibles depuis la Chine continentale (Google, Yahoo, sites de presses européennes et nord-américaines, etc.). Hong-Kong connait des perturbations du réseau.


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