Restauration : des clients dupés ou pris en otage !

par Fergus
lundi 27 juillet 2009

La récente baisse de la TVA dans la restauration devait se traduire par un allègement significatif des additions. Bienheureux les clients qui en ont profité si l’on en juge par le faible pourcentage d’établissements qui ont joué le jeu. L’enquête que j’ai conduite à Rennes est à cet égard éloquente. Comme est éloquent le nombre croissant de restaurants délibérément hors-la-loi vis-à-vis de leurs obligations en matière d’affichage du prix des vins...

Le 2 décembre 2008 à Lille, Christine Pujol a officiellement été élue à la tête de la puissante Union des Métiers de l’Industrie Hôtelière lors du 56e Congrès de l’UMIH organisé en présence du ministre Hervé Novelli. Comme son prédécesseur André Daguin (surnommé d’Artagnan pour sa faconde gasconne), Christine Pujol a, depuis cette date, exercé un lobby constant auprès du gouvernement et de la présidence de la République pour obtenir ce que n’avait pu arracher Jacques Chirac à ses homologues européens : la baisse de la TVA dans la restauration classique.


Comme chacun sait, cette baisse a finalement été actée le 10 mars 2009 par les 27 ministres de l’Économie et des Finances de l’Union européenne. Encore ne savait-on pas, à ce moment-là, quel taux de TVA serait retenu par les pouvoirs publics : 12 %, 10 %, ou bien 5,5 % comme le réclamait l’UMIH pour aligner la profession sur la restauration rapide ? Après de nombreux débats et d’âpres négociations avec les professionnels du secteur, le taux a été fixé à 5,5% en échange d’un certain nombre d’engagements inscrits noir sur blanc dans un Contrat d’Avenir cosigné le 28 avril 2009 par l’État et neuf organisations professionnelles*, au premier rang desquelles l’UMIH.


Ces engagements portaient sur trois volets : 1) la baisse des prix dans la restauration ; 2) la création de 40 000 emplois en deux ans et l’amélioration de la condition des salariés ; 3) la mise en ouvre d’investissements de modernisation. Dans le communiqué commun publié le 30 juin 2009 par Christine Lagarde et Hervé Novelli – communiqué largement repris dans les médias –, le volet baisse des prix est ainsi détaillé : « Dans la restauration traditionnelle, la baisse de la TVA sera répercutée intégralement sur au moins 7 des 10 produits suivants (sur place ou à emporter) : Une entrée, un plat chaud (viande ou poisson), un plat du jour, un dessert, un menu entrée-plat, un menu plat-dessert, un menu enfant, un jus de fruit ou un soda, une eau minérale, un café, un thé ou une infusion. Cela correspond à une baisse de prix d’au moins 11,8% sur ces produits. »


Des consommateurs manipulés


Près d’un mois après l’entrée en application de cette baisse (1er juillet), on est très loin du compte, et de nombreux clients de la restauration ont clairement l’impression d’avoir été dupés par les promesses du gouvernement et des syndicats professionnels. À tel point que les pouvoirs publics ont reconnu le 16 juillet, par la voix d’un Hervé Novelli se référant à des chiffres de la DGCCRF (Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes), qu’« un établissement sur deux a baissé ses prix ». Une communication gouvernementale aussitôt reprise par la plupart des médias français décidément peu sourcilleux sur les manipulations dont ils se rendent complices. Car au-delà d’un taux de 50 % qui semble très contesté un peu partout sur le territoire, il est tout simplement faux d’affirmer que les restaurants ont « baissé les prix ». Tout juste ont-ils baissé des prix, dont une forte proportion de plats ou de boissons peu demandé(e)s par la clientèle.


Des enquêtes à venir, menées par les journalistes des grands magazines de consommation ne manqueront pas de nous éclairer dans les prochaines semaines sur la réalité de la situation au niveau national. Sans attendre leurs résultats et leurs analyses, j’ai mené ma propre investigation dans les rues du centre-ville de Rennes.


Les résultats sont édifiants : sur 119 restaurants, 35 seulement, soit 29,4 % ont mis en œuvre une baisse de la TVA, avec ou sans affichette officielle. Une baisse qui, en outre, est le plus souvent très éloignée des engagements pris lors des États généraux de la restauration. Fort peu de références ont, en effet, bénéficié de cette baisse sur les cartes rennaises, certains établissements s’étant même contentés de baisser le prix d’un seul plat ou du menu enfant ! En moyenne, trois ou quatre références ont baissé par restaurant concerné, soit un chiffre nettement en retrait des 7 références prévues dans le Contrat d’Avenir.


Encore faut-il noter que, sur ces 119 restaurants, certains appartiennent à des chaînes qui, presque toutes, ont joué le jeu conformément aux engagements pris. C’est par exemple le cas de la Pizzeria Del Arte. Un constat qui montre à quel point les restaurateurs indépendants n’ont suivi ni les consignes de l’UMIH, ni l’exemple de sa présidente, patronne de la brasserie du Donjon dans la cité de Carcassonne. Certes, un certain nombre d’entre eux connaissent, du fait de la crise économique notamment, des difficultés réelles, et cette baisse de la TVA arrive à point nommé pour leur donner une bouffée d’oxygène, comme l’a souligné à diverses reprises dans les médias Christine Pujol. Mais pour un cas justifié, combien ne le sont pas ?


Une chose est sûre : on est bien loin des ambitions affichées par le gouvernement et les syndicats professionnels, bien loin d’une répercussion significative de la baisse de la tva sur les additions des consommateurs. En cela, il y a eu tromperie du public. Et ce ne sont ni les 29,4% que j’ai constatés à Rennes, ni les 30% avancés par le site Tout-Paris pour la capitale qui dissiperont ce malaise, bien au contraire. Pas plus que le pessimisme affiché le jeudi 22 juillet par l’économiste Alain Trannoy sur le plateau de l’émission C dans l’Air intitulée avec pertinence « TVA : les restos résistent ».


Près d’un restaurateur sur deux hors-la-loi

Les restaurateurs sont également en première ligne sur un tout autre plan : l’affichage du prix des vins. L’arrêté du 27 mars 1987 (modifié par l’arrêté du 29 juin 1990) fixe de manière claire les règles applicables en matière d’affichage des prix dans « les établissements servant des repas, denrées ou boissons à consommer sur place ». 

Que dit cet arrêté ? Que « les menus ou cartes du jour ainsi qu’une carte comportant au minimum les prix de cinq vins, ou à défaut les prix des vins s’il en est servi moins de cinq, doivent être affichés de manière visible et lisible de l’extérieur : pendant la durée du service et au moins à partir de 11 h 30 pour le déjeuner et de 18 h pour le dîner. » 

Une obligation qui est de moins en moins respectée, au mépris de la loi et, plus étonnant, sans que les DDCCRF (Directions départementales) s’en émeuvent. Ce constat, je l’ai fait non seulement en Bretagne, mais également à Paris, Marseille, Nevers, Bourges et Chamonix, le taux d’illégalité en la matière frisant désormais un peu partout les 50 %. À Rennes, 43,7 % de restaurateurs sont hors-la-loi !

La raison semble assez évidente : plus le pouvoir d’achat des clients diminue, plus ils sont regardants sur leur consommation, renonçant ici à un dessert, se contentant là d’un menu meilleur marché. Cette réalité est confirmée par de nombreux restaurateurs et reconnue par l’UMIH. Le hic (si je puis dire, eu égard au sujet) réside dans la méthode qu’ont choisi ces restaurateurs pour compenser la perte de recette : augmenter les prix des vins, traditionnelle source de marge et, en quelque sorte, variable d’ajustement.

Le problème est qu’ils ont fortement appuyé sur le crayon, au point que les prix se sont envolés et sont désormais tellement dissuasifs que les clients hésitent à entrer dans les établissements qui jouent la transparence. D’où la disparition de ces prix des cartes exposées aux regards extérieurs, les professionnels ayant désormais opté pour... la prise en otage. Très peu de clients, une fois installés dans les établissements avec épouse ou amis, prennent le parti de se lever et de sortir après avoir découvert le prix des bouteilles. Un prix qui flambe, au point qu’il est désormais courant de devoir payer une simple AOC vendue 5 ou 6 euros dans la grande distribution beaucoup plus cher (de 20 à 25 euros) qu’un menu complet avec entrée, plat et dessert ! Dernièrement à Marseille, nous sommes allés, mon épouse et moi, dans un restaurant corse du quartier des Arceneaux pas spécialement huppé où nous avons découvert, une fois assis et carte en main, qu’aucun vin n’était vendu moins de… 28 euros, pas même les plus modestes AOC ! Nous sommes immédiatement ressortis, bien décidés à ne plus être les dindons de cette farce et les victimes complaisantes d’une atteinte délibérée à la loi.

J’invite tous les lecteurs d’AgoraVox à agir de même pour que leurs droits soient respectés et, comme je m’apprête à le faire, à écrire à la DGCCRF pour dénoncer ces dérives et stigmatiser le laxisme des Directions départementales face à ces manquements caractérisés à la loi. « Le client est roi », affirmait-on naguère dans le commerce ; il serait temps de le rappeler aux professionnels qui ont plutôt tendance désormais à ne voir en lui qu’un… gogo !

* Neuf organisations professionnelles ont signé ce contrat d’avenir avec l’Etat : l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (UMIH), la Confédération des professionnels indépendants de l’hôtellerie (CPIH), la Fédération autonome générale de l’industrie hôtelière touristique (FAGIHT), le Groupement national des chaînes hôtelières (GNC), le Syndicat national de la restauration publique organisée (SNRPO), le Syndicat National de l’Alimentation et de la Restauration Rapide (SNARR), le Syndicat National des Espaces de Loisirs, d’Attractions et Culturels (SNELAC) le Syndicat National de la Restauration Thématique des Chaînes (SNRTC), et le Syndicat National des Hôteliers, Restaurateurs, Cafetiers, Traiteurs (SYNHORCAT).

Lire l'article complet, et les commentaires