Retour à La Feuillée, « pen ar bed », et ses 112 poilus, debout sur la place !

par velosolex
mercredi 5 décembre 2018

                            

       Je suis revenu à La Feuillée. Je voulais refaire le tour du village, voir si les 112 soldats peints par Guy Denning sur les murs des maisons tenaient toujours la position. 

       Il faisait encore si beau. Mais depuis la commémoration du 11 Novembre, la pluie et le vent n’avaient pas cessé, transformant les landes en bourbier. Les derniers touristes avaient mis leur vélo sur le toit des voitures, rangé leur godillots, abandonnant les chemins de brume, les calvaires au lichen humide, les chapelles perdues, les manoirs poignardés, prolongeant vers le ciel les gris du granit sur lesquelles elles sont assises.

        

     Le pays était rendu à lui-même ! Mais avait il été vraiment dérangé ? Le tourisme ici est celui des pataugas et de la lumière intérieure. Peut-être bien d’une grande modernité. Les temps seraient-ils en train de changer ? Le vent d’ouest s’était mis à souffler de plus en plus fort, par rafales rageuses, faisant frémir la forêt, se tasser les rochers sur leurs pattes. Les poilus allaient-ils pouvoir résister longtemps, dans leur habits dérisoires de papier kraft, collés sur les murs des maisons.

     Leurs racines, il est vrai, étaient d’un autre ordre que ces arbres que l’on voit déracinés les lendemains de tempête. Tout le monde au village avaient voulu accueillir les soldats sur le fronton des maisons !.

      Cela avait été une sacrée surprise pour tous ! Pensez ! Personne ne les attendait plus, depuis tout ce temps. Cent ans, c’est long ! Mais c’est court aussi. Juste trois ou quatre générations d’hommes pour qui cette guerre ne fut pas même la dernière.

     Cette œuvre en 112 pages d'hommes, grandeur nature, semble sortir d’un livre de contes gothiques, et est bien plus propice à nous parler de l’ineffable que les gardes à vous martiaux et patriotiques.

     A La Feuillée, comme ailleurs, les voix des familles ont été bâillonné par la nécessité de survivre. Quand au train qui desservait jusqu’au début des années 30 la gare, il ne reste même plus les rails, accentuant la désertification du pays. Un fait sans aucun doute lié à la saignée des hommes, aux familles démembrées. Car les conséquences d'une guerre ne sont comptabilisées nulle part. Comme dans tant d'autres villages de France, n’y a pas eu de bureau des larmes et des lamentations à La Feuillée. Ce n’est pas d’ailleurs dans l’ADN de ce pays où il fallait serrer les dents, et survivre, sur ces terres splendides, mais pauvres, où les habitats eurent pendant longtemps l' obligation de se regrouper, pour entretenir une forme d'agriculture originale.

    La Feuillée « Ar Fouillez » en Breton ancien, ne fut à l’origine, au douzième siècle qu’un hospice fondé par les chevaliers hospitaliers, à proximité de l’ancienne voie romaine qui menait à Carhaix, centre très important à cette époque. https://bit.ly/2FX8Exo Destinée à secourir les voyageurs pauvres, franchissant l’aride passage des monts d’Arrée, ce village marque une étape nécessaire entre Bretagne du nord et du sud.

     « La tourbe qui brûlait, exhalant son odeur, la langue de ses habitants, vêtus de draps, rappelant le gaélique, les maisons basses pour résister aux tempêtes ; tout faisait penser aux Highlands  », notait John Kempf, un voyageur anglais. 

     Les habitants sont les premiers pionniers du bout du monde, avant que ceux-ci ne prennent le large au-delà des mers. Dans les terres inhabitées des monts d'Arrée, les Hospitaliers avaient attiré les défricheurs : des métayers, des fils de domaniers, mais aussi des mauvais garçons. Les chevaliers leur ont confié des terres, inaugurant un régime original de distribution et de contrat : La quévaise.

    Les moines donnent au quevaisier, attiré par cette promesse, un emplacement pour construire sa maison, son jardin, et un demi hectare de terre environ, contre une part de sa récolte. Mais s’adjoint une terre commune aux autres habitants, à charge pour eux de le mettre en valeur. Ces communs qui deviennent landes, au prix de défrichements collectifs, sont regroupés autour d’un même village, un tel ordre agraire installant des habitats resserrés, et une unité de condition et d’entraides.

      Avant que les défrichements ne transforment l'aspect du sol, la commune était l'une des plus pauvres de la Haute Cornouaille. Sa population se composait presque uniquement de marchandes et de chiffoniers ambulants.

       Le bourg garde sa vocation de refuge pour les routiers de passage, tant les bourgs sont éloignés les uns des autres. Les mœurs sont rudes. Les témoignages saisissants, ainsi celui de Jacques Cambry, en 1794 :  « Quatre rouliers occupoient les lits de la seule chambre de l’auberge de la Feuillée. Je fus forcé d’y passer la nuit sur un de ces châlis qu’on abandonne volontiers aux mendians redoutant l’affreuse maladie de ces contrées, n’ayant pour porte qu’une échelle, couverte d’un gros drap, enfumé par des tourbes que j’avois eu le malheur de faire allumer, et que je fus forcé de faire éteindre, malgré le froid très-rigoureux que j’éprouvois. Je m’endormis pourtant. »

 

       Des extraits des livrets militaires, des actes de décès, étaient exposés dans la salle polyvalente. Une page d’histoire était offerte, allant des photos représentant les repas de noces, rassemblant tout le village, à des représentations allégoriques sur ce glorieux sacrifice, qu’on envoyait aux familles des enfant « Mort pour la France » ….

       

    Le regard des visiteurs allaient d’un témoignage à l’autre, précieusement rassemblés par une équipe de bénévoles travaillant au sein d’une association « An Folled » ayant fait là un travail exemplaire. Une assurance, la guerre avait provoqué des tranchées bien au delà des batailles, et la guerre avait continué à faire son œuvre de destruction bien après. Mais l’énergie des survivants était intacte.

       Ce Guy Denning, avait été bien inspiré d’abandonner l’Angleterre, comme les saint irlandais l’avait fait avant lui, traversant la mer sur des vaisseaux de pierre. Un artiste du « street art »internationalement connu, nous dit le journal "Le Poher", dans un bel article. Il faut être parfois d’ailleurs pour mieux sentir les failles du pays, ces cicatrices qu’on a oubliées, qu’on ne voit plus, car trop évidentes, comme cette lettre, dans une nouvelle d’Edgar Poe, pourtant en évidence en plein milieu de la table du salon.

      Beaucoup d’anglais en ce pays, une communauté sympathique qui a souvent promotionné le pays, remis des toits sur les ruines qui semblaient condamnées, et ouvert la voie peut être à d’autres venues, dans ce pays de vieille immigration.

      Hors la volonté politique de peupler les monts d’Arrée, et la volonté des moines Cisterciens de valoriser ces terres, les Bretons d’Angleterre, déjà, fuyant les invasion saxonnes émigrèrent en masse au sixième siècle, redonnant vitalité à la Bretagne, renforçant son identité celtique. https://bit.ly/2BO0tQ8

      Guy Denning s’est ému devant le monument aux morts, faisant le compte aberrant de morts inscrit sur le monument aux morts...112 morts pour un village alors peuplé de 1900 habitants. Une chaîne de télévision australienne était venue de l’autre bout du monde filmer son travail : https://bit.ly/2QbYGgy

         «  Je voulais montrer physiquement la place qu’auraient prise tous ces hommes s’ils étaient revenus, les représenter de manière visuelle, qu’il ne soit pas seulement une liste de chiffre ou de noms. »

       Parfois le temps se rétrécit, se comprime à la faveur d’un catharsis. Le temps n’ a pas la même valeur pour les hommes que pour les pierres. Dans ces monts d’Arrée, il posède quelque chose de minéral, d’assoupi sur lui même, et les heures ne passent pas toujours de la même façon que dans la plaine. Le rythme de vie ici, est encore celui un peu des années 70. Une certaine convivialité préside aux choses. Il faut savoir développer ici des ressources propres. Mais la solidarité réelle supplantera encore pendant longtemps cette intelligence artificielle dont l’écho parvient jusqu’ici, comme un thème de science fiction échappé de son vase de Pandore.

     Précisons que les Denning sont Bretons depuis 12 ans, intégrés dans ce village des monts d’Arrée. https://bit.ly/2Eb5lkM : Les 112 poilus de La Feuillée – Journal « Le Poher » :

       Arrivés par un jour de pluie, ils se rappellent encore leur premier week-end dans leur maison  : «  Nous n’avions rien à manger, alors on a été au bar. Deux clients nous ont offert une bière, et, dès lors, pendant les trois premiers mois, nous n’avons jamais pu payer nous-mêmes une bière, il y avait tout le temps quelqu’un pour nous inviter !  »

       

     J’étais parti en vélo, profitant d’un éclaircie, voulant faire durer les kilomètres, pour mieux défricher le paysage avant qu’il ne s’abîme tout à fait dans les couleurs éteintes. Et les landes et les arbres avaient encore des derniers reflets d’or. Ce qui surprend les gens dans ce centre Finistère, hormis le relief de petite montagne, ce sont les vagues de rochers ! On leur avait tant dit qu’elles ne pouvaient être que liquides, montant à l’assaut des phares ! Il en est de schistes tranchants, comme des ailerons noirs de squales, installés à demeure sur les sommets qui dominent la plaine, et d’autres, de granits, tous ronds, aimables et souriants, comme polis par une marée venue on ne sait d'où !

      Mais dans ce pays de gnomes et de légendes, où courent les chevaux et les nuages, seule la réalité apparaît douteuse, et sujette à caution. Les enfants qui ont le regard vrai, regardent ébahis ces monstres de granit assis. On y sent des magies de bouddha endormi, refusant d’être dégrossi par la sculpture, préférant l’imaginaire pour y esquisser des formes, semblablement aux nuages.

       

     Le vieux peuple extrayait des menhirs dans la masse. Et longtemps les femmes vinrent s’y frotter le ventre par désir de fécondité. Mais les vieux cultes païens de la terre reviennent. Voilà quand ces temps de grande interrogation, on redécouvre le bonheur d’entourer les arbres de ses deux bras. Ou simplement de se promener en forêt, dans une recherche d’apaisement du cœur et des passions.

 

 

        Le réseau d'ici est le plus vieux du monde. Il passe par les pierres, et les arbres qui se répondent, qui vous réinitialise, vous font retrouver équilibre et sérénité.

 

      

         Au sud, se trouve la forêt d’Huelgoat. Un endroit légendaire où les druides se cachèrent au cinquième siècle, afin d'échapper à la fureur évangélique. L'esprit anticlérical vient il de là, ou des mouvements d'ouvriers employés dans les mines d'argent et de plomb, de Locmaria-Berrien, maintenant abandonnées ? https://bit.ly/2Ee1K5b 

     Ce ne fut sans doute pas trop difficile pour les druides de trouver refuge, tant cet endroit déroutant leur va bien à l'esprit, et déconcerte totalement le voyageur. Ce chaos d'origine volcanique, sorti des entrailles de la terre, regorge d'endroits secrets, de formes extraordinaires, où l'attention se perd, et risque d'égarer vos sens et vos pas. (article Geo : https://bit.ly/2rg8dnU

     La Feuillée n’est distante que de dix kilomètres, sur la route qui monte, et c’est un autre monde. Une sorte de vigie, sur ce castel de rocs, riche en landes et en points de vue. Ces monts d’Arrée provoquent de grands angles et nous étourdissent : (video : les monts d’Arrée, Robin Foster) https://bit.ly/2rkoOXw

     Quand on parcouru l’Asie, qu’on est passé de l’Afghanistan aux indes, empruntant la Khyberr pass, on sait l’étrangeté de ces pays de basculement, on tout se comprime, avant de se détendre, vers les quatre points cardinaux. En maçonnerie, on appelle cela la pierre de faîtage, installé à l'équilibre des forces. Elle remue en vous, en proie aux forces telluriques de la nature, et vous décrocherait le cœur si l’on n’y prenait garde.

        La science chinoise de l’acupuncture et des méridiens n’est pas étrangère non plus à ces choses. On la sent en soi quand on pousse son vélo vers les nuages, et qu’on passe le col de Tredudon, qu'on navigue sur le toboggan qui domine la chute des monts d'Arrée, vers Landivisiau. C'est alors comme une fermeture éclair du paysage qui s'ouvre, ou se referme, selon les brumes ou la forme du soleil ! 

       Les arbres s’épuisent à vous suivre, finissent par lâcher prise quand vous donnez un dernier coup de rein. Il n’y a pas de miss en haut pour vous remettre le bouquet du vainqueur ! Les promeneurs se font rares dans ce pays où l’on peut marcher un peu comme Jane Eyre le faisait en ses landes de Cornouailles, celle située de l’autre coté de la mer !

    Il y a des unités que n’épuisera jamais un brexit. Les maisons se tassent, adoptent des plus petites ouvertures, privilégient des ardoises plus épaisses. Bien que dérisoires sur les cartes, ces paysages tout de même vous saisissent l’esprit de leur hauteur intérieure.

      La Feuillée est le plus haut village de Bretagne. Un endroit qui s’est illustré par son esprit de résistance pendant la guerre. Deux faits qui parlent au mieux de la psychologie des gens d’ici. Malgré la désertification qui a creusé le mouvement démographique, ceux qui restent se battent d’une belle énergie pour garder les pieds sur terre, et l’âme intacte. 

       Un couple de touristes immatriculés dans la région parisienne déambulaient d’une silhouette à l’autre.

      « C’est incroyable, tant de victimes pour un si petit village  ! » M’ a dit l’homme, répétant ce que tant avaient dit déjà, comme dans un état de choc, où toutes les paroles se font écho.

     « Tout de même il faut savoir que La Feuillée avait à l’époque 1900 habitants, plus du double de ce qu’ils sont maintenant ! »

       

     Il y avait autour de la grande place comme une allure d’église à ciel ouvert, avec ses grandes statues silencieuses, mais sans prières. Nous marchâmes à petit pas, d’un poilu à l’autre, affrontant leur regard franc, détaché, rêveur, dubitatif. Des gars du pays aux mains puissantes, qui auraient préféré tenir une bêche qu’un fusil. Je les imaginais pensant à leur femme, au pays, à leurs parents, à leur gosse, ou même à rien l’esprit vide, après une charge inutile.

      Certains avaient un calot, d’autres un casque. Il n’y pas ici de posture héroïque. Guy Denning, l’artiste Anglais n’a pu s'aider de photographies, celle-ci étant fort rares à l’époque. Qu’importe ! Avec ses crayons, ses peintures et ses fusains, Il a fait là œuvre de chaman, s’est mis en relation avec l’univers. Chacun pouvait s’y projeter à son aise. Des enfants près de l’église sautaient d’un pied sur l’autre, jouaient à la marelle. On ne voit plus guère d’enfants jouant à ces vieux jeux dans les rues des grandes villes où l’on se méfie, croyant voir partout des ennemis.

    C’était de voir ces gosses j’en suis sûr qui faisaient le plus plaisir aux soldats. Le vent en avait décollé certains à demi, et leurs silhouettes s’agitaient sur les murs de granit, comme si eux aussi voulaient prendre leur élan, faire un pas de coté.

    Terre-ciel-feu...Tous ces 112 soldats avaient joué eux aussi à la marelle, aux billes, avaient remonté la rue pour aller à l’école. C’était tout un film que chacun pouvait se faire, à partir de ce grand générique du monument aux morts, bien loin des acteurs de comédie de la Metro-Godwyn-Meyer. 

     J’étais passé à la Feuillée au mois de Juillet. Préférant déjà venir en vélo, pour me mettre au diapason des coureurs du tour de France. Voilà que ceux ci allaient faire un crochet dans le village. Combien de fois m’étais je installé sur le parcours, d'un bout de France à un autre, depuis qu’en 59, monté sur les épaules de mon père, j’avais applaudi Jean Robic ?

     Je connaissais leur parcours, pour l’avoir étudié dans « Ouest-France », exactement comme quand j’étais gamin . Des routes que je connaissais par cœur. 

    Depuis Commana, en bas, et son clocher qu’on voit souvent émergé des brumes, ils avaient coupé par ce casse-pattes, cet ancien chemin de Landes qui émerge sur la route de Quimper entre les gros rochers où l’imagination se perd, dans ces cumulo-nimbus en granit, trop lourds pour le ciel.

      

     On voit le lac de Brennilis en bas, avec ses reflets argentés de ria, ayant perdu son chemin de mer. C’est là le domaine de l’enfer, cher au légendes bretonnes. Le Yeun Elez était ce grand champ argileux, où l’ankou entreposait les âme qu’il fauchait. C’est dans ses alentours que ce situe la centrale de Brennilis, arrêtée depuis bien longtemps, et dont il serait bien sot de penser qu’un esprit malin contrarie sa démolition. Il s’agit là que d’une autre version de la folie des hommes, quand la guerre se fait contre la nature.

 

    Quelques engoulevents au dessus du roc'h Trevezel s’appuyant sur une aile, avaient pu un moment suivre les coureurs de leur regard perçant, taches de genet et de bruyère emmêlés, rampant comme des fourmis, se mettant en éventail comme un fer de lance en plein milieu du bitume refait de neuf pour l'occasion. J'étais passé la veille reconnaître le parcours, me prenant pour un champion. Le vélo a toujours refusé de me voir grandir. Le nom des vrais cracks était écrit en grand sur l’asphalte, avec de beaux encouragements. Une équipe d'intendance, experte en distinction, toute de blanc vêtue, effaçait laborieusement les slogans hostiles au gouvernement. Ce pays a gardé en rapport à son histoire, une âme rebelle qui refuse parfois de se laisser aller dans le sens des chimères. 

     A l'avant du peloton, quelques coureurs un peu malins avaient tenté une bordure, pour mettre les autres dans le vent. Tout le monde avait courbé l’échine et serrait les dents. L’étape allait être plus éprouvante qu’ils ne l’avaient cru, dans cette succession de petits Ventoux teigneux qui n’ont peur de rien !..

      Arrivant dans le bourg de La Feuillée, la caravane publicitaire et les motards avaient provoqué un premier effet de liesse. Surtout parmi les enfants, avides de mythes et de gadgets publicitaires ! Le groupe d’échappés était arrivé en trombe, dans une charge furieuse, le nez dans le guidon.

    On en était resté saisi, l’espace de quelques secondes, écoutant le bruit des roues libres comme un chant de grillons.

    Le peloton avait suivi moins quelques minutes plus tard, sous un ballet d'hélicoptères. Une centaine de gars en meute serrée, jouant des coudes, impitoyables. Une sorte de mirage de couleurs, sentant la sueur. Impossible de les compter !

    Mais allez savoir s’ils n’étaient pas 112 eux aussi ?

    Du même âge que ceux de La Feuillée !

     Ils auraient pu faire le tour de France, devenir champion du monde, ou rester simplement heureux au village, regardant leur enfant grandir, assis sur le seuil des maisons tranquilles, attendant que le blé mûrisse !

    Ils auraient été voir la mer le Dimanche, pique niquer en famille, s'amusant dans la forêt à pousser ensemble les grosses pierres. Celles où se cachent les esprits, afin de les faire bouger. Seul on ne peut rien, mais à tous, on parvient à soulever des montagnes !

     C’était ce bataillon silencieux qui nous entourait maintenant, comme autant de gerbes fauchées trop tôt. Pas de maillot jaune, ou vert, ou à pois du meilleur grimpeur ! Juste cet uniforme brun de chique, où la boue des tranchées n’était pas trop voyante ! Tout de même préférable au pantalon rouge des premiers mois de guerre, qui les avait transformés en cibles de fête foraine.

     Garance ! C’est le nom d’Arletty dans « les oiseaux de paradis » tourné pendant la seconde guerre, vingt ans après la der des der. Garance : Le nom aussi de cette plante méridionale, donnant ce rouge flamboyant, obtenu par les manufactures du sud de la France.

      Les politiciens avaient soutenu avec zèle cette teinture, en raison de la préférence nationale. Les histoires de sang contaminé, et de sacrifiés ne datent pas d’hier.

      

    Combien de temps résisteront-ils au temps mauvais, sur la place du village ? Mais voulaient ils vraiment résister aux assauts du intempéries ? Déjà des lambeaux s’étaient déchirés, ne laissant d’eux qu’une partie du corps de certains soldats intacte. La nature réalisait en quelques semaines ce qu’un obus avait pu provoquer en une fraction de seconde. Mais le vent, on le sait, n’a pas la violence des hommes.

     Ce n’est juste qu’une forme d’amour, arrondissant les angles en courbes féminines, si on lui laisse le temps de faire son œuvre.

     Décembre que l’on nomme en breton « Mir kerzu  » le mois plus que noir, en rapport à Novembre « Miz-du » le mois noir, avait déjà quelques jours derrière lui. Le gouvernement serait bien avisé d’apprendre le Breton, en ces temps de tempête et d’équinoxe , où il faut mettre son ciré jaune !

    Tiendront-ils la position jusqu’au nouvel an  ?…

     J’ai vu un morceau de papier kraft déchiré par une bourrasque, en même temps que le parapluie d’une passante se retournait sur ses baleines tordues.

    Était-ce un bras, la jambe d'un soldat ? J’en ai perdu la tête à le suivre !. Le vent l’a aspiré, le faisant tournoyer comme un cerf volant. J'en suis resté tout étourdi. 

   Il a plané au dessus du clocher de l’église, avant de dériver, vers les hauteurs de Tredudon, rejoignant enfin l’endroit d’où il n’aurait jamais du partir, bien loin des champs de batailles obscènes, rendant au tourbes du Yeun Elez, ces soit-disant « portes de l’enfer » l’allure d’une prairie humide, accueillante aux soupirs et aux tendresses. 

 


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