Restriction de la liberté d’installation : vers une médecine libérale à deux vitesses ?
par yann
jeudi 4 octobre 2007
La volonté du président de la République et du gouvernement, en la personne de la ministre de la Santé, de restreindre la liberté d’installation des médecins libéraux dans les zones à forte densité médicale, a déclenché le courroux des principaux syndicats de médecins libéraux, d’internes mais aussi d’étudiants. Cette volonté, esquissée dans le PLFSS 2008 (Projet de loi de financement de la Sécurité sociale) qui doit prochainement être soumis à l’Assemblée, a surtout été confirmée par les déclarations du président de la République et de Mme Bachelot. Ces derniers déclarent vouloir s’inspirer d’accords conclus en juin avec les syndicats d’infirmières libérales, qui stipulent notamment, en plus de mesures incitatives à l’installation maintenues en zones déficitaires, des mesures coercitives. C’est ainsi qu’internes et chefs de cliniques de la France entière font depuis jeudi la grève des gardes et des astreintes, avec un taux de participation élevé.
Ainsi M. Sarkozy le 18 septembre : "le protocole d’accord de juin 2007 visant à limiter l’installation d’infirmières libérales dans les zones où elles sont en surnombre pourrait servir d’exemple pour améliorer la répartition des médecins sur le territoire. Il n’est pas normal, à la fois pour des raisons d’équité et d’efficacité, que la répartition des médecins sur le territoire soit aussi inégale". Les modalités précises ne sont bien sûr pas encore définies, ce qui rend toute réflexion quelque peu hasardeuse, mais suivant le principe de la réforme négociée avec les infirmières, il semblerait que les médecins s’installant en zone de surpopulation médicale seraient susceptibles d’être déconventionnés.
Sur la forme, le constat de M. Sarkozy sur l’anormalité de tels déséquilibres d’accès aux soins est tout à fait justifié et inattaquable, et aucun partenaire social ne nie la nécessité urgente d’influencer de façon significative sur la démographie médicale. C’est sur les modalités que les avis divergent.
Le problème est simple : il faut réduire les inégalités de répartition. Qu’à cela ne tienne, la réponse du président est claire : appliquons la politique du bâton et de la carotte. Puisque les mesures incitatives en place dans plusieurs départements depuis quelques années ne fonctionnent pas (la carotte), reste le bâton ! D’où les mesures coercitives envisagées, ou plutôt l’ « incitation négative », selon Mme Bachelot.
Cependant méfiance : la solution proposée risque fort d’avoir des effets pervers. En effet, les mesures coercitives peuvent peut-être limiter dans une certaine mesure les inégalités de répartition. Mais en accroissant le nombre de médecins déconventionnés, qui ne sont donc plus liés par contrat avec les organismes de Sécurité sociale, les tarifs des consultations risquent également de diverger fortement entre les praticiens, entraînant une inégalité d’accès aux soins et une médecine à deux vitesses, effet inverse de l’objectif officiellement recherché.
D’autre part, les mesures incitatives déjà en place ont été jugées inefficaces un peu trop prématurément : hétérogénéité et mauvaise lisibilité au niveau national, promotion très insuffisante auprès des futurs médecins, et mériteraient une organisation plus hierarchisée et plus rationnelle.
Enfin la désaffection des jeunes médecins pour la médecine générale, problème déjà d’actualité puisque cette spécialité est malheureusement trop souvent choisie par défaut, risque fort d’être accentuée puisqu’elle sera touchée en première ligne par une restriction de la liberté d’installation. De même, au lieu de s’installer, les praticiens débutants risqueraient de privilégier des remplacements pour contourner les contraintes à l’installation, évolution qui ne serait pas non plus dans l’intérêt du patient.
Ces éléments devront impérativement être pris en compte, sans quoi on peut d’emblée émettre de sérieux doutes sur les bénéfices réels d’une réforme simplificatrice, d’autant que des tentatives similaires menées dans des pays voisins (Allemagne et Suisse, en particulier) n’ont pas permis d’amélioration significative. Affaire à suivre...